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Il est encore plus difficile de comprendre pourquoi le Canada a décidé de contraindre aux travaux forcés des gens qui n’avaient rien fait de mal. Certaines municipalités voulaient tout simplement tirer profit de cette main-d’œuvre bon marché et, en même temps, éviter d’avoir à les soutenir financièrement. Deux ans après la fin des hostilités, des centaines d’hommes étaient toujours détenus dans les camps.

Quand les prisonniers ont été relâchés, ils s’attendaient à récupérer leurs effets personnels, mais dans bien des cas, ce n’est pas ce qui est arrivé. De plus, on avait dit aux hommes que, durant leur internement, ils recevraient un salaire quotidien de 25 cents, ce qui correspondait au tarif accordé aux prisonniers de guerre (c’est-à-dire les soldats ennemis faits prisonniers), pour les travaux qu’on les forçait à exécuter. Ce montant était nettement inférieur au salaire journalier normal de l’époque. Malgré cela, nombreux sont ceux qui n’ont jamais reçu cette somme dérisoire. À leur libération, beaucoup des prisonniers étaient amers. Certains ont même quitté le Canada.

Des Allemands ont aussi été internés au Canada, durant la Première Guerre mondiale. Mais, à l’opposé des Ukrainiens qui étaient considérés comme des gens « de seconde classe » et forcés de travailler dans des conditions souvent abominables, les Allemands jouissaient vraiment d’un statut de « première classe ». Ils n’avaient pas à travailler, et certains vivaient dans de petites maisons plutôt que dans des baraquements. Ils pouvaient emmener des domestiques avec eux, et certains avaient même un jardin privé. On leur versait aussi une allocation qu’ils pouvaient utiliser pour acheter du thé, des friandises, du tabac et d’autres biens de luxe. Un de ces prisonniers allemands a même réussi à apporter sa provision personnelle de caviar!

Des 24 camps qui ont été établis, seul celui de Spirit Lake a accueilli des femmes et des enfants ukrainiens. Ailleurs, c’étaient principalement des hommes célibataires. Le camp de prisonniers de Vernon, en Colombie-Britannique, a hébergé quelques Allemands avec leurs femmes et leurs enfants, mais comme ils étaient considérés comme des prisonniers « de première classe », leurs conditions de détention étaient plus qu’acceptables. Les prisonniers ukrainiens du même camp étaient tous des hommes et ont tous été traités comme des prisonniers de « seconde classe ».

En 1917, alors que la guerre se poursuivait toujours, le gouvernement a retiré le droit de vote aux Ukrainiens qui n’avaient pas été naturalisés avant 1902, de crainte de perdre les élections. Ces citoyens n’ont récupéré leur droit de vote qu’en 1919.

Reconnaissance et indemnisation

De nombreux prisonniers internés dans des camps, durant la Première Guerre mondiale, étaient si amers et si humiliés qu’ils ont caché cette partie de leur histoire à tout le monde, même à leurs propres enfants. De plus, le gouvernement a détruit tous les dossiers d’internement, sauf les dates de libération des prisonniers. Ces premières opérations de détention effectuées par le gouvernement du Canada ont été révélées en 1977 par Lubomyr Luciuk, à la suite de recherches qu’il avait faites à propos de la géographie historique des Ukrainiens de Kingston. Par la suite, un organisme ayant pour nom la Ukrainian Canadian Civil Liberties Association (association pour les droits et libertés des Canadiens d’origine ukrainienne) a demandé au gouvernement fédéral de reconnaître que ces opérations de détention avaient été injustes et de s’engager à ne plus jamais emprisonner qui que ce soit, à cause de son pays d’origine.

Pendant huit ans, Inky Mark, député conservateur du comté de Dauphin-Swan River-Marquette au Manitoba, a fait des pressions sur le gouvernement pour que celui-ci admette l’internement des Ukrainiens. En novembre 2005, juste avant la chute du gouvernement libéral, le projet de loi C-331 émanant du député Inky Mark a été adopté.

Suivant les dispositions de cette loi, le Canada est tenu de reconnaître que des milliers de Canadiens d’origine ukrainienne ont été injustement internés et privés de leur droit de vote au Canada durant la Première Guerre mondiale; de fournir des fonds afin que puissent être commémorés publiquement les préjudices subis par ces Canadiens; et de produire du matériel didactique portant sur cette sombre période de l’histoire du Canada. En 2006, le gouvernement conservateur a réservé deux millions et demi de dollars pour financer des plaques commémoratives et d’autres projets visant à rappeler ces événements. Le but de l’opération est de faire connaître à tous les Canadiens cet épisode des premières opérations de détention effectuées par le gouvernement canadien, afin que plus jamais le Canada n’emprisonne une personne, en raison de son pays d’origine.

Images et documentation

Fig. 1 : Cette affiche du ministère de l’Immigration du Canada, écrite en ukrainien, promet 160 acres de terre à ceux qui voudront venir s’installer au Canada et dit aussi que, dans l’Ouest canadien, il y a 200 millions d’acres de terre à distribuer.

Fig. 2 : Immigrants galiciens dans une gare, après leur arrivée au Québec, en 1905.

Fig. 3 : Classe ukrainienne en Alberta, en 1920

Fig. 4 : Terrain d’exercice, au centre du camp d’internement de Spirit Lake. À l’avant-plan, on peut voir un mur de pierres construit par les prisonniers. À l’arrière-plan se trouvent des bâtiments destinés aux soldats, dont deux baraquements.

Fig. 5 : Prisonniers en train de scier du bois, près du camp de Spirit Lake

Fig. 6 : Groupe de travailleurs au camp d’internement de Castle Mountain, en Alberta, en 1915

Fig. 7 : Enfants internés à Spirit Lake

Fig. 8 : Prisonniers posant devant une des habitations du camp des personnes mariées, au camp d’internement de Spirit Lake

Fig. 9 : Femmes et enfants internés à Spirit Lake. Au centre de la photo, on voit un soldat du camp.

Fig. 10 : Prisonnier en train de pelleter un banc de neige qui est plus haut que lui

Fig. 11 : Ce carnet de la milice du camp de Spirit Lake décrit la vie quotidienne des prisonniers. La plupart des documents appartenant au gouvernement canadien ont été détruits. John Perocchio a trouvé celui-ci en 1996, dans un marché aux puces. Il l’a payé 50 ¢.

Fig. 12 : Dans le carnet n° 60 de la milice sont consignés, pour chaque prisonnier : l’âge, la taille, la pointure, le matériel fourni, etc. Sur la page ci-dessus, le nom d’un enfant mort au camp a été raturé.

Fig. 13 : Morceau de tôle poinçonné, utilisé pour marquer une tombe et retiré du cimetière des prisonniers de Spirit Lake, en 1945. L’inscription en polonais dit ceci : « Ci-gît Jan Babi, mort le 29 mars 1916 ».