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Même son regard n’est plus le même.

— Salut commissaire.

Sa voix est lasse, mais elle, au moins, n’a pas changé.

— Salut Raphaël.

Lefèbvre fait signe aux gendarmes de baisser leurs armes.

— Je vois que tu as bien reçu mon message, ajoute le braqueur.

— En effet.

Le commissaire s’accroupit devant lui.

— C’est William qui nous a montré le chemin. L’endroit où te trouver.

— Will ?

— Oui. Il est devant la porte. Mais… il est mort, murmure-t-il. Je suis désolé.

Le visage de Raphaël se creuse encore plus. Ses épaules s’affaissent. Ses paupières aussi.

— Mort comment ? parvient-il à demander.

— Par balles, apparemment. D’après ce qu’on a constaté, il a tué Thuillier et a sans doute essayé de venir te rejoindre.

Tu as réussi, Will. Tu as réussi, putain…

Il rouvre les paupières sur le visage de son adversaire.

— Il en avait dans les tripes, mon frère.

— Je sais.

— Tu devrais aller voir dans la pièce d’à côté. Il y a quelqu’un qui t’attend, commissaire.

Lefèbvre fronce les sourcils.

— Qui ?

— Dépêche-toi. Elle a besoin de toi…

Intrigué, le commissaire prend deux hommes avec lui et abandonne un instant Raphaël.

Sandra est escortée par deux gendarmes jusqu’au cadavre étendu près de la tombe. Comme si l’on avait oublié de l’enterrer.

Elle reste sans voix face à ce corps qu’elle croyait familier. Qu’elle a pourtant du mal à reconnaître.

Comme si la mort l’avait déguisé. Ou rendu à son état originel.

Il n’a plus l’air d’un monstre. Même plus l’air méchant.

Il a l’air d’un pauvre type qui a vieilli avant l’âge. Un innocent massacré à coups de pierre.

Un gamin violé, martyrisé. Qui a eu la pire enfance qu’on puisse imaginer.

Toute sa souffrance est revenue à la surface.

— C’est lui ? interroge le colonel. C’est votre oncle ?

Ce visage, atrocement abîmé par les coups.

Elle ressent une nausée fulgurante, une douleur qui lui déchire les entrailles.

Il était toute sa vie.

Sa vie se résumait à ça.

— Oui.

Elle sait qu’elle est condamnée, qu’elle va payer.

Pour eux deux, sans doute. Il s’en sort bien, une fois encore.

Une dernière fois.

Pourtant, à la douleur, se mêle un étrange soulagement.

Enfin, il est mort. Enfin, les chaînes autour de son cou se desserrent.

Peu importe les nouvelles entraves qu’elle aura bientôt à supporter. Elles ne pourront pas être pires que celles qu’elle a connues toute sa vie.

— Elle veut absolument te voir avant qu’on l’emmène, dit Lefèbvre. Tu es d’accord ?

Raphaël hoche la tête.

Alors, le commissaire demande à ses hommes de le détacher, pour ne pas trop effrayer la gamine. Ils parviennent à le libérer de ses menottes mais un homme reste posté au fond de la pièce pour le tenir en joue avec son fusil d’assaut.

Jessica est enfin invitée à entrer et elle s’immobilise dès qu’elle voit le gendarme cagoulé qui braque Raphaël.

— N’aie pas peur, ma chérie, prie le commissaire. C’est une simple mesure de sécurité.

Elle s’agenouille sur le matelas, passe les bras autour du cou de Raphaël et pose son front contre son épaule.

Le braqueur, mal à l’aise, ne sait trop quelle attitude adopter. S’ils étaient seuls, encore…

Il se sent maladroit, il se sent sale. Pourtant, elle se serre contre lui, éperdument.

Alors, il consent à caresser ses cheveux blonds, emmêlés et souffrants. Lui offre même un sourire.

— C’est fini, ma puce. Tu n’as plus rien à craindre, maintenant… Tu as été incroyable, tu m’as vraiment épaté, tu sais !

Elle se met à sangloter, il finit par l’étreindre, même si ça lui fait horriblement mal.

— Pleure pas, ça va aller. Tu vas pouvoir rentrer chez toi.

— Et vous, vous allez rentrer chez vous ?

— Non, pas moi.

Il entend une voix masculine claironner à l’extérieur de la remise.

« On a trouvé les bijoux, mon colonel ! »

— Et Will ? demande Jessica en essuyant ses larmes. Il est où, Will ?

Raphaël a la gorge tellement serrée que sa voix déraille.

— Il est mort. Il a tué le salaud qui t’a enlevée. Il nous a sauvés, toi et moi. Mais il en est mort.

Nouvelle crise de larmes pour la jeune fille. Elle semble vouloir s’éterniser dans ses bras, alors Raphaël la repousse doucement pour la confier aux flics.

— Va, tes parents t’attendent.

— On va se revoir, hein ?

— Je sais pas, Jessie. Allez, va maintenant. Ne les fais pas attendre, d’accord ?

Les gendarmes prennent Jessica en charge tandis que Lefèbvre reste avec Raphaël. Il semble avoir du mal à se remettre de ses émotions.

Lorsqu’il s’est réveillé ce matin, il projetait de passer une journée tranquille à bricoler dans son garage.

Une journée où il vient d’arrêter Raphaël Orgione, de récupérer trente millions d’euros de bijoux, et surtout de retrouver une adolescente disparue. Qu’on n’avait presque plus espoir de revoir en vie.

Une adolescente.

Mais pas deux.

— Tu sais où est l’autre gamine ? Aurélie…

— Enterrée dans la forêt. Il faudra que je te montre où… Ce malade m’a obligé à creuser sa tombe. Faut juste que je retrouve l’endroit. Mais je crois que je peux. J’en suis sûr, même. Y a des choses qu’on n’oublie pas.

— C’est lui qui l’a tuée ?

Raphaël hésite. Puis, finalement, il acquiesce.

— Je crois que tu vas avoir plein de choses à me raconter, dit Lefèbvre.

— Ça se pourrait.

— Mais avant de te conduire à l’hosto, y a un truc que j’aimerais savoir… Comment tu connais mon adresse perso ?

Le braqueur a un imperceptible sourire.

— Je suis au courant que tu t’es tapé ma femme pendant que j’étais en taule, dit-il. T’as pas oublié ?

Lefèbvre baisse un instant la tête. La relève aussitôt.

— Alors, forcément, j’ai eu quelques envies de vengeance… J’ai envoyé des potes en repérage avant de sortir de cabane. Mais ça m’a passé, finalement.

— Je vois… si ça peut te rassurer, on n’est plus ensemble, elle et moi.

— Je sais. Tu croyais qu’elle allait supporter longtemps de vivre avec un poulet ?

Lefèbvre sourit à son tour.

— On y va ?

— On y va.

Lefèbvre veut aider Raphaël à se lever mais il refuse d’un geste brusque. Le gendarme cagoulé le tient toujours en joue lorsqu’il avance enfin vers la sortie.

Mais contrairement à Jessica, il ne marche pas vers la liberté. Il marche vers un calvaire qu’il connaît par cœur. Qu’il s’était juré de ne jamais revivre.

Dehors, il fait presque nuit. Un crépuscule glacé, lugubre.

Les lumières extérieures sont toutes allumées et les gendarmes ont installé de puissants spots devant la maison.

Raphaël s’immobilise lorsqu’il voit le drap blanc, maculé de rouge, qui recouvre son frère.

— Avance, ordonne Lefèbvre.

— Je veux le voir.