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Plus tard

Mama dit que Tato risque d’être envoyé quelque part, mais elle ne comprend pas où. Oy! Cher journal, je suis si inquiète!

Mercredi 24 février 1915

Stefan a été arrêté. Je dois y aller.

Vendredi 26 février 1915

Pourquoi le Canada nous déteste-t-il autant? Comment ont-ils pu arrêter Stefan? Il n’est même pas encore un homme! Même s’il a grandi très vite, il a toujours son visage d’enfant. On dirait que, dès qu’un Ukrainien se tient au coin d’une rue, il se fait mettre en prison. Je pensais que le Canada était une terre de liberté. J’en suis triste et effrayée.

Mars 1915

Mardi 2 mars 1915

Hier, Mama et moi avons rendu visite à Tato. Il y avait tellement de monde que c’était difficile de lui parler. Il avait le regard vide, comme s’il n’arrivait pas à croire ce qui lui arrivait. Il essayait de nous rassurer, malgré tout, et il ne se plaignait pas de son sort. Il a même fait une blague, en disant qu’au moins, on leur donne à manger. Stefan, M. Pemlych et lui sont dans une grande pièce avec beaucoup d’autres hommes. J’ai remarqué que Stefan avait les poings serrés et l’air renfrogné. En sortant, le soldat Howard Smythe m’a heurté l’épaule, comme par inadvertance, mais je sais qu’il l’a fait exprès.

Jeudi 4 mars 1915

Depuis que Stefan a été arrêté, il n’y a personne pour me raccompagner à la maison. Mary, Natalka et les autres filles sont dans la même situation, alors maintenant, nous marchons ensemble pour aller au travail et en revenir. Je dois encore marcher toute seule jusqu’au coin de ma rue et je n’aime pas ça. J’apprends de nouveaux mots, mais ce sont des mots que je ne répéterais jamais! Nous allons au marché toutes ensemble aussi.

Vendredi 5 mars 1915

Oy! Cher journal, ça va de plus en plus mal! Dans le journal d’aujourd’hui, on dit que des combats ont eu lieu en Galicie et que les Autrichiens ont perdu 25 batailles de suite! Qui pourrait être encore en vie dans mon cher pays? Tout doit être réduit en cendres, maintenant. Tu devrais voir les regards que les gens me jettent, quand ils me croisent dans la rue. Au Canada, on nous déteste et, dans notre ancienne patrie, nous serions morts. Je suis vraiment triste!

Lundi 8 mars 1915

Tous les jours se ressemblent. Mon cœur est si plein de tristesse qu’il pourrait finir par éclater.

Lundi 15 mars 1915

Selon le journal, les Alliés pensent que la guerre pourrait se terminer dans trois semaines. Je prie pour que ce soit vrai. Je veux que Tato revienne à la maison!

Jeudi 18 mars 1915, après le souper

Oy! Cher journal, on ne parle que des Russes qui remportent des batailles en Galicie, dans le journal d’aujourd’hui. Autre chose : je viens de recevoir une lettre d’Irena. Ça ne va pas mieux pour elle que pour moi. Voici sa lettre, que j’ai collée dans tes pages :

Hairy Hill

Alberta, Canada

Mardi 2 mars 1915

Chère Anya,

J’ai du mal à écrire cette lettre, tant je suis triste. Notre voisin Yurij Feschuk a été arrêté! Voici ce qui s’est passé.

Papa et notre voisin s’étaient rendus en ville pour faire estampiller leurs papiers. Ils ont estampillé ceux de papa, mais ont refusé de le faire pour Yurij Feschuk. Ils lui ont plutôt passé les menottes et l’ont emmené avec eux. Papa a appris qu’on l’avait conduit dans un camp de travail, tout près de Jasper, en Alberta. Anya, c’est totalement injuste! Notre voisin n’a rien fait de mal!

Papa a eu peur qu’on l’arrête aussi, mais rien ne lui est arrivé. Il est allé chez Feschuk et il a tout bien fermé afin de protéger la maison contre les intempéries. Il a ramené sa vache et son cheval chez nous. Autrement, qui leur aurait donné à manger? Anya, j’ai beaucoup de peine pour Yurij Feschuk, mais je suis bien contente d’avoir du lait. C’est bien, aussi, d’avoir le cheval.

Mama est bouleversée et elle a peur. Elle craint que papa soit le prochain à se faire arrêter.

Ta très chère amie,

Irena

Oy! Cher journal, c’est terrible, cette histoire du voisin d’Anya. J’espère que tu ne me trouveras pas méchante si je te dis que je suis contente que ce ne soit pas le père d’Irena qu’on ait emmené.

Samedi 20 mars 1915

Cher journal, chaque fois que je me dis que les choses ne pourraient pas être pires, on dirait que je me trompe. Dix Canadiens sont morts au combat et trois navires alliés ont été coulés. Les Canadiens sont fous de rage et ils s’en prennent à nous. Tato, Stefan et M. Pemlych ont été envoyés, tous les trois, dans le nord du Québec. J’ai entendu dire qu’il faisait très froid là-bas et qu’il y avait des bêtes sauvages qui mangeaient les gens. Qu’est-ce que nous avons fait pour mériter ça? C’est le Canada qui nous a demandé de venir ici, non? Si le gouvernement canadien ne voulait pas de nous, pourquoi nous a-t-il encouragés à venir?

Dimanche 21 mars 1915, Pâques

Aujourd’hui, quand nous sommes revenus de la messe, un envoyé du consulat autrichien attendait devant la porte de notre logement. Il était gentil, mais je pouvais lire dans ses yeux qu’à son avis, notre intérieur ne payait pas de mine. Baba, Mme Pemlych et Mama font tout ce qu’elles peuvent pour le garder propre, mais c’est difficile quand on sait que le logement était déjà crasseux avant que les Pemlych s’y installent. Nous n’avions pas de rats à Horoshova. Nous avons tué tous ceux que nous avons vus ici, mais il en arrive toujours d’autres. Ça me gêne de voir les yeux de cet homme qui nous jugent. Est-ce qu’il ne se rend pas compte que nous aurions un plus beau logis si nous pouvions nous le permettre? Et comment pourrions-nous y arriver, quand ils ont emmené nos hommes et que personne ne veut embaucher Mama?

Jeudi 25 mars 1915

Les manchettes d’aujourd’hui étaient toutes à propos de la grande bataille qui se déroule, en ce moment même, dans les Carpates. On y disait aussi que le Canada va dépenser 100 millions de dollars pour cette guerre.

Une chose qui m’étonne

Si l’Allemagne et l’Autriche sont les ennemis, pourquoi les batailles ne se déroulent-elles pas là-bas? On dirait que toutes les batailles ont lieu en Galicie. Pourquoi? Après la guerre, tout ira bien en Allemagne et en Autriche, tandis que la Galicie va être en ruine. Je n’ai jamais fait de tort à personne de toute ma vie. Je sais que c’est la même chose pour Tato, Mama, Baba, Dido et Volodymir. Tout ce que nous voulons, depuis toujours, c’est avoir assez à manger et vivre en paix. Qu’est-ce qu’il y a de mal là-dedans?