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Cette maison où l’attend son frère. Sa gloire.

Alors, il continue en rampant. Il se traîne sur le sol sans quitter le bâtiment des yeux.

S’il le perd de vue, il mourra. C’est certain.

Raphaël a cessé de pleurer son frère.

Parce que Patrick aurait dû revenir depuis longtemps.

William aurait-il réussi à s’enfuir ? À lui échapper ?

Le braqueur se cramponne à cet espoir nouveau. Au dernier qu’il lui reste.

Oui, Will a dû réussir à lui glisser entre les mains et ce salopard lui court après. À moins qu’il soit parvenu à le tuer ?

— Vas-y, mon frère ! Vas-y, massacre-le ! J’ai toujours su que tu étais le meilleur…

Il lui a fallu une éternité pour parcourir la distance. Parfois en rampant, parfois en marchant quelques pas.

S’il pouvait voir son visage dans un miroir, William verrait un cadavre.

Son cadavre. Son agonie.

Sa peau, d’une pâleur effrayante. Sa bouche, barbouillée d’hémoglobine, qui aspire l’air bien trop vite, bien trop fort.

Ses yeux, clairs, injectés de sang.

Pourtant, la maison est à portée. Mais chaque mètre est une épreuve surhumaine.

Sans cesse tomber. Se blesser davantage encore.

Sans cesse se relever. En laissant une empreinte écarlate sur le sol.

Arrivé enfin devant la remise, il se traîne jusqu’à la porte et parvient à s’asseoir contre le mur.

Il essaie d’ouvrir la poignée mais ses bras retombent sur ses cuisses.

Ses yeux se ferment, lentement.

Il est allé au-delà de l’épuisement.

Bien au-delà de ce qu’un homme peut endurer.

Ou prouver.

Alors, William s’endort, doucement.

Raphaël, 42 ans

Will, 28 ans

La lourde porte s’ouvre.

Raphaël connaît un instant d’hésitation. Comme s’il s’apprêtait à basculer dans le vide.

Il sent son sac peser au bout de son bras droit. Pourtant, il n’y a pas grand-chose dedans.

Pas grand-chose à rapporter de ce long voyage.

Des souvenirs, oui. Presque tous mauvais.

Dix ans et trois mois passés dedans.

Dix ans et trois mois de sa vie perdus. Gâchés. Dilapidés.

Enfin, il salue le maton d’un geste discret de la main et passe de l’autre côté.

C’est là qu’il aperçoit son frère.

Ils se dévisagent un instant, un léger sourire sur les lèvres. Tant d’émotion au fond des yeux.

Ils attendent ce moment depuis si longtemps.

C’est Will qui s’avance en premier tandis que Raphaël laisse tomber son sac pour pouvoir prendre son frère dans ses bras. Le serrer contre lui, de longues secondes.

William pleure, son frère lui sourit.

— Chiale pas, petit. Je suis là, maintenant. C’est fini.

William ramasse le sac, ils commencent à marcher, côte à côte.

Raphaël ne parle pas.

Qu’aurait-il à raconter, de toute façon ?

Dix ans d’une lente agonie.

Dix ans de coma.

— T’as envie de faire quoi ? demande enfin William.

Raphaël s’appuie contre le mur de la centrale.

Il a l’impression d’être sur un bateau.

Tant de lumière, tant d’espace. Tant de possibilités.

— T’as une caisse ?

— Oui, bien sûr ! C’est pas la grande classe, mais j’allais pas venir te chercher à pied quand même !

— Emmène-moi en ville. Je veux boire un café, quelque part.

— C’est parti.

Ils contournent la prison, se retrouvent sur le parking presque désert.

— C’est celle-là, dit William en pointant son index vers une vieille Golf.

Raphaël allume une cigarette et s’appuie sur le capot de la guimbarde. Les yeux fermés, il goûte à cet air nouveau, cet air de liberté.

Maintenant, il va falloir réapprendre.

Tout, ou presque.

Il ouvre les yeux sur le visage un peu inquiet de son frère. Sa seule famille, désormais.

— Ça va, Raph ?

— Oui. Oui, ne t’en fais pas.

Réapprendre la liberté.

Mais il ne sera pas seul.

Ils seront deux, toujours.

CHAPITRE 63

L’hélicoptère se pose dans un champ en jachère, non loin du village de Mermaisan, dont on aperçoit seulement le clocher.

Le crépuscule ne tardera plus.

Il gèle, ce mois de novembre est sans pitié.

Lefèbvre tient Sandra par un bras, la conduit prestement jusqu’au fourgon de la gendarmerie qui les attend à vingt mètres.

Elle ne voulait pas faire partie du voyage mais le flic ne lui a pas laissé le choix. Elle peut leur être utile. Pour négocier avec l’oncle ou préparer l’attaque.

La jeune femme est encore un peu groggy ; effet du calmant qu’il a fallu lui administrer pour la faire monter dans l’hélico. Ils l’enferment à l’arrière du fourgon, puis Lefèbvre fait un point rapide de la situation avec le colonel de gendarmerie dont les troupes ont déjà encerclé la demeure des Thuillier.

« Aucun signe de vie, aucun mouvement. On dirait que c’est désert. »

Lefèbvre est inquiet. Il prie pour que Raphaël Orgione soit toujours là. Pour qu’il n’ait pas pris la tangente.

Parce que le divisionnaire n’a pas envie d’avoir mobilisé une garnison de gendarmerie et un hélicoptère pour rien. Pas envie d’avoir fait de vaines promesses au ministre de l’Intérieur.

Pas envie de passer pour un con.

Envie de faire la une des journaux dès ce soir. Et pour les jours à venir.

Il grimpe à son tour dans le véhicule bleu, et pendant le court trajet qui les conduit à la ferme, il exige de Sandra des précisions sur l’agencement de la propriété.

Le médicament la rend docile, c’est le moment d’en profiter.

Et lorsqu’elle lui dit qu’il ne sait pas ce qu’il va trouver là-bas, il ne saisit pas l’allusion. Trop concentré sur l’arrestation d’Orgione.

Il est quatre heures et demie quand le colonel, sur ordre de Lefèbvre, donne l’assaut.

Sandra, coincée à l’arrière du véhicule, regarde passer un bataillon d’hommes encagoulés, armés jusqu’aux dents.

Impressionnants.

À cette seconde, elle ferme les yeux et espère, de toutes ses forces, que papa n’a pas eu le temps.

Le temps de tuer Raphaël.

Ni même le temps de s’enfuir.

*

La serrure explose, quatre hommes en noir font irruption, pointant des armes lourdes dans sa direction.

Raphaël ne bouge pas.

— Il est là, annonce l’un d’eux d’une drôle de voix. Commissaire, il est là !

Lefèbvre s’avance dans la pièce constamment éclairée, s’arrête sur le seuil comme pour prendre le temps de savourer sa victoire.

Mais ce qu’il découvre étouffe ses ardeurs.

Il met même quelques secondes à reconnaître celui qu’il a traqué tant d’années. Qu’il a interrogé des heures durant.

Raphaël Orgione, assis sur un matelas défoncé, entravé à un anneau fixé au mur. Amaigri, les joues creusées, une barbe de plusieurs jours. Un œil vitreux, comme s’il était crevé.

Des brûlures atroces sur le torse, le bras et le visage.