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Là, le foudroyer sur place.

Si c’était si simple…

— Raphaël ?

Même cette voix lui fait mal.

— Raphaël ? Qu’est-ce qui se passe ?

Ça fait au moins dix fois qu’elle demande.

Qu’est-ce qu’il pourrait bien lui répondre ?

Qu’ils vont crever, tous les trois.

Que William est sans doute déjà mort, abattu par un fou.

Un fou qui va revenir pour lui, puis pour elle. Peut-être même la violera-t-il avant. Il perdra bien une demi-heure pour accomplir son phantasme le plus cher, Raphaël en est persuadé.

Que pourrait-il bien répondre à cette gamine effrayée, condamnée ?

Alors, Raphaël se tait.

Et continue à pleurer son frère en silence.

CHAPITRE 62

14 h 00

Le commissaire divisionnaire Lefèbvre commence à y voir plus clair dans cette histoire stupéfiante. Mais il y a tant de choses qu’il ignore encore…

Pour le moment, il sait seulement qu’après le casse de la place Vendôme, Raphaël, son frère et ses complices ont trouvé refuge chez Sandra et son oncle. Que ce dernier a réussi à les mettre hors d’état de nuire et les a séquestrés pour obtenir de l’argent en échange des bijoux. Et, qu’à défaut, William lui a proposé le prétendu butin d’un braquage se trouvant à Marseille.

Ce que Lefèbvre comprend, c’est que Raphaël est en danger de mort. Sinon, jamais il n’aurait pris le risque d’être retrouvé par la police.

Orgione fait partie de ces hommes qui préfèrent la mort à la prison, une fois qu’ils y ont goûté, le commissaire en est persuadé. Mais Raphaël n’est pas seul : il y a son jeune frère. Sans doute est-ce pour le sauver qu’il a imaginé ce brillant stratagème.

Il espérait certainement maîtriser cette Sandra — ou la séduire — pendant que l’oncle serait en garde à vue.

Et ce fameux oncle doit être particulièrement dangereux pour être parvenu à boucler les frères Orgione.

— Votre oncle a-t-il l’intention de tuer Raphaël et William ? Et leurs complices, où sont-ils ?

— Morts.

— Morts ? répète bêtement Lefèbvre.

— Oui, morts, confirme Sandra. Raphaël et Fred se sont battus, Raphaël a gagné…

— Et la jeune femme qui était avec eux ?

— Christel ? Elle est morte, elle aussi.

— C’est Raphaël qui l’a tuée ?

Là, Sandra ne répond pas. La digue résiste toujours par endroits, un peu par miracle.

Il y a des vérités qu’elle ne parvient pas encore à dire.

Dire qu’elle a vécu des années durant avec le pire des monstres.

Qu’elle en est un, elle aussi.

Dire que son oncle l’a déflorée alors qu’elle n’avait pas 13 ans. Qu’il est le seul homme avec qui elle ait couché.

Dire qu’il lui a fait deux enfants avant de les étouffer froidement à leur naissance.

Dire qu’il a séquestré, violé et massacré treize innocentes jeunes filles.

Qu’elle l’a regardé accomplir tous ces crimes. Sans jamais essayer de l’en empêcher.

Dire qu’elle y a même pris du plaisir, parfois.

Dire qu’elle est malade. Incurable, sans doute.

Comment avouer l’horreur de son existence à ces inconnus ?

L’horreur en elle, autour d’elle.

Le commissaire continue à la bombarder de questions.

Mais il n’obtiendra plus une seule réponse.

*

La terre expire une haleine blanche qui rend le décor irréel.

William a rouvert les yeux sur ce paysage hors du temps.

La douleur le cloue au sol. L’humidité dont regorge le tapis végétal s’insinue en lui, le glaçant jusqu’aux os. Il a si froid qu’il voudrait bouger, se lever.

En tournant la tête, il tombe sur le crâne fracassé de Patrick. Il réalise soudain que son bras droit effleure la main du cadavre. Il s’écarte d’un geste brusque qui déclenche une nouvelle salve de souffrances.

— Je l’ai tué, ce fumier… Je l’ai tué, Raph !

Raphaël.

Le libérer.

Jessica.

La sauver.

William sourit au ciel uniforme. Il a le sentiment d’être un héros.

Et les héros sont immortels.

Alors, il tente de se relever. Mais dès qu’il contracte ses abdominaux, une lance lui transperce le corps. Il parvient tout de même à rouler sur le côté et commence par fouiller les poches du macchabée pour dénicher le trousseau de clefs. Il dénoue la longe que Patrick lui avait passée autour du cou, la jette dans un buisson.

Puis, en prenant appui sur sa jambe droite, il se retrouve enfin debout.

Un exploit.

C’est alors qu’il voit le sang. Sur ses vêtements sales, sur les feuilles mortes.

Partout.

Son sang. Qui s’échappe de ses blessures à l’abdomen et à la jambe.

Le voilà à nouveau avec deux balles dans la peau.

Quatre en tout. Il a déjà battu le sinistre record de Raphaël. Et il est encore en vie.

Il s’appuie au tronc d’arbre le plus proche pour ne pas retomber. Les images s’emballent. Il est dans une centrifugeuse qui tourne à une vitesse prodigieuse.

Accroché à sa branche, il tente de trouver sa respiration.

Son sang continue de couler hors de ses veines, il presse une main tremblante sur son ventre. Au bout de quelques secondes, elle est entièrement rouge, chaude et visqueuse.

Il est en train de se vider.

Arriver à l’annexe avant qu’il ne soit trop tard. Voilà la seule chose à laquelle il doit penser.

Un pas, un autre. Encore un.

Pas plus de trois à la suite, sinon il s’écroulera.

À chaque arbre, il s’arrête, l’épaule appuyée contre le tronc.

— J’arrive Raph… J’arrive.

Pour se donner du courage, il imagine le regard de son frère, lorsqu’il entrera dans la geôle. Un regard empli d’admiration.

Enfin, il sera fier de lui.

Enfin, William sera l’égal de Raphaël.

Encore trois pas, la maison est si loin… Il essaie de se rassurer en songeant à ce qu’éprouvera son aîné.

Encore trois pas. Et, soudain, quelque chose de tiède remonte de ses entrailles, inonde sa bouche et coule entre ses lèvres.

Du sang.

Mais William continue, pas après pas.

Le froid, déjà en lui, le grignote, le harcèle. Le dévore.

Trois pas, encore. Un nouvel arbre pour prendre appui.

Putain de brouillard. Où est la maison ?

Tellement loin…

— J’arrive, Raph… J’arrive, t’en fais pas.

Son pied se pose sur une branche morte, il glisse. Ça fait si mal, qu’il lui semble chuter de plusieurs étages.

— J’arrive, Jessie. Je vais te sauver, ma chérie. Tu vas… pouvoir… rentrer chez toi.

Debout, à nouveau. Il marche encore.

Indestructible.

— Putain, on va être riches ! Richissimes ! Hein, Raph ?

C’est alors qu’il l’aperçoit enfin. Entre les ramures des arbres, en filigrane derrière le brouillard.

La ferme.

À moins que ce ne soit un mirage…

William sourit. Il essaie d’enchaîner plus que trois pas, se permet même d’accélérer.

Mauvaise idée.

Il tombe, d’encore plus haut que la première fois. À plat ventre sur le sol, il fixe la maison. Son unique repère. Le fil ténu qui le rattache au monde des vivants.