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C’est étrange, mais à chaque braquage, il a tendance à penser à elle. Comme un gosse commettant une bêtise. Pourtant, il y a longtemps qu’il n’est plus un enfant. Et longtemps qu’elle n’est plus de ce monde.

Mais dans le silence de cette maison inconnue, il lui adresse une promesse solennelle : Will ne va pas mourir. Et je tiens toujours parole, tu le sais bien.

William, le plus jeune des trois frères.

Raphaël est l’aîné. Anthony, le second de la fratrie, est tombé sur un trottoir de Marseille, un soir de juillet. Deux balles dans le cœur, une dans la tête. Il avait mal tourné, commis des fautes qui ne pardonnent pas dans ce milieu.

Raphaël songe à lui, aussi. Ne pas perdre un autre frère.

Son regard fatigué abandonne William un instant pour aller vers Sandra qui s’est endormie dans le fauteuil, il y a une heure environ. Pourtant, Raphaël aurait juré que la peur la tiendrait éveillée, comme autant de banderilles plantées dans sa chair.

Si Will meurt, tu meurs.

Mais elle a sombré. Alors que lui n’a pas cligné des yeux.

Quelques minutes durant, il prend plaisir à l’observer, à détailler son visage. Qui n’a rien d’angélique. Un nez fin, une mâchoire volontaire. Un air dur que même ses longs cheveux blonds cendrés, aussi brillants et délicats que de la soie, peinent à adoucir. De grands yeux verts, très clairs, une bouche charnue qui ne sait pas sourire. Mais doit savoir mordre.

Il se dégage de cette femme quelque chose d’indéfinissable, de dérangeant. Une musique syncopée, hachée, morcelée. Une imperfection fascinante.

William gémit à nouveau, Raphaël presse sa main dans la sienne.

Ils sont dans la merde, il le sait. L’ombre des miradors et la torture noire du cachot planent au-dessus de leurs têtes.

Sauver William, mais pas que de la mort. De la taule, aussi. Qui est peut-être un châtiment bien pire.

Will, qui n’a jamais mis les pieds en prison, sauf pour rendre visite à son grand frère.

43 ans, déjà quatorze passés dedans. S’il y retourne, Raphaël sait qu’il n’en sortira plus. Sauf avec l’aide de complices. Ou les pieds devant.

Mais pas Will, non. Le protéger de cet enfer.

Will qui vient de murmurer son prénom, de l’appeler du fin fond de son coma artificiel.

— Je suis là, répond Raphaël en broyant sa main. Je suis là…

Son état empire, il s’agite. Il a de la fièvre, il souffre.

Raphaël secoue doucement la vétérinaire. Ses paupières se soulèvent, elle pousse un hurlement. Elle se redresse un peu, le dévisage avec terreur.

— Du calme… Will va mal.

Elle s’agenouille près du blessé, prend son pouls et tâte son front.

— Il a ouvert les yeux ? demande-t-elle.

— Pas vraiment. Qu’est-ce qu’il a ?

— Mal.

— Vous pouvez peut-être lui filer un médoc pour soulager la douleur, non ?

— Je vais chercher quelque chose.

Il la talonne jusque dans une minuscule salle d’eau au rez-de-chaussée. Elle attrape une boîte dans l’armoire à pharmacie, revient aussitôt près du jeune homme.

— Il faut le diluer dans un verre d’eau et le lui faire avaler.

Elle lui tend le sachet, le visage de Raphaël se durcit.

— Me prends pas pour un con… Tu t’en charges, et moi je ne te quitte pas d’une semelle. Si tu crois que tu vas m’éloigner pour pouvoir te faire la belle, tu te goures.

Ils s’affrontent du regard un instant.

— De toute façon, j’ai fermé la porte et la clef est dans la poche de mon froc, ajoute Raphaël. Comme la clef de ta caisse, d’ailleurs.

— De quoi avez-vous peur, dans ce cas ? nargue Sandra.

Elle a un certain courage, il sourit.

— Tu peux parfaitement passer par la fenêtre. Alors arrête de discuter et file-lui son médoc. Sinon, je pourrais bien m’énerver… Tu veux voir comment je suis quand je m’énerve ?

— Vous vous sentez fort parce que vous avez une arme !

Le sourire de Raphaël s’élargit.

— Pas besoin d’un flingue pour te calmer, crois-moi sur parole.

Sandra continue à le fixer à la lueur d’une petite lampe en pâte de verre. Il a toujours sa chemise maculée de sang, son automatique à portée de main. Sa cicatrice sur le visage, son regard brutal.

Effrayant.

Elle capitule et part vers la cuisine. Elle prépare le médicament, tournant machinalement une cuiller dans le verre.

Comment se sortir de là ? Comment échapper à une mort certaine ?

Dès que le petit frère ira mieux, ils reprendront la route mais effaceront les traces avant. Supprimeront les témoins gênants.

Aujourd’hui, peut-être. Ou demain.

— Tu vas tourner cette cuiller pendant des heures ? interroge Raphaël.

La main de Sandra s’immobilise, ses yeux s’attardent sur le bloc de six couteaux de cuisine. Là, à quelques centimètres. Elle ouvre une porte sous l’évier, jette le sachet vide.

Allez, un peu de courage Sandra ! Tu peux le faire…

Sa main frôle le bloc en bois. Attraper le manche du plus gros couteau, se retourner, lui planter dans le bide. L’effet de surprise aidant, il n’aura jamais le temps de saisir le pistolet dans son dos.

Elle se penche pour boire une gorgée d’eau à même le robinet, en profite pour lancer un regard rapide sur le côté. Sa cible est adossée au mur, bras croisés, à deux mètres d’elle.

Elle essuie ses lèvres, se sèche les mains avec un torchon.

Maintenant.

Quand les autres seront réveillés, il sera trop tard, tu n’auras plus aucune chance.

Elle pose le torchon à côté du bloc, se plaçant juste devant les couteaux.

Maintenant.

Mouvement agile, rapide, silencieux.

Raphaël a juste le temps d’avancer la main pour dévier la lame. Sandra pousse une sorte de cri de guerre — ou de terreur — et revient instantanément à l’attaque.

Bien vu, le braqueur ne peut pas dégainer, cherchant seulement à éviter de se faire ouvrir en deux. Il lui saisit le poignet mais la lame s’enfonce dans son avant-bras. À son tour de crier, de douleur cette fois. Il tient bon, lui tord le poignet jusqu’à ce qu’elle lâche son arme.

De sa main libre, elle lui assène un coup en pleine tête.

Une furie, toutes griffes dehors. Hystérique, inconsciente du danger.

Il parvient à lui immobiliser les bras, la repousse violemment. Elle perd l’équilibre, percute la table, s’effondre.

Boostée par la peur, elle se relève, tente de fuir.

Une poigne vigoureuse l’attrape par les cheveux, lui tord les cervicales vers l’arrière.

Elle hurle à nouveau.

Se voit morte.

Le canon du colt vient de s’enfoncer dans sa gorge. Les yeux gris étincellent de fureur.

Il va tirer. C’est terminé.

Il la colle au mur, fait pression sur le pistolet qui lui broie la trachée.

— Un seul mouvement et je te descends.

Il a parlé à voix basse, elle se fige. Plus un geste, elle oublie même de respirer. De toute façon, avec le métal qui écrase sa gorge, elle ne peut plus.

— Tu veux jouer avec moi, c’est ça ?

Le visage de Raphaël effleure le sien, il enfonce les menaces directement dans son oreille. Directement dans son cerveau. Elle commence à trembler sans parvenir à se maîtriser.