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Laisse-moi te présenter les filles de ma classe.

– Mary et Slava (tu les connais déjà).

– Sofia, Pasha et Olga sont trois sœurs. Sofia a 12 ans, mais elle est très petite; Pasha pleure tout le temps et Olga aime pincer les autres.

– Genya doit avoir 10 ans, je crois, et elle parle plutôt bien l’anglais.

– Natalka est au Canada depuis quatre ans, mais elle n’est pas très brillante. Elle a autant de difficulté avec les leçons en ukrainien qu’avec celles en anglais. Elle est gentille et elle chante comme un rossignol.

– Marussia est sympathique et très intelligente. Elle aussi, elle chante bien.

– Stefania a été très souvent malade, alors je ne la connais pas très bien. Elle a huit ans. Elle était à l’école aujourd’hui, mais elle avait trop mal à la gorge pour pouvoir chanter.

La seule Canadienne dont je connais le nom, à part les filles méchantes, s’appelle Maureen. Elle se fait embêter par les filles méchantes, elle aussi. C’est horrible de ma part, mais je dois avouer que ça me soulage de savoir que ces filles ne harcèlent pas seulement les Ukrainiennes.

Maureen a l’air triste et solitaire. Je ne m’étais pas rendu compte avant aujourd’hui qu’elle habitait rue Grand Trunk, pas loin de chez moi!

Mercredi 20 mai 1914

Aujourd’hui, à l’école, nous avons peint des drapeaux appelés Red Ensign. Ils sont très beaux, mais compliqués à faire.

Le drapeau britannique occupe le coin supérieur gauche et, du côté droit, il y a un écu où figurent les emblèmes des provinces canadiennes. Pour le Québec, il s’agit de trois fleurs de lys. J’aimerais bien pouvoir trouver des lys comme ceux-là. C’est le printemps, mais je n’ai pas encore vu de fleurs, sauf le tournesol que Tato fait pousser pour Mama, et ça, ça ne compte même pas, car il n’a pas encore fleuri. Mary a dit que, dimanche, elle m’emmènerait dans une forêt et me montrerait des fleurs canadiennes.

Mlle Boyko dit que le drapeau du Canada contient un drapeau britannique parce que le Canada appartient à la Grande-Bretagne. Elle dit que c’est à peu près la même chose que l’Autriche qui possède la Galicie.

C’était amusant de faire de la peinture. Quand j’ai fini mon drapeau, Mlle Boyko m’a donné une autre feuille de papier. J’y ai dessiné notre village, avec la cigogne, le cimetière, l’église et notre maison. Mlle Boyko a accroché mon dessin au mur. Elle dit que je suis une véritable artiste!

En revenant de l’école aujourd’hui, j’ai vu Maureen qui marchait à environ trois maisons devant moi, toute seule. J’ai marché très vite pour la rattraper. Je crois que je lui ai fait peur, car elle s’est mise à marcher plus vite. Alors, je l’ai appelée. Elle s’est retournée et m’a fait un grand sourire. C’est bien, de revenir ensemble de l’école. Je me demande si le monsieur est méchant avec elle aussi.

Vendredi 22 mai 1914

Jour de Victoria, après l’école

Nous étions censées avoir un rassemblement à l’extérieur, aujourd’hui, mais il pleuvait à verse. Nous nous sommes donc entassées dans la pièce commune et nous avons écouté un monsieur portant un très bel uniforme. Il faisait tellement chaud que j’ai cru que j’allais m’évanouir. Selon Mary, l’homme expliquait qu’il était très fier d’être sujet britannique. Elle a dit qu’une partie du discours s’adressait à nous plus particulièrement; selon l’homme en uniforme, nous devons nous considérer désormais comme des sujets britanniques et apprendre la culture et les langues canadiennes le plus rapidement possible. Je suis bien d’accord avec lui.

Après le discours, nous avons brandi les drapeaux que nous avions peints. Puis nous avons chanté le God Save the King. Toute la classe a bien prononcé les paroles. J’étais soulagée parce que je ne voudrais surtout pas que les Canadiennes pensent que nous sommes stupides.

Samedi 23 mai 1914

Le soir, bien installée dans mon lit

La pluie qui ruisselle sur notre fenêtre me rend triste. On dirait des larmes tombant du ciel. Chaque fois qu’il pleut, je pense à Volodymir.

Cher journal, je ne t’ai pas encore parlé de mon frère, alors il est grand temps que je le fasse. Je préfère parler de sa vie, plutôt que de sa mort, alors je vais commencer par là.

La moustache de mon frère n’était encore qu’une ombre sur sa lèvre supérieure et elle me chatouillait quand il m’embrassait. Il était plus grand que Tato et, malgré sa minceur, il était plus fort qu’on ne l’aurait cru. À cause de sa voix magnifique, on lui demandait de lire les journaux à voix haute au chytalnya, et c’est là que les problèmes ont commencé. Plus il lisait, plus il se rendait compte que notre situation était sans espoir si nous restions à Horoshova.

Notre dette était élevée et nous n’avions aucun moyen de nous en sortir. Comme Tato préférait ne pas y penser, Volodymir et lui se disputaient à ce sujet.

Quand Volodymir est tombé amoureux d’Halyna, j’étais furieuse. J’avais l’impression de perdre à la fois mon frère et ma meilleure amie. J’ai refusé de parler à Halyna pendant une semaine entière, et c’est là que Volodymir a déclaré qu’il allait nous apprendre à lire et à écrire, à toutes les deux. Tu comprends, cher journal, les petites filles de notre village n’étaient pas admises au chytalnya, et plusieurs n’allaient pas à l’école. Mais Volodymir a décidé que sa femme et sa sœur seraient instruites.

Il a écrit une très jolie chanson pour moi, à chanter avec un tsymbaly. Elle parlait de gouttes de pluie et de sœurs, et disait que les unes et les autres étaient agréables, quoique parfois embêtantes, mais qu’on les aimait bien quand même. Il l’a écrite sur un bout de papier et m’a appris à la lire avant de me la jouer. Pour Halyna, il a écrit une chanson d’amour et a refusé de la lui chanter tant qu’elle ne pourrait pas la lui lire. Il nous lisait les journaux et essayait de nous faire comprendre ses opinions.

S’il n’avait pas lu les journaux, il aurait été content de son sort, mais il s’est mis en tête d’aller faire fortune dans les mines de charbon, en Allemagne.

Halyna a pleuré, quand elle a entendu ça. Ils étaient déjà fiancés.

À cette époque, je n’avais pas compris, mais maintenant je sais pourquoi il est parti. Il avait 17 ans quand il est mort, et il essayait d’amasser suffisamment d’argent pour qu’Halyna et lui puissent partir pour le Canada avant qu’on l’oblige à s’enrôler dans l’armée autrichienne.

Oy! Cher journal, si tu savais combien de jeunes hommes de notre village avaient déjà trouvé la mort en combattant pour l’Autriche, tu comprendrais mieux. Volodymir n’avait plus que quelques années devant lui. Il devait absolument gagner l’argent nécessaire et s’enfuir avec Halyna avant d’avoir 21 ans.

À ce moment-là, je pensais que l’Allemagne était un bon endroit où gagner de l’argent, mais quand, au bout d’un mois passé là-bas, Volodymir est revenu chez nous, il avait la peau si noire qu’il n’y avait pas moyen de la nettoyer, même en frottant très fort. Pendant qu’il se séchait, j’ai vu un bleu, mêlé de vert et de violet, si gros qu’il couvrait tout le bas de son dos. Il a ri de moi quand je lui en ai parlé. « Le travail est dur, dans les mines de charbon, m’a-t-il répondu. Mais regarde comme on me paie bien! » Son rouleau de marks allemands était plus gros qu’un de mes doigts. Volodymir a dit que, s’il travaillait dans les mines toute une année, il aurait assez d’argent pour rembourser notre dette. Il en resterait encore assez pour qu’Halyna et lui puissent se rendre au Canada. Ça semblait trop beau pour être vrai, et ça l’était.