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Qadehar eut l’air d’hésiter, puis se laissa fléchir.

– Soit, Guillemot. Mais seulement le commencement, pas plus !

Ils s’assirent sur le sable, face à l’océan qui scintillait sous les rayons du soleil couchant. Guillemot jubilait. Le Sorcier commença :

– J’étais jeune, en ce temps-là, et orgueilleux. J’avais décidé d’entrer dans la Guilde pour en devenir le nouveau Tarquin, celui qui dépoussiérerait le vieil ordre et l’orienterait vers un nouveau destin ! Je me mis à l’étude avec assiduité et en quelques années atteignis un niveau de sorcellerie fort convenable ; je me sentais prêt à porter le manteau sombre et à accomplir mille exploits ! Mais mon Maître pensait que si j’étais doué pour les choses de la magie, j’étais également trop bagarreur et indiscipliné pour faire un bon Sorcier… Vois-tu, Guillemot, le calme et la maîtrise de soi sont deux préalables indispensables pour pratiquer une bonne magie ! Bref, il ne savait que faire de moi, et je me voyais déjà condamné à rester Apprenti jusqu’à la fin de mes jours… C’est alors qu’un jeune et brillant Sorcier, fraîchement ordonné, disparut avec l’ouvrage le plus précieux de la Guilde : Le Livre des Étoiles, qui était conservé au cœur du monastère de Gifdu. Cet ancien grimoire, unique, contient des secrets que seuls les Mages, les plus sages des Sorciers, ont le droit de consulter ! On pensa que le voleur s’était réfugié dans le Monde Incertain. La Guilde à cette époque n’avait plus de Poursuivants et répugnait à demander l’aide de la Confrérie des Chevaliers qui en possédait encore. On demanda des volontaires parmi nous pour suivre le Sorcier renégat dans le Monde Incertain, le traquer et lui reprendre le fameux livre. Je me proposai immédiatement, comme tu peux l’imaginer ! On accepta ma candidature ; le voleur faisait partie de ma promotion, c’était même un compagnon d’étude : on pensait que le fait de le connaître me donnait un avantage… Voilà le commencement de l’histoire, mon garçon, voilà comment je suis devenu Poursuivant.

Qadehar acheva sa phrase en se levant, pour bien marquer qu’il avait terminé son récit.

– Et ensuite ? demanda Guillemot, impatient.

– J’avais dit le commencement, pas plus. Le reste sera pour plus tard.

– Dites-moi juste, Maître, implora le garçon, qui était ce

Sorcier que vous poursuiviez et si vous l’avez attrapé.

– Il s’appelait Yorwan. Et personne ne l’a jamais retrouvé. Ne m’en demande pas plus : c’est fini sur ce sujet pour aujourd’hui.

Au ton sec de son Maître, Guillemot comprit qu’il ne servirait à rien de continuer à le questionner. Déçu, il tapa du pied dans un galet. Qadehar avait repris un air grave.

– Mon garçon, cela fait maintenant quatre semaines que tu travailles avec moi. Sois sincère : regrettes-tu ta décision ?

– Non, Maître Qadehar, répondit Guillemot en le regardant droit dans les yeux. Mais… c’est juste que…

– Allons, parle, je t’ai demandé d’être franc.

Il soupira puis prit son courage à deux mains :

– C’est juste que j’ai parfois l’impression de ne pas être fait pour la magie ! Je m’embrouille avec les noms des fleurs, je n’arrive pas à sentir les courants telluriques et les exercices de concentration m’endorment. Vous êtes sûr que j’ai vraiment eu une réaction de Tarquin ?

Qadehar rit de nouveau et prit Guillemot par les épaules :

– C’est normal, Guillemot. Tu n’es mon élève que depuis un mois ! Il faut trois ans pour terminer sa formation d’Apprenti, trois autres années pour achever celle de Sorcier et le reste de sa vie pour essayer de la mériter ! Moi, je trouve que tu t’en sors très bien.

– C’est vrai ? demanda le garçon en esquissant un sourire.

– Bien sûr que c’est vrai ! Repense à mon histoire : quelle leçon en tires-tu ?

Guillemot réfléchit un moment, puis, hésitant :

– Qu’il faut savoir attendre… que le destin vous fasse un signe ?

– Bravo, Guillemot, lui dit fièrement Qadehar. Qu’il faut attendre, apprendre et travailler, en attendant son heure !

Ils prirent le chemin du retour. La nuit commençait à tomber.

– Comment ça se passe avec ta mère et ton oncle ? lui demanda le Sorcier.

– Ça va, répondit Guillemot d’un ton évasif. Ça peut paraître bizarre, mais ma mère semble très heureuse que je sois devenu Apprenti. L’oncle Urien, en revanche, a l’air moins content ! Mais bon, j’ai l’habitude : tout ce que je peux faire n’est jamais assez bien pour lui.

– Tu sembles ne pas beaucoup aimer ton oncle, Guillemot.

– C’est lui, plutôt, qui semble ne pas beaucoup m’aimer.

Qadehar eut un sourire.

– C’est une bonne réponse ! Et à l’école, tout va bien ? continua-t-il pour changer de sujet, marchant toujours, les mains dans le dos.

– Comme ci comme ça. Entre des profs qui enchaînent interro sur interro et une fille à moitié folle qui passe son temps à me poursuivre, c’est pas la joie ! Mais je me débrouille.

Le Sorcier posa à nouveau sa main sur son épaule.

– Tu es courageux, Guillemot. Je m’en suis tout de suite rendu compte quand tu t’es précipité sur moi l’épée à la main dans ta chambre. C’est bien ! Le courage, la volonté et la droiture sont les trois portes qui conduisent au meilleur de soi-même !

Puis Qadehar leva les yeux.

– Tiens, regarde…

Le ciel d’un bleu profond se remplissait maintenant de centaines d’étoiles.

– Tu connais les étoiles, mon garçon ?

– Bien sûr ! On a appris la carte du ciel l’année dernière, répondit Guillemot en se tordant le cou pour essayer de repérer la constellation de la Grande Ourse ; c’était facile ! Cette année, on étudie celle des vents, et c’est moins évident… ça y est, j’ai la Grande Ourse. Toutes les autres se rangent autour.

– Les Pléiades… Le Dauphin…

– Et la Lyre… Là-bas, la Couronne !

– C’est bien, dit Qadehar. Puis il ajouta, comme s’il changeait de sujet : Vois-tu, Guillemot, c’est Le Livre des Etoiles qui est à l’origine de la Guilde. Ce livre renferme de nombreux secrets, dont la plupart restent incompréhensibles même pour les plus sages d’entre nous ! Mais surtout, il contient le fondement de notre magie. Posséder la science des plantes ou connaître les cartes des forces élémentaires est à la portée de tous ceux qui font l’effort d’apprendre. Alors que la magie, la possibilité d’agir sur les choses, par exemple renforcer l’efficacité d’une tisane, faire naître la brume ou transformer du métal en poussière, réclame un pouvoir ! C’est ce pouvoir qui nous a été donné par Le Livre des Étoiles… Je t’en dirai davantage très bientôt.

– Quand, Maître, quand ? s’exclama Guillemot, sentant que le Sorcier avait abordé un sujet essentiel, autrement plus passionnant que tous les noms compliqués qu’il l’obligeait à mettre sur des herbes.

– D’habitude, le Maître ouvre à son élève le Livre des Étoiles à la fin de sa première année d’initiation. Je crois que tu es doué, Guillemot ; nous l’ouvrirons à la fin de ton troisième mois d’apprentissage !

– Mais comment, Maître ? s’inquiéta le garçon. Vous m’avez dit que Le Livre des Étoiles avait été volé par ce Yorwan…

– Cela fait des siècles que la Guilde a extrait de ce livre tout ce qu’elle pouvait comprendre, le rassura Qadehar. Cet enseignement est transmis depuis des générations par les Sorciers à leurs Apprentis ! En attendant ce moment, je veux que les plantes des collines et les forces telluriques des environs de Troïl n’aient plus de secret pour toi.

Guillemot promit tout ce que le Sorcier voulait. Les choses commençaient enfin à devenir intéressantes !