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Tous les bancs de l’église Saint Stephen étaient occupés. La haute société bostonienne semblait s’être donné rendez-vous de part et d’autre de l’allée centrale. Deux voitures de police bloquaient les accès de Clark street pendant le temps de la cérémonie. Peter avait pris place, la mine sombre, à la droite de Jonathan. Les orgues résonnèrent et l’assemblée silencieuse se retourna. Anna étirait sa longue traîne vers la nef au bras de sa mère qui serait son témoin. La cérémonie du mariage commença à 11 heures. En s’asseyant à la gauche de sa fille, Alice adressa un sourire à Peter. Elle jubilait.

*

Le professeur Moore entra dans la chambre de Clara. Il s’approcha du lit et posa sa main sur son front. La fièvre ne cessait de monter. Il s’assit au bord du lit et soupira tristement. Il prit un mouchoir en papier sur la table de nuit et essuya le trait de sang qui s’écoulait d’une narine. Il se leva et ajusta le débit du liquide de perfusion. Les épaules lourdes, il ressortit de la pièce, refermant doucement la porte derrière lui. Clara ouvrit les yeux, elle gémit et se rendormit aussitôt.

*

La cérémonie durait depuis une demi-heure et le prêtre s’apprêtait à faire prononcer aux mariés leurs vœux. Il se pencha vers Anna et lui fit un sourire bienveillant. Mais elle ne le regardait pas. Les yeux emplis de larmes, elle fixait le visage de sa mère.

– Pardonne-moi, murmura-t-elle.

Elle détourna son regard vers Jonathan et prit sa main.

– Tu ne peux plus rien pour elle, Jonathan, mais tu peux encore quelque chose pour vous deux !

– Qu’est-ce que tu dis ?

– Tu as très bien compris, pars d’ici avant qu’il ne soit trop tard. Tu ne peux plus la sauver, mais tu peux encore la retrouver, file.

L’église entière résonna du hurlement de colère que poussa Alice Walton quand Peter et Jonathan se ruèrent dans l’allée. Le prêtre resta les bras ballants, et toute la salle se leva quand ils franchirent les grandes portes. Du haut du parvis désert, Peter interpella le policier adossé à son véhicule.

– Je travaille en couverture secrète pour le commissaire Pilguez de la criminelle de San Francisco, vous pourrez vérifier tout ça en route, c’est une question de vie ou de mort, emmenez-nous immédiatement au Boston Mémorial Hospital.

Les deux amis n’échangèrent aucun mot dans la voiture. La sirène de police ouvrait la route devant eux. Jonathan avait appuyé sa tête contre la vitre, les yeux embués, il regardait défiler au loin les grues du vieux port. Peter le prit sous son épaule et le serra contre lui.

Quand ils arrivèrent devant la chambre de Clara, Jonathan se retourna vers son meilleur ami et le regarda longuement.

– Est-ce que tu peux me promettre quelque chose, Peter ?

– Tout ce que tu voudras !

– Quel que soit le temps que cela te prendra, il faudra que tu rendes justice à Vladimir. Jure-moi que, quoi qu’il arrive, tu iras jusqu’au bout. C’est ce que Clara aurait voulu.

– Je te le jure, nous le ferons ensemble, je n’abandonnerai pas.

– Il faudra que tu le fasses tout seul, mon vieux, moi je ne pourrai plus.

Jonathan ouvrit doucement la porte de la chambre. Dans la pénombre, Clara respirait faiblement.

– Tu veux quitter Boston ? demanda Peter.

– En quelque sorte, oui.

– Où comptes-tu aller ?

Jonathan prit son ami dans ses bras.

– Moi aussi, j’ai fait une promesse, tu sais. Je vais emmener Clara marcher le long des quais… la prochaine fois.

Il entra dans la pièce et referma la porte. Peter entendit le bruit de la clé qui tournait dans la serrure.

– Jonathan, qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-il inquiet.

Il tambourina contre le montant, mais son ami ne lui répondit pas.

Jonathan s’assit sur le lit auprès de Clara. Il enleva sa veste et remonta la manche de sa chemise. Il retira l’aiguille de la poche de perfusion et la fit pénétrer dans son propre bras, reliant leurs deux corps. Quand il s’allongea près d’elle, le sang de Clara coulait déjà lentement dans ses veines. Il caressa sa joue pâle et approcha sa bouche de son oreille.

– Je t’aime, sans savoir m’arrêter de t’aimer, sans savoir comment ni pourquoi. Je t’aime ainsi car je ne connais pas d’autre façon. Où tu n’existes pas, je n’existe pas non plus.

Jonathan posa ses lèvres sur la bouche de Clara et pour la dernière fois de sa vie, tout se mit à tourner autour de lui.

*

L’automne naissait à peine. Peter marchait seul sur les pavés du marché à ciel ouvert. Son téléphone portable sonna.

– C’est moi, dit la voix au bout du téléphone. On l’a coincée. Je t’avais promis les meilleurs experts du pays, et j’ai tenu parole, nous avons identifié la toxine. J’ai le témoignage du barman qui a formellement reconnu Mme Walton. Et puis je t’ai gardé le meilleur pour la fin, sa fille est prête à témoigner. La vieille ne sortira plus jamais de prison. Tu viendras à San Francisco un de ces jours ? Natalia serait contente de te voir, ajouta Pilguez.

– Promis, avant Noël.

– Que comptes-tu faire avec les tableaux ?

– Je vais tenir une promesse, moi aussi.

– Il faut quand même que je te dise quelque chose, mais je te jure que je garderai ça pour moi. Comme tu me l’avais demandé, j’ai fait comparer l’analyse ADN de ton dossier à celle de la jeune femme qui a été empoisonnée.

Peter s’arrêta de marcher, il retint sa respiration.

– Le labo est formel, les deux échantillons sont de filiation directe. En d’autres termes, le sang qui est sur la toile est celui de son père. Alors tu vois, avec les dates que tu m’as données, ça ne peut pas coller !

Peter appuya sur le bouton de son portable. Ses yeux s’inondèrent, il regarda le ciel et cria en sanglotant de joie :

– Tu me manques, mon vieux, vous me manquez tous les deux.

Il mit ses mains dans ses poches et reprit son chemin. Le long des quais, il souriait.

Quand Peter rentra à la résidence, il croisa Jenkins qui l’attendait sous l’auvent, deux valises étaient à ses pieds.

– Ça va, Jenkins ? dit Peter.

– Je ne saurai jamais comment vous remercier pour ce séjour que vous m’offrez. Toute ma vie j’ai rêvé de connaître un jour Londres. C’est le plus beau cadeau qu’on m’ait fait.

– Et vous avez bien conservé l’adresse et le numéro de téléphone que je vous ai remis ?

Jenkins acquiesça de la tête.

– Alors bon voyage, mon cher Jenkins.

Et Peter entra en souriant dans la résidence Stapledon tandis que Jenkins lui faisait un signe de la main en montant dans le taxi qui l’emmenait vers l’aéroport.

12.

Saint-Pétersbourg, bien des années plus tard…

La journée s’achevait, dans quelques minutes le musée de l’Ermitage fermerait ses portes. Les visiteurs qui se trouvaient dans la salle « Vladimir Radskin » se dirigeaient vers la sortie. Un gardien fit un signe discret à son collègue. Les deux hommes en uniforme se rapprochèrent discrètement d’un jeune couple qui quittait la pièce. Quand ils jugèrent que la situation le leur permettait, ils encadrèrent l’homme et la femme et les prièrent de les accompagner sans faire d’histoires. Devant l’insistance courtoise des agents de sécurité, les deux touristes, qui ne comprenaient pas ce qu’on leur voulait, acceptèrent de les suivre. Sous bonne escorte, ils traversèrent un long couloir et empruntèrent une porte dérobée. Après avoir gravi un escalier de service, non sans ressentir une certaine inquiétude au fur et à mesure qu’ils s’enfonçaient dans les profondeurs du bâtiment, on les fit pénétrer dans un grand bureau. Ils furent invités à prendre place autour de la table de réunion. Quelqu’un allait bientôt venir les voir. Un homme d’une cinquantaine d’années, portant un costume strict, entra et s’assit en face deux. Il posa un dossier devant lui qu’il consulta plusieurs fois tout en regardant le jeune couple.