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Plaisir d’amour ne dure qu’un moment…
Chagrin d’amour dure toute la vie!

Il avait les cheveux frisés à l’incroyable, une cravate blanche, une épingle de diamant sur son jabot, et des bagues à lacs d’amour. Ses mains étaient blanches et fines comme celles d’une jolie femme. Et, si j’avais été femme, je l’aurais aimé, malgré son âge; car sa voix allait au cœur.

Ce brave homme m’a rappelé mon père, qui, jeune encore, chantait avec goût des airs italiens, à son retour de Pologne. Il y avait perdu sa femme, et ne pouvait s’empêcher de pleurer, en s’accompagnant de la guitare, aux paroles d’une romance qu’elle avait aimée, et dont j’ai toujours retenu ce passage:

Mamma mia, medicate
Questa piaga, per pietà!
Melicerto fu l’arciero
Perchè pace in cor non ho!

Malheureusement, la guitare est aujourd’hui vaincue par le piano, ainsi que la harpe; ce sont là des galanteries et des grâces d’un autre temps. Il faut aller à Saint-Germain pour retrouver, dans le petit monde paisible encore, les charmes effacés de la société d’autrefois.

Je suis sorti par un beau clair de lune, m’imaginant vivre en 1827, époque où j’ai quelque temps habité Saint-Germain. Parmi les jeunes filles présentes à cette petite fête, j’avais reconnu des yeux accentués, des traits réguliers, et, pour ainsi dire, classiques, des intonations particulières au pays, qui me faisaient rêver à des cousines, à des amies de cette époque, comme si dans un autre monde j’avais retrouvé mes premières amours. Je parcourais au clair de lune ces rues et ces promenades endormies. J’admirais les profils majestueux du château, j’allais respirer l’odeur des arbres presque effeuillés la lisière de la forêt, je goûtais mieux cette heure l’architecture de l’église, où repose l’épouse de Jacques II, et qui semble un temple romain.

Vers minuit, j’allai frapper à la porte d’un hôtel où je couchais souvent, il y a quelques années. Impossible d’éveiller personne. Des bœufs défilaient silencieusement, et leurs conducteurs ne purent me renseigner sur les moyens de passer la nuit. En revenant sur la place du Marché, je demandai au factionnaire s’il connaissait un hôtel où l’on pût recevoir un Parisien relativement attardé. – «Entrez au poste, on vous dira cela», me répondit-il.

Dans le poste, je rencontrai de jeunes militaires qui me dirent: – «C’est bien difficile! On se couche ici à dix heures; mais chauffez-vous un instant.» On jeta du bois dans le poêle; je me mis à causer de l’Afrique et de l’Asie. Cela les intéressait tellement, que l’on réveillait pour m’écouter ceux qui s’étaient endormis. Je me vis conduit à chanter des chansons arabes et grecques, car la société chantante m’avait mis dans cette disposition. Vers deux heures, un des soldats me dit: – «Vous avez bien couché sous la tente… Si vous voulez, prenez place sur le lit de camp.» On me fit un traversin avec un sac de munition, je m’enveloppai de mon manteau, et je m’apprêtais à dormir quand le sergent rentra et dit: – «Où est-ce qu’ils ont encore ramassé cet homme-là? – C’est un homme qui parle assez bien, dit un des fusiliers; il a été en Afrique.

– S’il a été en Afrique, c’est différent, dit le sergent; mais on admet quelquefois ici des individus qu’on ne connaît pas; c’est imprudent… Ils pourraient enlever quelque chose!

– Ce ne serait pas les matelas, toujours! murmurai-je.

– Ne faites pas attention, me dit l’un des soldats: c’est son caractère; et puis il vient de recevoir une politesse… ça le rend grognon.»

J’ai dormi fort bien jusqu’au point du jour; et, remerciant ces braves soldats ainsi que le sergent, tout à fait radouci, je m’en allai faire un tour vers les coteaux de Mareil pour admirer les splendeurs du soleil levant.

Je le disais tout à l’heure, – mes jeunes années me reviennent, – et l’aspect des lieux aimés rappelle en moi le sentiment des choses passées. Saint-Germain, Senlis et Dammartin, sont les trois villes qui, non loin de Paris, correspondent à mes souvenirs les plus chers. La mémoire de vieux parents morts se rattache mélancoliquement à la pensée de plusieurs jeunes filles dont l’amour m’a fait poète, ou dont les dédains m’ont fait parfois ironique et songeur.

J’ai appris le style en écrivant des lettres de tendresse ou d’amitié, et, quand je relis celles qui ont été conservées, j’y retrouve fortement tracée l’empreinte de mes lectures d’alors, surtout de Diderot, de Rousseau et de Sénancourt. Ce que je viens de dire expliquera le sentiment dans lequel ont été écrites les pages suivantes. Je m’étais repris à aimer Saint-Germain par ces derniers beaux jours d’automne. Je m’établis à l’Ange Gardien, et, dans les intervalles de mes promenades, j’ai tracé quelques souvenirs que je n’ose intituler Mémoires, et qui seraient plutôt conçus selon le plan des promenades solitaires de Jean-Jacques. Je les terminerai dans le pays même où j’ai été élevé, et où il est mort.