Выбрать главу

J’ai refait le collier d’Irena. Il est très différent maintenant, car j’ai utilisé toutes les perles jaunes et blanches originales que Stefan m’avait aidé à retrouver et aussi les perles que la vieille femme pikogan m’a données (des jaunes, des bleues et quelques rouges, mais aucune blanche). La perle de Venise rouge avec le motif d’oiseau en vol est superbe sur ce collier. J’ai peur de le porter, de crainte de le perdre, mais je l’ai montré à Stefan, et il trouve que j’ai fait du beau travail.

Dimanche 20 juin 1915

Cher journal, aujourd’hui, nous avons reçu d’autres vieux journaux pour les toilettes. Avant de les déchirer en lanières, Mary a lu à voix haute les articles de la première page. Dans l’un d’eux, on disait que les Russes avaient remporté une victoire en Galicie, qui a fait des milliers de morts. Je me demande combien de ceux-là sont nos compatriotes. J’ai du mal à imaginer que tant de gens soient morts. Le meurtre de M. Gregoraszczuk était déjà effrayant, alors « des milliers », c’est un vrai cauchemar!

Il y avait aussi un article à propos d’écoliers qui sont en train de ramasser des tonnes de pièces de monnaie (des cents) à envoyer à la Croix-Rouge pour aider à soigner les soldats blessés. Si j’avais 1 ¢, je l’enverrais à la Croix-Rouge. J’espère que l’organisme soigne les soldats des deux côtés.

Jeudi 24 juin 1915, la Saint-Jean

La Saint-Jean, c’est ce que disent les gens d’Amos pour nommer la fête de saint Jean-Baptiste. Les hommes ont eu congé tout l’après-midi. Je me demande s’il y a un défilé à Amos.

Samedi 26 juin 1915

Lyalya est toujours à l’hôpital. Je croyais qu’elle allait mieux.

Lundi 28 juin 1915

Aujourd’hui, j’ai reçu une autre lettre de Maureen! Presque tout ce qu’elle a écrit a été permis par la censure, car je peux tout lire sauf deux lignes. Voici sa lettre.

221-1 (devant), rue Grand Trunk

Montréal, Canada

Jeudi 17 juin 1915

Chère Anya,

Je suis contente que tu ne te trouves pas dans une cellule de prison. L’endroit où tu es semble magnifique, mais c’est quand même une prison. Quelle horreur, que l’affreux Howard Smythe soit soldat là-bas! Je me demandais où il était passé. L’école est presque finie. J’ai eu de bons résultats cette année, mais je n’ai pas d’amies. Tu me manques beaucoup. As-tu le temps de jouer avec tes poupées? J’espère que oui. Le gouvernement devrait tous vous laisser rentrer chez vous. Partout, on voit des enseignes demandant des travailleurs. L’usine où ton père travaillait n’arrive pas à trouver assez d’ouvriers, et la fabrique de vêtements non plus.

Dès que j’aurai fini l’école, et comme je vais bientôt avoir 14 ans, je vais essayer de me faire engager à la fabrique de vêtements. J’aimerais tellement pouvoir retourner à l’école l’automne prochain, mais combien de filles se rendent jusqu’en neuvième année?

Réponds-moi vite, s’il te plaît.

Ta grande amie,

Maureen

J’aime bien avoir des nouvelles de Maureen, et je suis contente que, pour une fois, elle me parle d’elle-même. C’est étrange, en effet, qu’il n’y ait plus assez d’ouvriers. Il y a quelques mois à peine, il y avait de longues queues aux soupes populaires. Je suppose que tous les ouvriers se sont enrôlés dans l’armée ou sont en prison comme nous.

Juillet 1915

Mercredi 7 juillet 1915

Oy! Cher journal, j’ai le cœur en miettes, au moment où j’écris ces mots. Lyalya est morte! Je croyais pourtant qu’elle allait mieux. Il y aura une croix de plus dans notre cimetière.

Jeudi 8 juillet 1915

Les hommes du camp des mariés ont eu droit à quelques heures de congé ce matin, afin de pouvoir assister aux funérailles de Lyalya. Son cercueil est si petit, cher journal! Quelle triste vie elle aura eue! Comme tu peux t’en douter, Natalka est très abattue, de même que M. et Mme Tkachuk. M. Tkachuk a découpé un morceau de tôle pour marquer la tombe de sa fille. Il s’est servi d’un clou pour graver son nom et sa date de naissance. Notre chère Lyalya ne tombera pas dans l’oubli.

Lundi 12 juillet 1915

Il fait très chaud. Je n’ai pas le cœur à écrire. Je suis encore toute bouleversée par la mort de Lyalya. Slava aussi a beaucoup de peine. Lyalya et elle n’étaient pas de grandes amies, mais elles étaient à peu près du même âge, et je pense que Slava est très troublée à l’idée que quelqu’un de son âge puisse mourir. Elle a déjà perdu sa mère, son père est devenu très bizarre, et maintenant, ceci. Oy!

Mercredi 14 juillet 1915

Cher journal, nous avons reçu d’autres vieux journaux pour les toilettes. Ils datent d’il y a une semaine, et les manchettes parlent des Russes qui se battent en Pologne. C’est encore très près de la Galicie, et j’ai beaucoup de peine en lisant ça. On dit aussi que le théâtre de la guerre s’est déplacé hors de la Galicie. C’est triste qu’il y ait encore la guerre, mais je suis soulagée de savoir qu’elle ne se déroule plus tout près de mon ancienne maison.

Mardi 20 juillet 1915

Dans les vieux journaux que nous avons reçus aujourd’hui, il y avait des titres à propos de héros de la guerre originaires du Canada. Je me demande comment va le frère de Stefan. L’armée s’est-elle rendu compte qu’il n’était pas canadien? Je m’interroge aussi au sujet du frère de Mary. Je parie qu’ils sont tous les deux des héros.

Samedi 31 juillet 1915

Nous nous sommes enfoncés dans une routine monotone, alors il n’y a pas grand-chose à raconter. La nourriture n’est pas bonne, et on fait travailler nos hommes très fort. Il ne fait pas aussi chaud ici qu’à Montréal, et il pleut rarement.

Je passe mes journées avec Mary, à jouer avec les petits et à leur faire la classe. À la fin de l’après-midi, je fais du raccommodage pour des gens. Me voilà bien punie d’être habile de mes mains! Chaque dortoir a reçu un autre rouleau de tissu, alors nous pouvons confectionner d’autres vêtements. J’ai eu un peu de temps pour travailler à mon trousseau et j’ai presque fini mon rushnyk. J’ai fait une nouvelle chemise pour Tato, et il l’adore. En ce moment, quand je ne travaille pas à mon rushnyk, je confectionne une chemise pour Stefan.

Août 1915

Dimanche 1er août 1915, l’après-midi

Hier j’ai oublié de te mentionner que Mykola était excellent en arithmétique. Mary dit qu’il est le meilleur parmi les petits. Aujourd’hui, les hommes jouaient aux cartes dans notre dortoir, et Tato a assis Mykola sur ses genoux pendant qu’il jouait. Mykola a appris le jeu si rapidement que les hommes l’ont laissé jouer avec eux comme un grand. C’était très drôle à voir, un petit de sept ans assis là à jouer aux cartes en fronçant les sourcils comme un vieux monsieur sérieux!