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L’heure des toasts arrive enfin. Le Premier ministre japonais dit tout bien comment que ç’a été merveilleux, cette bombe d’Hiroshima qui a cimenté les liens entre le peuple ricain et le peuple japonouille et que désormais, la hand dans la hand, ils s’en vont vers l’avenir, les deux. Après, y a le Premier ministre chinois qui explique qu’ils ont pas d’idées, mais la bombe atomique et plus d’un milliard de citoyens et que les Russes, dites, faudrait tout de même pas qu’ils leur fassent trop chier la Mongolie. Pour finir, le Président ricain annonce qu’il est pas venu à Singe-à-porc (c.d.B.) pour se faire soigner la prostate, mais pour jeter des bases nouvelles dans l’aube prometteuse des lendemains triomphants, si vous mordez ce qu’il veut dire ? Que lui, son programme, c’est de compléter le danger nucléaire par le péril jaune promis de tous les temps. Il explique que si ça se met à péter, pas de panique : Chinois et Japs n’auront qu’à faire la guerre, lui il s’occupera du reste. Il est vivement applaudi ; et je pense qu’il y a de quoi, un homme de cette trempe, entièrement remis à neuf par les meilleurs médecins-décorateurs des Etaux-Zunis !

Là-dessus, la gent larbine ouvre à deux battants les portes du salon, et les convives, les cons vivent, vive les cons, commencent de s’y pointer.

Je m’y trouve déjà, guettant la surgissante de Li Pût.

Ma somptueuse paraît dans les derniers.

Son fume-cigarette entre les dents.

Je ressens un choc ! Une décharge à haute tension. L’admiration me ravage de nouveau. Je suis submergé par sa splendeur triomphale. Elle est unique.

En m’apercevant, elle a un léger, presque infime, tressaillement.

Je m’approche d’elle.

— Je suis fou furieux, lui dis-je.

Et je lui narre le vilain tour que m’ont joué mes potes.

Tout en parlant, je me dis :

« Il faut que je lui prenne cette arme terrible. » Mais elle la garde entre ses dents. Je surveille sa mâchoire, appréhendant qu’elle se crispe. Elle paraît sur le qui-vive, Lili Pute. Croit-elle à mes explications ? Mon ton de sincérité devrait la convaincre, pourtant. Mais cette péripétie est tellement grandguignolesque (je ne me le fais pas dire !) qu’elle doit subodorer du louche.

J’ai un geste à faire. Il doit être fulgurant comme le coup de langue du caméléon quand il gobe une mouche. Un geste en attrape-mouche, justement, pour lui ôter le fume-cigarette. Je sais qu’elle ne m’en laissera pas le temps. Elle mordra l’embout avant que je ne l’aie achevé. Elle y est prête, car cette diabolique fille devine mes intentions.

— Tu n’as pas eu trop de mal à récupérer le… l’objet, dans le gâteau ?

— Non, j’ai même pu le faire avant de pénétrer dans la salle à manger, grâce à cette idiote de Dorothy qui a voulu me faire admirer la table avant qu’on ne s’y rende. Bien m’en a pris, d’ailleurs.

— Pourquoi ?

— Parce qu’au début du repas, des serveurs sont venus chercher le gâteau. Ils l’ont emporté, puis ramené au bout de quelques minutes, le temps de le tester.

— Tu crois ?

— Evidemment que je le crois. Les services de sécurité ont dû recevoir un coup de fil de toi leur recommandant de passer le gâteau sous l’arc de contrôle.

— Tu es folle !

— Mais non, chéri, je ne suis pas folle. Alors tu vas t’écarter de moi. Va te placer derrière le grand canapé, là-bas, pendant que je ferai mon travail. N’oublie pas qu’il se trouve à moins de cinq mètres. Ne dis rien, ne tente rien, sinon je commencerai par toi. Il reste six projectiles dans ce magasin.

« Si tu te tiens tranquille, peut-être t’épargnerai-je, par amour. Tu auras été la folie de ma vie, je te le répète pour la dernière fois. Mon unique faiblesse ! Cela dit, t’épargner ne servira à rien, car les gens du tong ne te laisseront jamais repartir. Je ne pense pas que tu voies se lever le jour. A présent, fais ce que je te dis : il est temps que j’agisse, la période café-liqueurs ne dure jamais très longtemps dans ces repas officiels.

Tout ça, à lire, je m’en rends compte, ça n’a l’air de rien. C’est des mots, du blabla. Seulement t’aurais la gonzesse en face de toi, sa sarbacane aux lèvres, rappelle-toi, Eloi, tu pâlirais des noix. Elle est aussi terrifiante qu’elle est belle, Li Pût. On a déjà parlé de démon à son propos. Bon, ben on a tout dit. Elle est le démon. Une démone, plutôt, telle qu’on peut l’imaginer : somptueuse et vénéneuse, chatoyante et implacable. Enfin, t’as compris.

J’ai toujours des doutes avec toi. Quand je te regarde et que je croise tes yeux, j’ai chaque fois l’impression de visionner un morceau de gruyère en train de couler. Ça m’angoisse, tu comprends. J’ai les boules, de noires inquiétudes. Je tente de déterminer l’à quel point t’es glandu ; le jusqu’où elle va, ta sottise. Des fois, j’ai espoir ; je reprends courage. Je me dis, bon, il est pas aussi courageux qu’un toréador ou qu’Alain Prost, mais enfin, il va pas jusqu’à la diarrhée verte ! Il lui reste du bon, quelque part. Ses relents, c’est de type congénital ; lui, le pauvret, il est comme ma pomme, il fait ce qu’il peut ! Je suis moins impitoyable que tu crois, tu sais. J’ai des élans, des mansuétudes, de bonnes bouffées. Je t’avale pas tout cru, mais te garde en bouche un moment comme les tasteurs de vin. Goulougou. Eux, y recrachent. Je t’ai jamais recraché. Dégueulé, parfois, quand trop c’est trop, mais recraché, jamais. La dégueulanche est involontaire, c’est question de spasme. Recraché, c’est délibéré. Tu me suis ? Je t’aime à ma façon. Elle en vaut une autre ; et même elle est préférable à une autre car elle est en connaissance de cause.

Et ma Li Pût au regard étrange, en code mais brûlant, ne me lâche pas. Elle est à quatre mètres du Président, lequel palabre comme un cow-boy chez les shérifs au milieu d’un cercle d’invités.

Il raconte pas l’histoire de la diligence attaquée par les Sioux au Premier ministre chinois, mais toutes les vilaines ogives qu’il va braquer sur les Russkoffs, bien les faire chier, qu’attention ! calmos ! T’en lâches une, j’en lâche deux. Concours de pets !

J’analyse posément (mais en quatre secondes deux dixièmes) la situasse. Critique, telle est ma conclusion intestinale, je veux dire mon occlusion intime.

Une crispation de mâchoire et il en est fait de moi, ou bien du Président, voire des deux à la suite. Tac, tac ! Fini. Le temps de la confusion, du brouhaha, et la superbe se débarrassera de son fume-cigarette. Pas de cicatrices apparentes. Pas de traces ! Certes, deux morts à la fois, ça fait bizarre, bizarre, mais rien ne sera prouvable. Je suis certain qu’elle a déjà songé à la manière d’évacuer son fume-cigarette. Peut-être l’enfoncera-t-elle dans la terre de cette plante en pot, près de la baie ? Ou bien le dévissera-t-elle pour le glisser dans sa tasse de café ? Elle sait ! Je ne fais que subodorer.

Maintenant que j’ai récupéré mes esprits, mon énergie, ma volonté, mon sens du devoir et tout le bordel à cul qui fait d’un homme un flic, je suis décidé à m’interposer. A empêcher cela. Comment ? Si je crie la vérité, je serai clamsé avant d’avoir achevé le premier mot. Impossible de risquer un geste. Alors ? Vite ! Vite, ça urge ! Mais quoi ? T’es devenu sec comme des amandes grillées, Tonio ? Elle t’a épongé toute la moelle en même temps que le foutre, cette exceptionnelle ? Il te reste que dalle ! T’as plus de phosphore, Théodore, cherche des allumettes !