12. et même un gâteau (pour la première fois dans notre nouvelle maison).
Baba doit avoir planifié tout ça pendant des semaines. Nous avons mis un couvert de plus afin que les âmes de Volodymir et de Dido puissent se joindre à nous. Mais je crois qu’ils auraient mieux fait de rester au Ciel, car il fait très froid ici. Par contre, cela leur permet d’apprécier la cuisine de Baba! Il est très tard, et je dois travailler demain, même si c’est Rizdvo, notre jour de Noël. Bonne nuit, cher journal, et Veselykh Svyat. Autrement dit : Joyeuses Fêtes!
Jeudi 7 janvier 1915
Rizdvo, tard le soir
C’est le pire Noël de toute ma vie. Ça ne me dérangeait pas de travailler le jour de Ridzvo, vraiment pas. Nous avons besoin d’argent. Mais quand je suis rentrée chez nous, j’ai trouvé Mama en larmes. Elle avait été renvoyée. Mme Haggarty ne voulait pas le faire. Elle est gentille et elle lui a même donné un paquet de nourriture aujourd’hui, à rapporter à la maison. Mme Haggarty a dit que c’était « pour le bien » de Mama qu’elle ne travaille plus chez elle, mais qu’une fois la guerre terminée, elle pourrait reprendre son emploi.
Je suis si furieuse! Mme Haggarty ne se rend-elle pas compte que nous comptons sur le salaire de Mama pour survivre? Oy! Qu’allons-nous faire?
Samedi 9 janvier 1915
J’ai mal aux mains, et tous les jours se ressemblent. Rien de nouveau à raconter.
Mercredi 20 janvier 1915, après le travail
Voilà, ce que je craignais est arrivé. Notre loyer devait être payé le 15 janvier. Nous avons donné autant que nous le pouvions, mais le propriétaire nous mettra à la rue si nous ne pouvons pas verser le reste du montant d’ici la fin de la semaine.
Jeudi 21 janvier 1915
Mama m’a accompagnée à la fabrique aujourd’hui. Je pensais qu’on l’engagerait, mais ils ont dit qu’elle était trop vieille. Elle a gardé la tête haute, mais je pouvais voir que ses yeux étaient pleins de larmes. Comment allons-nous faire? Que va-t-il nous arriver?
Samedi 23 janvier 1915
Je n’ai que quelques minutes pour t’écrire, car nous déménageons!
Le propriétaire est venu aujourd’hui et il a dit que nous devions avoir quitté notre logement avant minuit. Peu lui importe qu’il y ait une tempête de neige. Nous devons partir. Où irons-nous? J’ai si peur!
Dimanche 24 janvier 1915, chez Stefan
Heureusement qu’il y avait Stefan et ses parents. La personne qui louait l’autre moitié de leur logement a été arrêtée. M. Pemlych a perdu son emploi, lui aussi, et ils ont de la difficulté à payer leur loyer. Ils nous ont donc loué l’autre moitié de leur logement. Avec mon travail, celui de Stefan et ce que gagne Mme Pemlych, nous avons suffisamment d’argent pour payer le loyer. Il en reste très peu pour la nourriture.
Lundi 25 janvier 1915
Au coucher du soleil, chez Stefan
Je sais que ce n’est pas bien de dire ça, mais je suis presque contente que le pensionnaire des Pemlych ait été arrêté. Où serions-nous allés, s’il habitait encore chez eux?
Vendredi 29 janvier 1915
J’étais trop triste et j’avais trop froid pour pouvoir écrire. De toute façon, les jours se ressemblent tous.
Février 1915
Lundi 8 février 1915
Tato et moi nous sommes disputés aujourd’hui. Il a dit qu’il allait faire la queue à la soupe populaire. Je l’ai averti que les gens qui allaient à la soupe populaire risquaient de se faire arrêter. Il ne m’a pas crue, cher journal! Je suis si inquiète à son sujet! Il nous reste encore quelques pommes de terre et un quart de baril de farine. Mykola peut encore avoir du lait gratuitement. Je sais que ce n’est pas grand-chose à manger, mais je préfère avoir faim plutôt que de risquer de voir Tato arrêté.
Mercredi 10 février 1915
Ma fête patronale. J’ai maintenant 13 ans.
Aujourd’hui, au dîner, Mary et les autres filles ont chanté Mnohaya Lita (autrement dit « longue vie »), ce qui était très gentil de leur part. Mama et Baba ont fait quelques pirohy aux pommes de terre, et nous avons mangé avec les Pemlych. Ce qui m’a le plus surprise, c’est qu’aujourd’hui à l’école, Mykola a fait un dessin qu’il m’a offert en cadeau. Il est épinglé au drap qui sépare notre partie du logement de celle des Pemlych. Il a dessiné notre ancienne maison, à Horoshova.
Vendredi 12 février 1915
Aujourd’hui, il fait presque chaud. Tato avait peut-être raison, à propos de la soupe populaire. M. Pemlych et lui disent qu’ils y voient les mêmes gens tous les jours et que personne n’a encore été arrêté. C’étaient sans doute de fausses rumeurs.
Plus tard
Mykola réussit bien à l’école. Il a rapporté à la maison un examen d’arithmétique où il a eu 100 %! Tato l’a accroché au drap, à côté de son dessin. Je suis contente pour mon frère, mais en même temps, je suis jalouse. J’aimerais aller encore à l’école afin que Tato puisse être fier de moi aussi.
Lundi 15 février 1915
C’est horrible : Tato a été arrêté et M. Pemlych aussi. Ils sont détenus dans le bâtiment de l’Immigration. Baba dit que Mama et Mme Pemlych sont allées là-bas pour voir ce qu’elles pourraient faire pour ramener nos hommes à la maison.
Plus tard
Dans le logement des Pemlych, pelotonnée dans mon édredon
Tout ce que je peux faire pour le moment, c’est attendre. Voici ce qui s’est passé.
J’ai su que quelque chose n’allait pas dès que je suis sortie du travail, car Tato n’était pas là à m’attendre. Au début, j’ai cru qu’il était simplement en retard, alors j’ai dit à Mary et aux autres filles de ne pas s’attarder et je suis restée à attendre Tato, à l’intérieur de l’entrée de la fabrique. J’ai attendu et attendu. Au bout de 20 minutes, le patron m’a fait les gros yeux, alors je suis sortie attendre dehors.
J’étais déjà inquiète au sujet de Tato, mais j’ai commencé à me faire du souci pour moi-même. C’est dangereux pour moi de marcher toute seule jusqu’à la maison, alors imagine si je devais le faire le soir! J’ai donc décidé de partir avant qu’il fasse noir.
Je n’étais pas encore au coin de la rue que j’ai vu Stefan arriver en courant pour me ramener à la maison. Il est venu me retrouver dès qu’il a appris ce qui était arrivé à nos pères. Ça va vraiment mal pour nous, mais je suis contente d’avoir un vrai ami comme Stefan.
Il y a quelqu’un à la porte.
Plus tard
Mama est rentrée des bureaux de l’Immigration. Elle dit que la raison des arrestations était le « vagabondage ». Ça veut dire errer dans les rues quand on n’a pas de travail. Je ne comprends pas : où veulent-ils que les gens aillent quand ils n’ont pas de travail?
Jeudi 18 février 1915
Oy! Cher journal, j’ai demandé à Mama de m’emmener aux bureaux de l’Immigration pour voir Tato, mais elle a répondu : « Pas aujourd’hui. » Mme Pemlych et elle y sont allées ensemble. J’ai écrit un petit mot et fait un dessin pour Tato, et Mama le lui a apporté. Quand elle est rentrée, elle avait les yeux tout rouges. Elle a dit qu’elle était fatiguée et elle est allée s’allonger. Je savais qu’elle n’était pas vraiment fatiguée, cher journal : elle était triste. Je l’entendais pleurer.