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Samedi 20 novembre 1915

Nous avons reçu un journal daté de la semaine dernière, où on dit que les Russes ont emprisonné des armées entières. On dit aussi que « l’ennemi » veut mettre fin à la guerre, mais que les Alliés vont continuer à se battre jusqu’à ce que ce soit eux qui gagnent. Si les Autrichiens ne veulent plus se battre, est-ce que ça veut dire que les Alliés ont déjà gagné?

Dimanche 28 novembre 1915

Cher journal, je me sens très seule et triste. Il fait froid, et le vent entre par les fentes des murs de notre dortoir. Même mes couvertures ne sont pas suffisantes pour me tenir au chaud.

J’aimerais tant savoir où sont parties les femmes pikogan! Est-ce que le gouvernement les a arrêtées, elles aussi?

Je suis reconnaissante que notre famille soit réunie ici. Au moins, je sais que nous sommes tous en sécurité. Je suis heureuse aussi que Mary soit tout près. Je trouve que nous formons une bonne équipe quand nous nous occupons des petits. J’aimerais que Stefan n’ait pas à travailler autant. Je le vois rarement, sauf le dimanche. Je l’aime beaucoup plus qu’avant.

Mardi 30 novembre 1915

(froid et neigeux)

Oy! Cher journal, encore un autre journal et encore plus de pertes humaines. Les Russes ont fait pas moins de 10 000 prisonniers en Serbie.

Décembre 1915

Mercredi 8 décembre 1915

Il fait froid dehors et il est tombé beaucoup de neige la nuit dernière, mais les soldats continuent d’obliger les hommes à se rendre en forêt. C’est injuste! Ils n’ont même pas les bottes et les gants qu’il faut pour ces températures. Comment se fait-il que les soldats soient habillés bien chaudement, et pas nos hommes? Je ne crois pas …

Plus tard

Je suis à l’hôpital, assise au chevet de Stefan. Il s’est finalement endormi. Voici ce qui est arrivé quand j’ai interrompu mon écriture et que je suis partie en courant.

Il faisait si froid ce matin que les mains de Stefan se sont engourdies. Sa scie lui a glissé des mains et lui a fait une profonde entaille dans la jambe. Les hommes l’ont ramené au camp. Le docteur d’ici refuse souvent de soigner les prisonniers parce qu’il pense qu’ils viennent le voir pour se plaindre et ainsi obtenir un congé. Mais quand il a vu la jambe de Stefan, il a tout de suite su qu’il avait vraiment besoin d’un docteur.

Jeudi 9 décembre 1915

À l’hôpital

Tato m’a fabriqué un crochet en bois, et Baba m’a montré comment m’en servir. J’ai détricoté une couverture qui avait été abîmée dans l’incendie et j’en ai récupéré la laine. Je suis en train de crocheter une paire de gants pour Stefan, tandis qu’il somnole. Quand il se réveille, nous parlons. Parfois, je lui lis le journal.

D’un côté, je suis triste que Stefan se soit blessé et qu’il soit obligé de rester à l’hôpital, mais de l’autre, je m’en réjouis. Il a la chance de pouvoir se reposer, et on lui donne davantage à manger. En plus, le docteur a découvert qu’il n’était pas aussi âgé que tout le monde le pensait, alors quand il sortira de l’hôpital, il n’aura pas à retourner dans la forêt. Stefan a dit qu’il voulait rester auprès de son père, mais le docteur a répliqué que ce n’était pas une bonne idée. Il a dit qu’il pourrait lui trouver un travail ici. Je serais drôlement contente si ça marchait!

Vendredi 10 décembre 1915

Cher journal, la jambe de Stefan n’est toujours pas très jolie à voir. Je lui ai lu des articles dans un des journaux que le docteur avait à l’hôpital. Il était daté de samedi dernier. On dit que l’armée a quitté Lviv, en Galicie, parce que les gens souffraient du scorbut là-bas. Le docteur m’a expliqué que le scorbut était une maladie que les gens attrapaient quand ils n’avaient pas assez de fruits et de légumes à manger.

Dimanche 12 décembre 1915, le matin

Le prêtre d’Amos est venu et il a dit la messe à l’hôpital, alors Stefan a pu y assister. La Mama de Stefan, ma Mama et d’autres prisonnières sont venues entendre la messe ici, elles aussi. Ce n’est que plus tard que je me suis aperçue que Stefan était le seul homme sur place! Par la suite, il m’a dit qu’il n’y aurait pas assisté s’il avait eu le choix. Pourquoi les hommes n’aiment-ils pas aller à l’église?

Mercredi 15 décembre 1915

Stefan se sent mieux. Il peut se lever et marcher un peu. Sa jambe n’est toujours pas très belle à voir, mais il a dit qu’il n’avait plus mal. Je lui ai montré le jeu de cartes que Mykola a inventé, et Stefan aime beaucoup y jouer. Depuis qu’il est à l’hôpital, nous avons eu beaucoup de temps pour parler. Tu ne devineras jamais, cher journal. Il a dit qu’il m’avait aimée dès le premier instant où il m’avait vue. Il m’a demandé si c’était la même chose pour moi. Je lui ai répondu que non, car c’est la vérité. Pendant longtemps, je n’aimais pas Stefan, mais maintenant, il m’est très cher.

Dimanche 19 décembre 1915

Le jour de la Saint-Nicolas

Cher journal, c’est bête à dire, mais je dois avouer que, même si je suis prisonnière, c’est la plus belle fête de Saint-Nicolas de toute ma vie! Ma famille est réunie, et nous sommes en sécurité. Stefan est sorti de l’hôpital et il ne boite pas trop. Son père a insisté pour qu’il accepte le travail que le docteur lui a trouvé. Il s’occupe donc de l’entretien à l’hôpital, ce qui est beaucoup plus sécuritaire et il y fait plus chaud que dans la forêt. J’aimerais tant que Tato et M. Pemlych se voient aussi offrir un travail sécuritaire!

Je suis contente parce que j’ai trouvé le moyen de faire un cadeau à tous mes amis et à toute ma famille. Voici ce que je leur ai offert :

Mama – une écharpe au crochet

Baba – la même chose

Tato – des gants crochetés, à porter sous ses mitaines quand il travaille

Mykola – une chemise bordée de broderie

Slava – un corsage bordé de broderie

Stefan – Je lui ai fait une paire de gants, mais il les a donnés à son père, alors je lui ai fait une autre chemise avec un peu de broderie. Il l’adore!

Mary – un mouchoir brodé

J’ai aussi donné un mouchoir brodé au soldat Palmer.

Au cas où tu te demanderais où j’ai trouvé tout le tissu pour confectionner ces cadeaux, rappelle-toi que le commandant voulait un mouchoir brodé. Au lieu de me faire payer en argent, je lui ai demandé de me donner d’autre tissu. Mama a teint les fils à broder avec ses teintures. Quant aux gants, je les ai faits avec la laine que j’avais récupérée des couvertures enfumées.

J’ai préparé quelque chose de très spécial pour les femmes pikogan. J’espère les revoir bientôt.

Plus tard

Dans mon excitation à te raconter tout ce que j’ai donné aux autres, j’ai oublié de te dire ce que j’ai reçu, moi! Tato a continué de construire ma maison de poupée et a aussi fabriqué d’autres petits meubles. Mama m’a donné une magnifique chemise de nuit brodée qui vient de son trousseau, et Baba m’a offert la cuillère d’argent qui est dans la famille depuis toujours. J’étais très surprise! Je suis bien contente que les soldats n’aient pas trouvé cette cuillère! Je l’ai maintenant cachée dans un endroit sûr. Je peux dire, en regardant mes cadeaux, que Tato veut que je reste une petite fille, tandis que Mama et Baba voient déjà que je suis presque devenue une femme.