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— Comme personne ne le lui a jamais demandé, je suis comme le reste des humains : je n’en sais rien et n’aurais d’ailleurs pas la témérité d’aller le lui demander s’il m’arrivait d’aventure d’en rencontrer une ! Et comme à l’exception d’une seule elles ne courent pas les rues…

— Une seule ?

— Mme de Longueville, votre très aimée sœur. Elle serait furieuse et se vengerait en clamant urbi et orbi que je suis votre esclave ! Merci beaucoup !

— Ma sœur est en Guyenne et ne reviendra pas de sitôt. Vous avez largement le temps de guérir ! Venez dans mes bras… et retournons au jardin !

— Oh, que nenni ! sourit-elle en prenant place à table. Cette robe est l’une de mes préférées et je ne vous laisserai pas la transformer en haillons ! Sans compter les nouveaux dommages que vous ne manqueriez pas de m’infliger !

— Isabelle ! émit-il d’un ton plaintif.

— Pour ce soir, tout au moins, c’est non ! Nous verrons quand vous aurez été manucuré ! D’ailleurs nous avons à causer sérieusement.

— De quoi ? maugréa-t-il mais en allant s’asseoir en face de son hôtesse, s’avouant ainsi implicitement vaincu.

— Dans un pays qui ne cesse de tourner à l’envers il me semble que les sujets ne manquent pas et je voudrais savoir où vous en êtes avec la Cour et aussi le Parlement ?

— Je suis mal avec les deux. A mon retour de Bléneau le peuple m’a porté en triomphe mais cela n’a pas été le cas chez les robins ! Non seulement ils m’ont reçu froidement mais en outre ils se sont permis quelques questions insidieuses à propos de mes relations avec les Espagnols.

— Vous n’imaginiez pas que cela ne ferait pas de bruit ! Que leur avez-vous répondu ?

— Je les ai envoyés paître ! On a donné à ces gens trop d’importance et à présent ils en abusent…

— Il fallait s’y attendre… Quand on a goûté au pouvoir, même acquis par la violence… surtout peut-être par la violence ! fit-elle, soudain songeuse.

Réfléchissant, elle garda le silence et il le respecta, se contentant de la regarder. Dieu qu’elle était belle ! Dans cette robe somptueuse encore qu’un peu sévère à son avis, elle ressemblait à une idole…

— Laissons ce sujet de côté pour un moment, l’engagea-t-elle enfin, et venons-en à la Cour… ou plutôt à la Reine et au Roi ! Comment s’est passée votre visite ? (Puis, le voyant s’assombrir, elle murmura :) Si dramatique que cela ?

— Plus encore ! C’est tout juste si l’on m’a permis d’entamer la liste de mes griefs après les politesses de la porte et…

— Une minute, s’il vous plaît ! J’ai dû comprendre de travers ou vous avez vraiment parlé de « vos griefs » et des « politesses de la porte » ?

— Vous avez fort bien compris  !

— Alors c’est que vous perdez l’esprit au point d’oublier à qui vous vous adressiez ! Les politesses de la porte, selon votre expression, ne sont pas de mise au pied d’un trône ! C’est au Roi que vous aviez affaire, pas à un quelconque particulier.

— Laissez-moi rire ! Un gamin même pas couronné…

— Le Roi tout de même ! Vous savez qu’en France il ne meurt jamais et que le sacre n’a d’autre but que le renouvellement de l’allégeance à Dieu ! Mais laissons cela ! Que vous a-t-il répondu ?

— Rien ! Il m’a tourné le dos. C’est la Reine qui s’en est chargée. Si on peut appeler cela répondre…

— Mais encore ?

— Elle a piqué une verte colère en accusant mon « insatiable ambition » qui me poussait à vouloir ceindre la couronne et à détruire ce qui pouvait se mettre en travers de ma route. Et comme je lui coupais la parole pour lui assener que seule m’importait la perte de Mazarin, le ton est monté d’une octave : « Mazarin, Mazarin ! Vous n’avez que ce nom à la bouche ! Qu’il soit exilé, banni tel un pestiféré, avec sa famille, dépouillé de sa demeure comme de ses biens ne vous suffit pas ? C’est sa tête que vous voulez, je suppose ? » Et comme j’allais répliquer, le Roi ne m’en a pas laissé le loisir : « Le Cardinal est “mon” ministre ! C’est à moi seul de décider de son sort. Et non seulement je ne vous donnerai pas sa tête mais je le rappellerai sans hésitation si vous et les vôtres me poussez à bout ! »… Là-dessus je suis parti. Et voilà où nous en sommes !

— Brillant ! ironisa Isabelle. Quel magnifique ambassadeur vous feriez, Monseigneur ! Si l’on a vraiment envie de faire la guerre à son voisin, on ne saurait choisir meilleur que vous pour décider d’accommodements possibles ! Une épée d’une main et de l’autre un brandon pour mettre le feu aux canons ! De quoi chasser au bout de la terre la plus entêtée des colombes de la paix ! En vérité, il y a des moments où je me demande si vous n’êtes pas…

Elle allait dire « fou » mais s’arrêta à temps sachant à quel point le mot lui faisait horreur ! Non sans raison ! Une de ses aïeules avait montré une attirance pour la débauche que seul un esprit dérangé pouvait nourrir. En outre la mère de sa femme, épousée sous la contrainte, était franchement folle et Condé craignait pour sa descendance. Isabelle ravala donc le mot malvenu qu’elle se hâta de remplacer par « un peu trop enclin à voir les choses sous votre éclairage personnel ».

— Comment l’entendez-vous ?

Sans se laisser impressionner par la raideur du ton, Isabelle continua  :

— Cela coule de source. Il est le Roi… pas vous et cela fait une sacrée différence !

— Je ne trouve pas ! Nous sommes des Bourbons, l’un comme l’autre !

— Mais vous ne descendez pas d’Henri IV et c’est une nuance à laquelle le plus obtus des gens de ce pays se montre sensible ! Somme toute, si je vous ai compris, vous n’êtes plus en bons termes avec les robins et en plus mauvais encore si c’est possible avec la Cour. Seulement, mon cher Prince, je vous le répète, je me demande si vous n’invertissez pas les rôles ?

— Avec ces robins ?

— Non. Ceux-là je vous les abandonne. Ils ne récoltent que ce qu’ils méritent. Mais vous avez quelque tendance à tout mélanger quand il s’agit de la Cour. En résumé, que demandez-vous pour vous comporter en prince français digne de ce nom ?

— L’épée de Connétable qui me donnera la préséance sur n’importe quel prince pour commander les armées…

— Peste ! Comme vous y allez !

— Elle me revient de droit ! Je suis le cousin du Roi et le plus grand soldat de ce temps !

— Au moins vous ne doutez pas de vous ! Et vous avez raison d’ailleurs mais il y a cette espèce d’alliance que vous avez conclue avec l’Espagne et l’épée aux fleurs de lys n’a pas été forgée pour se fourvoyer dans les rangs espagnols ! Je la crois capable d’aller se planter d’elle-même dans un rocher à l’instar, jadis, d’Excalibur, pour se refuser d’en bouger en attendant le héros qui en sera digne.

— Je vous parle de choses sérieuses et vous me renvoyez aux légendes !

— Elles contiennent parfois tant de vérités ! Et c’est tout ce que vous demandiez ?

— Nous en sommes loin ! Vous oubliez que mes frères et moi avons été emprisonnés injustement ! J’entends que nous soyons dédommagés après avoir reçu les excuses de la Régente ! J’entends aussi que les amis qui ont combattu avec moi reçoivent…

— Une récompense peut-être ? Et de combien ?

— Cent mille livres à Nemours, idem à La Rochefoucauld…

— A La Rochefoucauld ? Les charmes de madame votre sœur, cette incomparable déesse, ne lui semblent pas suffisante récompense ?