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C’est difficile de s’y retrouver, avec l’argent canadien. Il y a des pièces en métal et des dollars en papier, au lieu des kronen, comme chez nous. Sur chaque pièce et chaque billet, il y a un chiffre qui nous indique sa valeur.

Hier, nous avons dépensé 5 $ et 90 ¢ au magasin général. C’est plus que la moitié du salaire que Tato gagne chaque semaine. Heureusement que Mykola et Baba n’ont pas besoin de vêtements canadiens tout de suite!

Voici ce qui s’est passé.

Une dame qui s’appelle Lydia nous a aidées. Je n’aurais jamais deviné qu’elle venait de notre pays, car elle portait une longue jupe noire avec un chemisier blanc à col montant.

Elle nous a aidé à choisir des chaussettes, des chaussures et un chemisier pour Mama. Puis elle nous a expliqué que les Canadiennes portaient une culotte. Ça ressemble à un pantalon d’homme qu’on aurait coupé à la hauteur des genoux. Je ne comprends pas pourquoi nous sommes obligées d’acheter des culottes, surtout quand nous avons si peu d’argent. Mais Mama dit que nous sommes devenues canadiennes et que nous devons faire les choses comme les Canadiennes.

Ces culottes vont nous compliquer la vie dans les cabinets!

Nous avons rapporté deux sacs d’articles à la maison, mais ce que j’aime le plus, ce sont mes chaussures neuves. Elles sont faites de beau cuir noir. Elles se lacent sur le devant et montent au-dessus de mes chevilles, alors j’imagine que je devrais les appeler bottines. Elles ont un petit talon et me font paraître plus grande. Je les adore!

Plus tard

Sur le chemin du retour, nous avons assisté à une scène étonnante. Il y avait deux dames habillées en blanc qui distribuaient du lait à des enfants. Quand nous sommes arrivées chez nous, Mama a demandé à la femme de Pemlych ce qui se passait là. À ce qu’il paraît, Mykola et moi avons droit à un pot de lait par jour. C’est formidable, non? Elle nous a raconté qu’il y avait eu un scandale au sujet du lait, à Montréal. Le lait vendu était impropre à la consommation, et des bébés en sont morts. La ville a donc organisé des centres de distribution de lait afin de procurer du bon lait aux enfants. Je suis très contente de savoir ça, car nous allons pouvoir économiser un peu!

Au lit

Baba a frotté et nettoyé toute la maison, puis elle a sorti le linge brodé et les coussins. Elle a accroché l’icône au mur, mais Tato a dit que nous devrions laisser tout ça derrière nous, maintenant que nous sommes au Canada.

Mama était en train de rouler de la pâte à pyrohy quand il a dit ça, et elle a froncé les sourcils. Tous deux sont allés dans la chambre, alors j’ai collé mon oreille contre la porte pour écouter. Baba et Mykola étaient à côté de moi.

Nous les avons entendus se disputer à propos de la religion, comme toujours. Tato a dit que la religion devrait rester dans notre vieux pays, mais Mama a répliqué : « Si tu ne veux plus aller à l’église, ça te regarde, mais Dieu aura toujours sa place chez nous. »

D’habitude, Mama laisse Tato croire que toutes les idées viennent de lui. La seule chose au sujet de laquelle je les entends se disputer, c’est la religion. Tato n’a plus rien dit pendant un bon bout de temps. Je l’entendais marcher de long en large dans la pièce. Puis la poignée de la porte s’est mise à tourner. À peine avons-nous eu le temps de nous enlever de là qu’il a ouvert la porte.

Il s’est tourné vers Baba et il lui a dit : « Tu peux laisser l’icône accrochée au mur. »

J’allais oublier! Mama m’a donné son coffre à trousseau! Il est fait d’un beau bois sombre, tout sculpté, et il sent si bon! Dido l’a fabriqué exprès pour elle quand elle avait mon âge. Elle dit qu’elle veut que je commence à broder du linge; ainsi je pourrai avoir un mariage traditionnel, même si je suis dans un nouveau pays. Il va me falloir du tissu et du fil à broder. J’ai hâte de commencer!

Il se passe tout plein de choses et il y aurait tant à écrire! Je suis bien contente que Tato m’ait donné un journal avec beaucoup de pages!

Samedi 9 mai 1914

Stefan est le garçon le plus mesquin et le plus affreux que j’aie jamais rencontré. En tout cas, je vais me venger, ça, c’est sûr! Voici ce qui s’est passé.

Le samedi, Tato travaille une demi-journée seulement; alors ce matin, quand il est parti pour l’usine, Mama s’est rendue au marché en plein air avec Baba, et moi, je suis restée avec Mykola. Il n’y a pas de place pour jouer à l’intérieur, alors j’ai emmené Mykola dehors pour jouer au chat dans l’escalier. J’aimais bien le voir rire et s’amuser. En plus, j’adore rester dehors avec mon frère, sans Mama ni Baba pour me dire quoi faire. Mais là, Stefan est arrivé. Il portait un grand sac vide, en toile, mais je ne sais pas pourquoi.

– Stefan le boutonneux.

– Stefan le mesquin.

– Stefan je-sais-tout.

Il s’est moqué de moi parce que je portais ma jupe brodée et il a même ri du joli collier de perles qu’Irena m’avait donné. Il a dit que j’avais l’air d’une « sale immigrante ». Je lui ai demandé ce que ça voulait dire, et il a répondu que c’était le nom que donnaient les Canadiens aux Ukrainiens, parce que les Ukrainiens ne se lavent pas.

Pourtant, il sait très bien qu’on se lave! J’ai répondu : « Peut-être que c’était sale dans ton village, mais c’était propre dans le mien. »

Il a répliqué : « Même une fois lavée, tu pues encore l’ail. »

À ce qu’il paraît, les Canadiens n’aiment pas l’ail. Je lui ai dit que, si j’étais une sale immigrante, alors lui, il était un sale immigrant. Il a répondu qu’il était devenu canadien parce qu’il parle le français et l’anglais. Mais il mange encore de l’ail, et il me tape sur les nerfs.

Je me suis mise à crier, et il est parti.

Le soir

Je suis pelotonnée de mon côté du lit et j’ai juste assez de lumière pour écrire, car le réverbère éclaire ma fenêtre. Stefan est venu frapper à notre porte après le dîner. Il tenait une balle et deux bâtons. Il s’est excusé d’avoir été méchant et il a demandé si nous voulions venir jouer au hockey dans la rue. Mama a dit que Mykola devait faire sa sieste, mais que je pouvais y aller si j’en avais envie.

J’aurais dû refuser, mais je voulais savoir ce que c’était, le hockey. Il n’y a pas de place pour jouer, dans notre rue. Je suis toujours épatée par le nombre de chariots remplis de barils, de boulons et de toutes sortes d’objets en métal, qui passent devant chez nous. Je crois que c’est à cause de toutes ces usines dans notre rue et aussi parce que les bateaux ne sont pas loin.

En tout cas, Stefan m’a emmenée à deux rues de chez nous, là où il y a un grand bâtiment avec un immense terrain de terre battue où on peut jouer. Il m’a dit que c’était là qu’il allait à l’école. C’est l’école Sarsfield.

Nous avons joué au hockey pendant quelque temps. Il faut frapper la balle avec un bâton. Stefan a dit que nous ne jouions pas vraiment au hockey, que nous ne faisions que nous échauffer. J’aimais bien ça, jusqu’au moment où il a commencé à frapper la balle si fort que je n’arrivais plus à l’arrêter avec mon bâton. Alors, il a dit que je jouais au hockey comme une sale immigrante.

Puis des garçons sont arrivés et ils ont dit quelque chose en anglais à Stefan. Il m’a enlevé le bâton des mains et m’a laissée plantée là, comme un poireau! C’était mesquin, surtout que je ne connais pas bien les environs.

Pourquoi n’ai-je pas encore rencontré de filles? Je me demande si je vais aller à l’école Sarsfield. Tato pourra me le dire.