— Pas maintenant ! dit-elle fermement, nous avons à parler…
Pour me donner une contenance (comme disait un tonnelier de mes amis), je me frotte les crins avec une serviette nid d’abeille !
Pas folle la guêpe !
— Je vous écoute, dis-je d’une voix qui demanderait à être repeinte tant elle est blanche.
— Je suis surpris de ne pas voir arriver les autres…
— En effet, conviens-je, c’est surprenant…
Je prends une mine très emmouscaillée. Celle de l’unijambiste qui se fait couper sa dernière guitare par le train en allant à Lourdes.
— Logiquement, ils devraient être ici…
— Ils vont certainement arriver dans la journée.
— Par ailleurs, je n’ai aucune nouvelle de Tonton !
— C’est bon signe, affirmé-je, détaché comme un veston sortant de chez le teinturier. Ça veut dire qu’il rapplique…
— Tout de même, il serait bon que nous fassions le point avant l’opération. Elle demande une minutie rigoureuse…
— Évidemment ! fais-je, en essayant de ne pas trop avoir la voix de Fernand Raynaud.
— Si à midi Tonton n’a pas donné de ses nouvelles, je téléphonerai à Amsterdam…
— Ce serait une bonne précaution. Mais à mon avis, il sera là !
In petto, je me dis que pour contacter Van Knossen, c’est pas le téléphone qu’il convient d’utiliser, mais un guéridon de premier choix. On n’a rien trouvé de mieux pour communiquer avec l’au-delà sans passer par l’inter.
— Le patron doit venir cet après-midi. Je me demande la tête qu’il fera s’il ne trouve que vous. Je ne vous cache pas que ça m’ennuierait beaucoup personnellement si nous devions surseoir.
— Et moi donc, renchéris-je.
Dans la chambre à côté, Béru a entonné une nouvelle chanson, moins altière mais plus poétique. Il est question d’une maman qui se prostitue pour pouvoir alimenter ses petiots ! (dont l’un veut être docteur).
Elle s’étire, féline, voluptueuse. Je reprendrais bien une cuillerée de potage, mais j’ai peur qu’elle m’envoie sur les roses.
— Ce n’est pas le tout, fait-elle en sautant de mon lit, dès que nous aurons pris le petit déjeuner, nous irons préparer le terrain avec votre ami…
— O.K. !
Mes petits lecteurs ahuris, je peux bien vous confier que je me sens devenir chèvre à une allure dépassant de très loin la vitesse d’Husson. Vous mordez le topo ? Hein ? Moi, l’homme d’action ; celui qui pulvérise les obstacles, fait craquer les jarretelles des dames et la mâchoire des messieurs. Celui qui brise les durs et écrase les mous, qui perce les mystères les plus épais sans l’aide d’un vilebrequin, qui grimpe aux échelles sans barreaux et qui mange le verre pilé sans sucre, moi, San-Antonio, comme dirait l’autre, je suis obligé de glandouiller dans cette affure comme un ahuri. Je joue les évasifs. Je suis un évasif !
Franchement, c’est pas dans mes exploits. Je pourrais tenir n’importe quel rôle : celui de trou dans un pain de gruyère, ou de ministre dans un cabinet renversé ; mais pas un rôle d’empoté.
— Achevez de vous préparer ! décrète Hildegarde.
— Bien, cheftaine, ris-je, en lui adressant le salut scout !
D’ailleurs, j’ai la même devise que les gars aux genoux sales : toujours prêt !
Notre substantiel autant que matinal repas envoyé, Béru et moi nous nous mettons à la disposition de notre jeune hôtesse. Maintenant, c’est la mère Van der Plume qui chante dans sa cuisine ; un truc entièrement hollandais sur une musique de Vincent Van Scotten. Elle est joyeuse, la jument ! Elle a eu son tricotin d’avoine ! À la française ! Il lui reste plus qu’à employer Purodor pour désinfecter sa chambre…
Le Gros la couve d’un œil globuleux qui ressemble à un sulfure. Si on lui secouait les gobilles, il se mettrait à pleuvoir des petits trucs blancs dans ses orbites.
Comme Hildegarde va chercher ce qu’elle appelle « le nécessaire », Béru me glisse à l’oreille :
— Tu parles d’une séance, hier et cette nuit ! Ah la vache ! Ce qu’elle s’en ressent !
Cet hommage galamment rendu à son égérie, il se cure les chicots de la pointe de son Opinel.
— Vois-tu, me dit-il gravement, ce qui séduit chez le Français, c’est pas seulement sa technique, c’est avant tout ses bonnes manières… Les étrangères sont dingues de nos pommes uniquement parce que nous nous comportons comme des barons…
Il crache sur le tapis un morceau de couenne de jambon qui lui obstruait un reliquat de molaire. Puis il essuie la pointe de son couteau sur la nappe brodée.
— Et tant que le Français aura des bonnes manières, la France conservera son prestige, conclut-il noblement en se mouchant dans sa serviette.
— Vous y êtes ? demande Hildegarde.
Elle vient de surgir comme un diable ravissant de sa boîte. Elle porte un imperméable bleu clair, très léger… Elle est plus mignonne qu’hier et bien moins que demain… Elle tient un gros paquet sous le bras, mal ficelé du reste.
— Nous y sommes, fais-je…
— Où qu’on va ? s’inquiète le Mahousse.
Je lui flanque un coup de 42 à tige souple dans les cannes.
C’est pas le moment qu’il la ramène. Lorsque Béru se met à dérailler, c’est tout de suite la grosse catastrophe ferroviaire.
Il la boucle et va masser les glandes mammaires de la dame Van der Plume, manière de lui montrer qu’il s’en ressent toujours…
Nous déhottons.
— Voulez-vous que nous prenions la voiture ? proposé-je à Hildegarde.
Elle me bigle, surprise.
— Vous plaisantez, ça ne vaut pas la peine…
Je viens de bonnir une phrase de trop. Ma cote va tomber à l’indice des performances. Le mieux, c’est que ja la boucle et ne l’ouvre plus que lorsque je serai certain de ne pas aligner une bourde…
À la file indienne, nous reprenons le sentier qui nous conduisit la veille à la fameuse chute dans le sable. Chute tellement fameuse que je ne demande qu’à la répéter. J’ai des talents de goal, y a pas. Faudra que je m’inscrive à la fédération de foot. Pour le plongeon entre les montants, je suis doué. J’aurais ma licence pro en moins de deux. De deux quoi, à vous de le deviner !
Béru à l’âme neuve fait de nouveau fonctionner ses cordes vocales. Il chante : « C’est nous les Joyeux », en ponctuant chaque strophe d’un roulement de tambour guerrier, sur sa poitrine.
Le soleil déverse des tombereaux de pépites d’or (alors là je suis prêt à concourir pour le Nobel, les mecs) sur la nature éblouie. Hildegarde avance en éclaireuse, comme si elle était mandatée par la maison Wonder.
Nous retrouvons la clairière, mais au lieu d’aller plus avant dans le sous-bois, elle tourne à droite, obéissant de ce fait à la flèche qui souligne le mot Muséum sous l’écriteau.
Nous atteignons rapidos la grille d’un parc. À gauche de l’entrée, il y a un guichet, avec à l’intérieur un mironton à baffies blanches et à binocles chargé de percevoir une taxe sur les automobilistes qui pénètrent dans la propriété.
C’est gratuit pour les piétons… Nous avançons d’une allure décidée dans les allées aussi bien entretenues qu’une actrice française. Le Gros ne barrit plus. Il me file des regards tellement interrogateurs que ses yeux sont en forme de point d’interrogation…
Hildegarde ne parle pas. Elle semble préoccupée. Elle s’arrête à quelques mètres de bâtiments très modernes, tout en rez-de-chaussée, où des touristes s’engouffrent à flot compact. Puis elle choisit un sentier qui contourne ces bâtiments.