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Septembre 1915

Jeudi 2 septembre 1915

Cher journal, j’ai eu du mal à trouver du temps pour t’écrire parce que nous faisons le grand nettoyage dans notre dortoir. Toutes nos couvertures et tous nos vêtements ont été souillés par la fumée. J’ai les mains toutes gercées à force de les laver. On a déjà construit un nouveau dortoir à moitié et, en attendant qu’il soit prêt, les hommes de ce bâtiment vont dormir dans le camp principal, tandis que les femmes et les enfants sont répartis dans les autres dortoirs.

Samedi 4 septembre 1915

Toujours en train de nettoyer. Je ne peux pas en écrire plus parce que j’ai trop mal aux mains.

Mercredi 15 septembre 1915

Cher journal, tu te souviens sans doute du soldat Palmer et de son appareil photo? Aujourd’hui, il est venu nous montrer d’autres photos. Il y en a une de Lyalya avant qu’elle tombe malade. Il l’a donnée à Natalka pour qu’elle puisse se remémorer sa sœur quand les choses allaient mieux. C’était vraiment très gentil de sa part. C’est le plus gentil de tous les soldats qui sont ici.

Jeudi 23 septembre 1915, après le souper

On nous a donné d’autres journaux pour les cabinets et, bien sûr, nous avons gardé les parties qui étaient encore lisibles avant de les découper en lanières. Je croyais que la guerre ne se déroulait plus en Galicie, et c’était vrai, mais maintenant, les Russes ont réussi à faire reculer les Autrichiens, et la guerre a recommencé à faire rage en Galicie. Je suis morte d’inquiétude. Est-ce qu’il reste encore un seul survivant chez nous?

Mardi 28 septembre 1915, à l’aube

Cher journal, la température est descendue au-dessous de zéro trois nuits de suite. Au moins, les mouches noires sont parties. Mary et moi devons trouver quelque chose d’autre à faire avec les petits, car nous n’avons plus rien à leur enseigner. Je crois que nous devrions les laisser courir dehors et s’amuser. Après tout, il fait encore doux, mais ça ne durera pas très longtemps. Si nous avions une balle et des bâtons, nous pourrions jouer au hockey.

Plus tard

Mary dit que nous devrions apprendre aux plus grandes à raccommoder et à tricoter. Pas bête, comme idée! Elles n’auraient pas besoin d’en faire trop longtemps : une heure par jour, peut-être.

Octobre 1915

Lundi 4 octobre 1915

À Spirit Lake, on dirait que, quand il pleut, c’est toujours à torrents. Le temps est sec pendant des jours et des jours, puis la pluie se met à tomber comme des cordes. Il y a de la boue partout, et les petits ne peuvent pas aller jouer dehors.

Mardi 5 octobre 1915

Cher journal, mon petit frère futé a inventé un jeu avec un jeu de cartes qu’il avait fabriqué lui-même. On place toutes les cartes à l’envers sur la table, puis chaque joueur doit en prendre deux. Si elles totalisent huit ou moins, on les garde. Si le total est plus élevé, on doit les remettre à l’envers sur la table, à l’endroit exact où on les a prises. Les joueurs jouent ainsi à tour de rôle jusqu’à ce qu’il ne reste plus de cartes totalisant huit ou moins. C’est très amusant! Ce qui est encore mieux, c’est que les petits qui en avaient assez de l’arithmétique y prennent vraiment plaisir maintenant, et je crois qu’ils apprennent mieux les chiffres de cette façon.

Mercredi 13 octobre 1915

Aujourd’hui, quand Tato est revenu de la forêt, il avait l’air furieux. Il a dit que des hommes de son unité ont refusé de travailler parce qu’ils étaient trop fatigués. Les soldats les ont donc mis en isolement cellulaire. Tato dit que, pour compenser, le reste de l’unité doit abattre encore plus d’arbres. Ce n’est pas juste!

Jeudi 21 octobre 1915, au dîner

Les journaux semblent dire que « l’ennemi » s’en tire mieux que les Alliés, mais la bataille se déroule maintenant dans les Balkans et non plus en Galicie. Ce ne sont toujours pas de bonnes nouvelles, mais c’est mieux que les pires des mauvaises nouvelles. Pourquoi cette guerre ne prend-elle pas fin? Au fait, comment une guerre prend-elle fin?

Lundi 25 octobre 1915

J’ai enfin reçu une lettre d’Irena. J’étais si inquiète à son sujet. Je ne peux pas lire toute la lettre parce que des passages ont été raturés, mais dans ce qu’il reste de lisible, je crois comprendre que son voisin est encore dans un camp d’internement. Au moins, le père d’Irena n’a pas été arrêté. Le gouvernement a donné la ferme de leur voisin à une famille canadienne en prétendant que M. Feschuk l’avait abandonnée.

Oy! Cher journal, je suis contente que la famille d’Irena soit encore réunie et que son père n’ait pas été arrêté, mais j’ai beaucoup de peine pour leur voisin! Comment le gouvernement peut-il prétendre que M. Feschuk a abandonné sa ferme alors que c’est le gouvernement lui-même qui a ordonné qu’on l’emmène loin de là? Je trouve que ce n’est pas juste!

Novembre 1915

Dimanche 7 novembre 1915

Cher journal, quand nous avons reçu les journaux aujourd’hui, tout le monde s’est rassemblé dans un des dortoirs pour que nous puissions lire les articles ensemble, puis en discuter. La guerre fait toujours rage, mais on ne parle plus de la Galicie, alors j’espère que c’est bon signe. Une chose m’a rendue furieuse : le Canada reçoit des tas de commandes de munitions. Au total, l’industrie canadienne va vendre pour près d’UN DEMI-MILLIARD de dollars de munitions à la Grande-Bretagne! J’ai peur, quand je pense au nombre de personnes qui vont se faire tuer par ces munitions.

Jeudi 11 novembre 1915

Mama a reçu une lettre de Mme Haggarty! Mama dit que je peux la coller dans mon journal. La voici.

23, avenue Victoria

Montréal, Québec

Le 2 novembre 1915

Chère madame Soloniuk,

J’ai eu un entretien avec le maire, au cours duquel je lui ai exprimé mon vif mécontentement quant à la détention de votre famille. Il dit que la décision relève du gouvernement fédéral, et non pas des autorités municipales, et qu’il n’a pas le pouvoir d’intervenir. Toutefois, il a pris bonne note de ma plainte.

Je tiens à vous faire savoir que j’ai écrit aux autorités compétentes à votre sujet. À mes yeux, ce que le gouvernement a fait est absolument scandaleux, pas seulement ce qu’il a fait à votre famille, mais à tous les autres malheureux de votre nation.

Quand vous serez enfin relâchée de cette prison, je vous prie de me le faire savoir. Je vous réengagerai sur-le-champ.

À bientôt, j’espère.

Mme Albert Haggarty

Cher journal, Mme Haggarty utilise de bien grands mots, et j’ai du mal à comprendre ce qu’elle veut dire. Mary m’a expliqué que Mme Haggarty avait pris contact avec des gens importants afin de nous faire sortir d’ici! En tout cas, j’ai bien compris la dernière partie, à propos du travail de Mama. C’est une bonne nouvelle, ça aussi. Je trouve intéressant que rien n’ait été raturé dans la lettre de Mme Haggarty. C’est probablement parce que les gens de la censure n’ont pas compris ses grands mots, eux non plus.