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Juliette Benzoni

Princesses des Vandales

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Juliette Benzoni

Première partie

 « CIRCÉ »

1

Les griffes du lion !

Un mois après sa dramatique arrivée à Châtillon, Isabelle retournait à Paris sans que la colère l’eût abandonnée plus d’une ou deux fois en dehors des heures consacrées au sommeil. Encore la retrouvait-elle parfois en rêve !

Il lui avait fallu d’abord pallier les carences en nourriture. Non contents de se bâfrer avec celle du château, Condé et ses soudards avaient quelque peu pillé celle de la ville. En faisant remarquer hypocritement qu’ils ne prenaient pas tout par « respect pour la mémoire du défunt duc Gaspard qui avait combattu aux côtés de Monsieur le Prince ». Fort heureusement la duchesse Isabelle ne manquait pas d’argent. Elle avait envoyé Bastille avec des serviteurs « faire leur marché » à Montargis qui, ayant la chance – douteuse ! – d’appartenir à l’ineffable Monsieur, duc d’Orléans dont les fructueux retournements de veste ne se comptaient plus et qui soutenait Condé depuis le début de la Fronde, conservait greniers et celliers abondamment garnis.

Ayant ainsi paré au plus pressé, elle s’était attelée à la remise en état de certaines maisons malmenées dans sa ville et surtout aux réparations de son château.

Cela fait et laissant les choses suivre leur cours normal, elle regagnait à présent la capitale où Condé était en train d’établir son quartier général, profitant de ce que le jeune Louis XIV, la Régente Anne d’Autriche sa mère et les rares fidèles qui composaient la Cour s’étaient installés au château de Saint-Germain pour la belle saison..

Peu désireuse de revoir Montargis dont elle ignorait si la Longueville y résidait encore, Isabelle choisit de rejoindre à Etampes, la route d’Orléans à Paris en passant par Pithiviers et surtout par Bellegarde, la bien nommée. C’était en effet une place forte puissamment armée, placée, depuis que Condé avait repris le chemin de la révolte, sous l’autorité de François de Montmorency-Bouteville, le cher petit frère d’Isabelle. Le cher petit frère qui n’avait pas bougé une oreille pendant que Condé, son chef vénéré, dévastait le château et les terres d’une sœur qu’il prétendait aimer !

— Est-ce vraiment nécessaire ? hasarda Bastille quand elle lui fit part de l’itinéraire choisi.

— C’est plus que nécessaire ! Il n’est jamais bon de laisser pourrir derrière soi les sujets qui fâchent.

— A moins d’en susciter d’autres ? Quand deux pierres à fusil se rencontrent, cela génère des étincelles…

— … Mais il ne s’ensuit pas toujours un incendie ! Et j’ai décidé de voir mon frère !…

— Et si lui ne le veut pas ?

— Je ne crois pas qu’il s’y risquerait. Il me connaît trop bien !

Effectivement, quand on approcha des tours de Bellegarde hérissées de défenses, il suffit que Bastille annonce Mme la duchesse de Châtillon pour que les herses se lèvent et que le pont-levis s’abatte… De plus, François lui-même accueillit sa sœur en lui offrant la main à la sortie du carrosse. Avec un sourire radieux !

— Quelle joie inattendue ! Je commençais à désespérer de vous voir un jour ! Pourquoi n’être pas venue plus tôt ?

Ses yeux sombres pétillaient au-dessus du nez pointu et de la longue bouche fine, moqueuse, qui faisait ressembler le jeune homme à un renard. Sans la bosse qui lui arrondissait le dos, il eût été d’assez belle taille mais on l’oubliait facilement tant il montrait de grâce et de vivacité dans ses mouvements. Bretteur hors ligne, cavalier accompli, il aimait les femmes qui le lui rendaient à profusion, conquises par son charme. En outre, remarquable chef de guerre, élevé à l’école de Condé – son modèle pour ne pas dire son dieu ! –, il était adoré de ses soldats dont il prenait un soin attentif, ce qui n’était pas si fréquent ! Et, naturellement, l’audace ne lui manquait pas ainsi que sa sœur en faisait à cet instant l’expérience :

— Eh bien ! fit-elle, suffoquée, l’aplomb ne vous fait jamais défaut à ce qu’il paraît ? Si vous aviez tellement envie de me voir, puis-je savoir ce qui vous en empêchait ? Ne fût-ce que pour vous assurer que Châtillon, ses habitants et sa châtelaine n’étaient pas en train de mourir de faim et de soif après le passage de votre héros favori ! A ce propos d’ailleurs vous auriez pu émettre une objection au lieu de le laisser nous traiter en ville conquise.

— Mais c’est parce que j’étais ici et non chez vous, ma belle ! Et que je l’ignorais !

— A d’autres, François, mais pas à moi ! Ne me dites pas que vous ignorez ce qu’il m’a infligé !

Instantanément il redevint sérieux :

— Il faut comprendre, Isabelle ! A Bléneau, il a remporté la journée mais elle avait été lourde. Il était épuisé… blessé, poursuivi même, et la demeure d’une amie…

— … On ne peut se permettre d’y faire tout et n’importe quoi ! La laisser ravagée et d’une saleté répugnante, piller ses vivres et ses réserves, piétiner ses champs ? Je ne suis pas à la veille de lui pardonner…

— Vous y viendrez tout de même un jour ! Mais… ne croyez-vous pas que nous serions plus à l’aise à l’intérieur pour en discuter ? Sans compter que vous allez partager mon dîner !… Serviteur, madame de Ricous ! dit-il à Agathe qui attendait patiemment que sa maîtresse lui laisse le passage pour descendre.

Il les mena à table avec autant de naturel que si l’on eût été dans une agréable résidence champêtre et non dans une place de guerre hérissée de canons ! La chère, il est vrai, fut frugale mais acceptable et François en fit les honneurs avec une telle gaieté et une telle gentillesse qu’Isabelle sentit sa rancune fondre sensiblement. De toute façon elle n’avait jamais réussi à lui en vouloir beaucoup, quoi qu’il fasse. D’autant que, assez vite, il se montra soucieux :

— Pourquoi avoir choisi de passer par Bellegarde plutôt que par Montargis ? Pour me rencontrer ?

— Cela ne vous semble pas une raison suffisante ? Je veux vous faire entendre… ce que je pense de votre conduite  ! En outre, je n’ai aucune envie de revoir notre chère cousine Longueville…

— Elle ne s’y trouve plus ! Nemours et La Rochefoucauld non plus par conséquent mais je ne saurais vous apprendre où « ils ont porté leurs pas » pour employer le langage de cette bonne Mlle de Scudéry ! A ce propos il m’arrive parfois de songer, avec quelque nostalgie, à nos soirées chez Mme de Rambouillet. Des moments de grâce comme nous n’en vivrons plus, je le crains !

— La faute à qui ? Ne m’obligez pas à rabâcher ! J’ai cela en horreur. Vous n’avez pas été mis sur terre pour servir le prince de Condé. Au lieu de lui emboîter le pas vous seriez mieux inspiré de le ramener à ses devoirs envers le Roi !

— Je vous ai dit ce qu’il en est ! fit-il, jetant sa serviette avec agacement. Le Roi, oui, mais pas Mazarin !

— C’est vous qui rabâchez ! Et vous savez pertinemment que l’on ne peut faire la guerre à ce jocrisse sans tomber dans les bras de l’Espagnol ! Regardez plutôt le duc de Beaufort !…

— Le « Roi des Halles » ! Il vous a séduite vous aussi ?

— Moi non parce que j’aime ailleurs mais il ne se trompe pas de cible et pour rien au monde n’accepterait d’être payé par Madrid ! Souvenez-vous qu’il a refusé de se joindre à notre cousin Montmorency dans cette guerre qui lui a valu l’échafaud. Et pas parce qu’il craignait Richelieu qui était d’une autre trempe qu’un Mazarin, que cependant il exècre !