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Je suis allée à la messe avec Baba, Mama, Mykola et Slava, et après la messe, nous avons posé des cailloux sur les tombes du cimetière. J’ai dit une prière pour mon cher grand-père et mon cher frère qui sont au Ciel.

Lundi 3 mai 1915

Stefan et moi avons enfin eu l’occasion de nous parler hier soir, après le souper. Nous avons fait une longue promenade dans les bois et, du coin de l’œil, je crois que j’ai vu une forme blanche passer près de nous. C’était peut-être le fantôme que Mykola avait aperçu. J’ai demandé à Stefan s’il l’avait vu, mais il a dit que non. Peut-être est-ce mon imagination?

Il y a des bouleaux parmi les conifères, et maintenant que la neige commence à fondre, le sol est couvert de centaines de feuilles de bouleaux toutes rondes et dorées, qui sont tombées à l’automne. Je n’y avais jamais songé avant, mais les feuilles de bouleaux me font penser à des pièces d’or. C’est peut-être ce qu’Halyna voulait dire, quand elle m’a dit que le sol du Canada était pavé d’or.

Stefan m’a parlé de son père. On le faisait travailler très dur, mais il n’est pas aussi solide qu’autrefois. Un jour que les prisonniers se trouvaient dans la forêt, à abattre des arbres avec seulement quelques gardes pour les surveiller, deux d’entre eux ont posé leurs outils par terre et se sont enfuis. M. Pemlych voulait partir, lui aussi, et il voulait que Stefan l’accompagne, mais Stefan a refusé. Alors M. Pemlych a couru pour rejoindre les deux autres hommes. Un des gardes l’a poursuivi et l’a vite rattrapé. Les deux autres prisonniers n’ont pas été retrouvés.

Ils ont placé M. Pemlych dans une petite pièce sombre, tout seul, et il ne reçoit rien d’autre à manger que de l’eau et un peu de pain. C’est ça, « l’isolement cellulaire ».

Il y a une chose que je ne comprends pas : où pensait-il aller? Autour d’ici, il n’y a rien d’autre que des centaines de milles d’étendues sauvages. Stefan dit que des gens ont réussi à s’échapper et n’ont pas été rattrapés.

Je crois que Stefan s’en veut à lui-même plus qu’à quiconque. Il pense que, s’il était parti avec son père, ils auraient eu de meilleures chances à eux deux. Je suis contente que Stefan n’ait pas essayé de s’échapper.

Plus tard

Stefan m’a dit autre chose. Je me demandais comment on avait pu l’arrêter en tant qu’homme à Montréal, alors qu’il n’avait que 14 ans. Il m’a expliqué qu’il avait refusé de montrer ses papiers au policier. Il voulait se faire arrêter parce qu’il voulait être avec son père. Stefan peut être vraiment casse-pieds, mais de temps à autre, sa bonté remonte à la surface.

Mercredi 5 mai 1915

Cher journal, je suis au Canada depuis un an déjà.

Je ne sais pas si nous avons bien fait de venir au Canada ou si nous n’aurions pas plutôt dû rester à Horoshova. Si nous étions restés là bas, je serais avec les gens que je connais depuis que je suis toute petite, j’habiterais dans ma jolie maison bleue et je serais diplômée de mon ancienne école. Peut être serais je même déjà fiancée? Mais notre dette était tellement élevée que nous n’aurions jamais eu la vie facile. Et puis, il y a la guerre maintenant. Tato—aurait—été—forcé—de—s’enrôler—dans—l’armée autrichienne. Je suis inquiète pour mes amis de mon ancienne patrie et je prie pour eux, tous les jours.

Oy! Cher journal, je viens de relire le dernier paragraphe que j’ai écrit, mais je me trompe du tout au tout. Si nous étions restés à Horoshova, je serais peut-être morte, à l’heure qu’il est. L’endroit que j’ai quitté n’existe plus que dans mes rêves. La guerre en Europe se déroule à la porte de mon ancien jardin. L’Horoshova que j’ai connu doit rester dans mes rêves, et je vais prier pour que ceux que nous avons laissés derrière nous aient réussi à trouver le moyen de survivre à tout ça.

C’est triste d’être prisonniers dans le camp d’internement de Spirit Lake, mais je suis bien contente d’être en vie. Je sais que ça peut sembler bizarre, mais je suis soulagée d’être ici plutôt qu’à Montréal. Ici, je peux sortir et respirer l’air frais. À Montréal, j’étais censée être libre, mais je ne me sentais pas en sécurité.

Mieux vaut penser à tout ce qu’il y a de bien au Canada. Il n’y a pas de seigneurs et, dans un avenir pas si lointain, peut-être aurons-nous notre propre terre et pourrons-nous vivre comme des Canadiens. Si nous n’étions pas venus au Canada, je n’aurais pas connu Maureen, ni Irena, ni Slava, ni Mary, ni Natalka.

Je n’aurais jamais rencontré Stefan.

Parfois, je vois Stefan comme mon meilleur ami. Je ne le lui dirai jamais, car il me taquinerait.

Ça peut sembler bizarre, mais si nous n’étions pas venus au Canada, je n’aurais jamais vu Spirit Lake. Dommage que ce soit une prison et, aussi, que ce soit peut-être hanté, car c’est un des plus beaux endroits du monde.

S’il n’y avait pas la guerre, je crois que nous pourrions bien vivre au Canada.

Jeudi 6 mai 1915

Les soldats nous ont donné de vieux journaux en guise de papier de toilette et aussi pour en garnir nos bottes si nous avons froid aux pieds ou si elles sont trop grandes. Un de ces journaux était daté du 30 avril, et Stefan et moi l’avons lu ensemble. Il y a quelques jours, les Allemands ont attaqué les Alliés avec un gaz, et les Britanniques étaient si outrés qu’ils ont riposté de manière encore plus dure. J’ai remarqué que, quand il y a de mauvaises nouvelles mettant en cause les Allemands ou les Autrichiens, les soldats du camp sont plus durs envers nous.

Stefan dit que son frère aîné s’est enrôlé dans l’armée et se bat pour le Canada. Le frère de Stefan, qui s’appelait Ivan, a changé de nom et a pris celui de John Pember afin que personne ne sache qu’il est ukrainien. Stefan dit que beaucoup d’Ukrainiens ont fait ça.

Son autre frère, Petro, a tenté de s’enrôler, mais il n’avait pas pensé à changer de nom et il a été envoyé au camp d’internement de Kapuskasing.

J’espère que John Pember ne sera pas envoyé à Horoshova pour y combattre.

Vendredi 7 mai 1915

Même si nous sommes en mai, il y avait une pellicule de glace sur l’eau de la cuvette ce matin, quand je me suis levée.

Avec le tissu que le gentil Robert Palmer nous a donné, Mama m’a confectionné une grande jupe bien chaude avec une grosse chemise et un châle, mais elle veut que je prenne le temps de me faire de plus jolis vêtements. Je suis très bonne en couture et je vais bien m’amuser à faire ça.

Mes jolies bottes noires ne me vont plus. Même si elles m’allaient encore, je ne voudrais pas les porter ici, car le terrain est trop raboteux. Je les ai rangées et je les donnerai à Slava quand nous sortirons d’ici. Les soldats ont remis une paire de bottes à chacun de nous. Les miennes sont trop grandes, alors je dois les bourrer de papier journal. Quand je suis dans le dortoir, je porte mes chaussures faites à la main, que nous avions apportées de notre pays. Je ne les serre pas autant qu’avant, et ça va. Le plancher est toujours froid, même si on porte des chaussettes et des chaussures bien chaudes.

Autre chose …

Je crois que je suis devenue une vrai Canadienne, car maintenant, j’aime ma culotte. Elle me tient le derrière bien au chaud!