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Moi, je raffole. Toutes les danses folkloriques du monde sont à la fois connes et impressionnantes. Du moins, selon moi. Mais je suis pas un critérium, comme dit Béru. Pour ma pomme, la vérité d’un individu c’est de regarder en restant assis de préférence, de gamberger et de fermer sa gueule. Sitôt que tu l’ouvres, t’entres dans le chœur mixte des déconneurs. Tu commences par « Eh bien, moi je », et c’est râpé ! T’es happé, mec ! Placé sur l’escalator de la suffisance. Tu grimpes en balourdise comme le blé en graine !

— Ça te plaît, ma poule ? je demandé-je à Marie-Marie.

— Beaucoup ! souffle-t-elle, fascinée par le charivari andalou.

On est venus en prévoyage de noces, les deux, profitant des vacances de la Toussaint. Les noces, ce sera pour plus tard, on verra… Un jour je me déciderai et ce sera enveloppé, vite fait, bien fait, en deux coups les gros. Peut-être que, ce fameux jour-là, elle criera pouce, ne voudra plus ? Les femmes, tu sais : c’est « tout de suite » avec elle. Les hommes aussi, d’ailleurs. Plus tard, ça n’existe pas, n’existe jamais. Quand nous les réalisons, nos beaux plus tard, ils ne sont plus que des aujourd’hui transformés.

Mais t’es bien obligé de songer au futur, non ? De te bricoler un avenir bon gré, mal gré ? Tu traces des plans. Ça n’engage à rien. Nos projets nous précèdent mais ne nous suivent jamais. Et nous, on ne les suit pas non plus. Et si on s’obstine, ils se mettent à ressembler à une mayonnaise ratée comme quand la cuisinière a ses ours. Je me suis laissé dire que ça fait louper les mayonnaises, ces machins-là. D’ailleurs c’est écrit sur les boîtes de Tampax : tu peux te baigner, mais la mayonnaise est déconseillée. Alors, quand tu bouffes chez des gens et qu’ils te servent une mayonnaise ressemblant à une crème vanille, paluche pas en loucedé la maîtresse de maison, tu déconviendrais ! La vie est d’une bêtise !

Or, donc, on est venus passer une huitaine à Marbella, la Musaraigne et moi. Notre histoire, si je serais romancier, je pourrais en faire un livre tant tellement elle est belle et bizarre. Il y a quelque part un mystère dans notre aventure. Je t’y raconterais, personne me croirerait. On s’aime, on ne peut plus se passer l’un de l’autre, au point qu’elle vit une bonne partie de son temps chez nous, ce qui était le grand rêve de m’man. On se tient par la main, on se roule des pelles longue durée. Quand on déambule et qu’elle porte un jean, je passe ma main par-dessous bien qu’il soit serré à bloc, mais grâce au creux des reins j’arrive toujours à faufiler. Je mets ma paluche à plat sur ses exquises miches pommées et je les sens qui bougent. Ou alors, c’est par l’échancrure de son pull que ma dextre se coule et je palpe doucement les deux colombes de la paix. Tu vois ?

Eh bien, malgré tout ça, on n’est pas allés « jusqu’au bout », nous deux. Tu te rends compte ? Un godeur comme l’ami San-A. ! Nous pieutons dans le même lit, tout nus, enlacés. Mécolle avec une trique mastarde comme une batte de base-ball carrée entre ses jambes, pas lui faire prendre froid. Et rien ! On traverse une immense attente ! Notre affaire, c’est un désir infini qui ne s’assouvit pas. On s’économise le sensoriel, comme si on risquait de tout dilapider en une seule étreinte ! Et cela, tu vois, sans s’être concertés. On n’en cause jamais. C’est ainsi, tacitement. Ce que nous espérons en comportant de la sorte ? Peux pas te répondre. Je l’ignore. Faudrait qu’on se fasse décrypter le problème par un psychanalyste, mais je me demande s’il parviendrait à dégager une logique dans cet écheveau. Et pour conclure les confidences, je vais te dire : on est vachement heureux. On sait qu’on tient « ça » à dispose. On baisera plus tard… quand on sera vieux !

Le cabaret, ils se sont pas grattés pour le décorer. C’est une maison ancienne où l’on a seulement abattu une cloison, je suppose, afin de l’agrandir. L’entrée fait bar-bistrot, toute petite. Elle donne sur la salle, à peine plus grande que notre salon de Saint-Cloud. Des tables et des chaises bancroches, quelques gravures espanches sur les murs enfumés, et basta ! Le trèpe s’entasse comme il peut. Une chaise servant parfois pour deux culs. Y a des pèlerins assis sur les marches raides de l’escadrin menant aux chiches.

Les consos ne sont pas chères et on ne t’incite pas à les renouveler. Ici c’est le climat sincère, artistique, dagadagada dagadagada…

— T’es heureuse, ma chérie ?

Sa chaise est placée devant la mienne. Je promène mes mains salopiotes sur son adorable fessier, mon menton est niché au creux de son épaule, comme chantaient les crooners crâneurs de jadis… Je mordille ses cheveux fous, le lobe de son oreille (les deux à la fois, j’arrive pas). On est bien, au creux de ce vacarme. Chose curieuse, il nous isole. Maintenant, ils sont deux à gambiller sur le plancher recouvert d’un lino devant le groupe. Une danseuse avec une robe blanche et noire, et un danseur en noir, chemise blanche à jabot mousseux dont la taille est étroite comme celle d’un sablier. Chez les pingouins, j’ai remarqué, ce sont les mâles qui sont minces tandis que les dadames ont tendance à bonbonner chouia. Elles rabattent trop sur la paella et les tortillas et pas assez sur la gym-tonic de Véronique et Davina, les mères ! Mais ça n’a pas d’importance : les Suédoises sont ravissantes !

Quand le couple a achevé ses prestations, je me redresse because un début de torticolis me chicane. Les deux guitaristes font un solo, comme dit le Gros. Ils jouent du Manuel de Falla pour calmer le jeu. Très beau !

Et alors à cet instant, une voix étrange venue d’ailleurs chuchote en anglais à quelques centimètres cubes de mon étagère à crayons :

— Commissaire San-Antonio, ne vous retournez pas, je vous en conjure !

Je relâche illico la crispation causée par cette interpellation exhorteuse. Il y a, dans l’intonation, un accent désespéré. Je ramène mon dos contre le dossier de ma chaise, car la voix se trouve derrière moi.

— Ce qu’ils jouent bien ! murmure Marie-Marie.

— Hmm, hmm ! réponds-je avec toute l’éloquence dont je peux.

Les deux musicos grattouillent à la perfection, comme disait Mme de Sévigné. Leurs doigts ressemblent à une partouze de serpenteaux.

J’attends que mon terlocuteur invisible m’en balance davantage.

Ça vient.

— Je suis Jacky Sullivan, vous vous souvenez de moi ?

Il jacte si bas que le cher président Edgar Faure ne pourrait capter ses paroles. Mon ordinateur de tronche part à la recherche d’un Jacky Sullivan. Tout un bastringue se met en action sous ma coiffe bretonne. Attends voir… Sullivan… Sullivan Jacky… Jacky Sullivan… Et puis, bon, d’accord, ça me revient. Londres… Il y a combien de cela ? Cinq ans ? Une affaire… Commission rogatoire… J’étais là-bas en compagnie de Pinuche… J’ai eu affaire à un chef inspecteur nommé Sullivan… J’ignorais son prénom. Jacky, c’est lui qui, aujourd’hui, me l’apprend.

On dirait qu’il suit le mécanisme de ma pensée car il fait, toujours de sa voix vaporeuse :

— Ça y est ?

Je me penche une seconde en avant pour indiquer que oui.

— Je suis en danger, reprend mon confrère. Je n’ai pas d’arme. Pouvez-vous me suivre quand je sortirai d’ici ?