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– Ce sera votre version des faits, mais en attendant c’est moi qui détiens l’antidote.

Alice prit dans la poche de la veste de son tailleur un petit flacon qui contenait un liquide légèrement ambré. Elle dit à Jonathan qu’il serait impossible aux médecins de détecter la moindre trace du poison qu’elle avait versé dans le verre de Clara, avant comme après sa mort. Il n’avait d’autre moyen de la sauver que de suivre ses instructions à la lettre. Le mariage avec sa fille réunirait demain toute la haute société de Boston. Il n’était pas question pour elles de supporter l’affront d’une annulation de dernière minute. Clara et lui avaient déjà déshonoré son mari, elle ne tolérerait pas qu’ils recommencent avec sa fille. À midi, Jonathan épouserait Anna. Après la cérémonie, elle irait rendre visite à Clara et lui administrait l’antidote.

– Et pourquoi vous croirais-je ? demanda Jonathan.

– Parce que le temps qui vous reste ne vous laisse guère d’autre choix ! Maintenant sortez de chez moi. Nous nous verrons demain à l’église.

*

La chambre d’hôpital baignait dans une lumière laiteuse. Peter était assis sur une chaise auprès du lit. Une infirmière entra pour faire un nouveau prélèvement. Elle débrancha la perfusion et fit se succéder six petits tubes de verre au bout de l’aiguille plantée dans le bras de Clara. L’une après l’autre, les éprouvettes se remplissaient d’un liquide de plus en plus fluide et de moins en moins rouge. Dès qu’elles étaient pleines, elle les rebouchait, les secouait énergiquement avant de les déposer sur un petit réceptacle prévu à cet effet. Quand le dernier fut plein, elle remit la perfusion en place, ôta ses gants et alla les jeter dans la poubelle réservée aux déchets médicaux. Pendant qu’elle avait le dos tourné, Peter prit un des tubes et le mit au fond de sa poche.

*

Après le départ fracassant de Jonathan, Anna était sortie de la remise où elle s’était cachée. Elle était assise dans le fauteuil et regardait fixement sa mère.

– À quoi sert tout ça maintenant ? Il divorcera aussitôt.

– Ma pauvre fille, répondit Alice. J’ai encore tellement de choses à t’apprendre ! Demain, il t’aura épousée, on ne divorce pas devant Dieu. En prononçant son vœu alors que Clara sera en train de mourir, il rompra le serment qui les lie tous les deux. Cette fois, ils seront séparés à jamais.

Alice dévissa le bouchon du flacon d’antidote et en versa le contenu au creux de sa main. Elle frotta aussitôt sa nuque.

– C’est mon parfum ! dit-elle d’une voix enjouée. Je lui ai menti !

Anna se leva et, sans dire un mot, prit son sac et se dirigea vers l’entrée. Elle regarda sa mère, songeuse, et referma la porte.

– À moi aussi tu as menti, dit Anna, triste, en sortant de l’immeuble.

*

Jonathan entra dans la chambre et Peter les laissa seuls.

Il s’assit sur le lit et posa ses lèvres sur le front de Clara.

– Tu vois, je t’embrasse et nous restons au présent, murmura-t-il la gorge serrée.

Les yeux de Clara s’entrouvrirent, et dans un sourire pâle, elle réussit à prononcer quelques mots.

– Il faut dire que je n’ai plus beaucoup de forces, tu sais.

Elle resserra ses doigts sur la main de Jonathan et poursuivit d’une voix faible.

– Nous n’aurons même pas pu faire cette promenade sur les quais de ton vieux port.

– Je t’emmènerai là-bas, je te le promets.

– Il faut que je te raconte la fin de notre histoire, mon amour, je la connais maintenant que je l’ai rêvée cette nuit.

– Je t’en supplie, Clara, garde tes forces.

– Sais-tu ce que nous avons fait quand Langton a fui le manoir ? Nous y avons fait l’amour ; jusqu’à la fin de nos deux vies nous n’avons cessé de faire l’amour.

Elle ferma les yeux et son visage se teinta de la douleur qui l’emportait.

– En m’adoptant, Langton avait fait de moi son héritière. À force de travail nous avons pu rembourser ses dettes et conserver la demeure. Nous nous y sommes aimés, Jonathan, et jusqu’au dernier jour. Quand tu t’es éteint, je t’ai couché au pied du grand arbre. J’ai caché le tableau dans les combles et je me suis allongée tout contre toi, jusqu’à ce que la vie veuille bien me quitter à mon tour. Et au cours de cette seule nuit sans toi, j’ai fait le serment de continuer à t’aimer même après ma mort et de te retrouver où que tu sois. Tu vois, j’ai tenu parole, et toi aussi.

Étouffé de chagrin, il entoura Clara de ses bras et mit sa tête au creux de son épaule.

– Ne dis plus rien, je t’en prie, repose-toi, mon amour.

– Si tu savais comme je t’aime, Jonathan. Aucune minute sans toi ne valait la peine d’exister. Écoute-moi, je crois que j’ai peu de temps. Ces dernières semaines auront été les plus belles de ma vie, rien de ce que je n’avais vécu ne valait le bonheur que tu m’as donné. Il faudra que tu me promettes d’être heureux maintenant toi aussi. Je veux que tu vives, Jonathan. Ne renonce pas au bonheur. Il y a tant d’émerveillements au fond de tes yeux. Nous nous retrouverons un jour, peut-être encore une fois.

Les yeux de Jonathan s’emplirent de larmes. Dans un ultime effort, Clara leva la main pour caresser sa joue.

– Serre-moi un peu plus fort mon Jonathan, j’ai si froid.

Ce furent ses derniers mots. Les yeux de Clara se fermèrent doucement et son visage s’apaisa peu à peu. Son cœur battait faiblement. Jonathan la veilla sans relâche tout au long de la nuit. Il la tenait contre lui et la berçait de tendresse. Sa propre respiration se calait aux mouvements de Clara. L’aube se levait et son état n’avait cessé d’empirer d’heure en heure. Jonathan posa un long baiser sur sa bouche, puis il se leva. Avant de quitter la chambre, il se retourna et murmura.

– Je ne te laisserai pas partir, Clara.

Quand la porte se referma, le sang qui fuyait la peau de Clara teinta le drap qui la couvrait d’un pigment rouge. Ses longs cheveux encadraient son visage paisible. La lumière du jour qui entra par la fenêtre acheva de recomposer dans la pièce le tableau de La Jeune Femme à la robe rouge.

Peter arrivait au bout du couloir, il prit Jonathan par l’épaule et l’entraîna vers le distributeur de boissons chaudes. Il inséra une pièce dans la fente et appuya sur la touche café court.

– Tu vas en avoir besoin et moi aussi, dit-il en tendant la tasse à Jonathan.

– J’ai l’impression de vivre un cauchemar éveillé, dit Jonathan.

– J’espère que tu me vois dedans parce que moi aussi, soupira Peter. J’ai téléphoné à mon ami de la criminelle. Je lui enverrai par Fédéral Express l’échantillon de sang que j’ai emprunté à l’infirmière. Il va mettre les meilleurs techniciens de la police scientifique sur le coup, je te jure qu’on lui fera la peau, à cette ordure.

– Qu’est-ce que tu as raconté exactement à ton copain flic ? demanda Jonathan.

– Toute l’histoire, je lui ai même promis de lui adresser nos notes et une copie du cahier de Vladimir.

– Et il n’a pas voulu t’enfermer dans un asile de fous ?

– Ne t’inquiète pas, Pilguez est un spécialiste des dossiers bizarres. Il y a quelques années, il m’a raconté l’une de ses enquêtes à San Francisco à côté de laquelle notre cas fait figure de routine.

Jonathan haussa les épaules et se dirigea vers la sortie. Alors qu’il s’éloignait, Peter l’appela.

– Tout à l’heure, je serai à tes côtés, ne l’oublie pas, et même si votre histoire me fera passer pour un fou, quand nous aurons sauvé Clara, je témoignerai aussi.