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– Rappelle-moi ce qu’est un courant tellurique, Guillemot, demanda-t-il d’un ton qui n’avait plus rien d’amical.

– Un ruisseau d’énergie qui coule de façon invisible dans le sol, Maître. De temps en temps, plusieurs ruisseaux se rejoignent et forment une rivière d’énergie. Les endroits où ils se rejoignent s’appellent des nœuds telluriques. La force y est puissante. Comme ici, Maître.

Guillemot avait répondu avec une parfaite assurance. Qadehar sauta du dolmen, se pencha au milieu des herbes et arracha une fleur qu’il mit sous le nez de Guillemot.

– Qu’est-ce que c’est ?

– Hypericum maculatum, millepertuis maculé ! Elle se cueille en été. Elle contient une huile qui devient rouge et que l’on utilise pour cicatriser les plaies.

– Est-ce la seule dans ce cas ?

Guillemot hésita, mais Qadehar le foudroya du regard et il balbutia :

– Heu, non, non… Elle a une sœur, L’Hypericum perforatum, le millepertuis perforé, qui préfère les sols plus secs.

Le visage du Sorcier s’éclaira d’un large sourire.

– Bien, Guillemot, très bien !

Il remonta sur le dolmen et fit signe au garçon, soulagé, de venir le rejoindre.

– Tu as beaucoup travaillé. D’ailleurs, je n’ai jamais douté de toi.

Guillemot rayonnait. Son Maître reprit :

– Comme je te l’ai promis, je vais ouvrir pour toi Le Livre des Étoiles et t’enseigner le premier des secrets de la Guilde. Mais avant, j’ai quelque chose à te donner.

Il sortit de sa propre besace une sacoche de toile flambant neuve ainsi qu’un carnet épais recouvert de cuir noir.

– Tout Apprenti Sorcier possède une sacoche semblable dans laquelle il range les livres qu’il étudie, les plantes qu’il ramasse et… son carnet personnel, qui contient son cheminement et ses propres découvertes !

Guillemot prit avec la plus grande précaution les deux objets et les examina avec ravissement.

– Je ne vérifierai jamais ce que tu inscriras dans ton carnet, Guillemot, lui précisa Qadehar amusé par la réaction de son élève. Ce sera à toi de juger ce qu’il est important d’y noter.

– Je vous remercie, Maître ! Ce sont les plus beaux cadeaux que l’on m’ait jamais faits !

– Bien, bien, fit simplement le Sorcier qui paraissait attendri. Est-ce que tu es prêt, maintenant, pour Le Livre des Étoiles ?

– Oh oui, répondit Guillemot les yeux brillants. Je suis prêt !

– Alors écoute-moi et, si quelque chose ne te paraît pas clair, n’hésite pas à m’interrompre et à me poser des questions.

10 LE SECRET DE LA NUIT

Guillemot, mon jeune élève, commença Qadehar, le premier effort à faire pour accéder à la compréhension magique du monde) c’est de le regarder différemment. Vois cette pierre continua-t-il en désignant un rocher, sens ce vent, dit-il en gonflant ses poumons, écoute ce chant d’oiseau : rien de commun entre eux, à première vue. Eh bien pourtant, quelque chose les relie tous les trois !

Quelque chose, Maître ? questionna Guillemot bien décida à tout comprendre du secret de la sorcellerie que Qadehar était en train de lui révéler.

Qui, Guillemot, un lien invisible, qui unit tout ce qui existe c’est-à-dire les cinq éléments ! Tu connais les cinq éléments, j’espère ?

“C’est que… hésita Guillemot, je croyais qu’il y en avait quatre : l’eau, la terre, le feu et l’air.

~Tu oublies la chair ! fit Qadehar d’un air malicieux.

“La chair… Vous voulez dire la viande ?

– Je veux dire les hommes, les plantes, les animaux… Tout ce qui respire, mon garçon ! Tu as compris ? Je continue

“Qui, oui, Maître. Continuez !

“Eh bien, ces cinq éléments sont rattachés par un lien

invisible et impalpable, que les anciens ont appelé le Wyrd. Rappelle-toi : le Wyrd ! Comme une toile d’araignée gigantesque, dont les fils seraient rattachés à chaque chose. Que dis-tu de cela ?

– Mouais, fit Guillemot en réfléchissant. Ça voudrait dire par exemple que si je bouge, toute la toile bouge et donc que tout le monde sent que je bouge… Impossible.

– Non, Guillemot, répondit Qadehar visiblement ravi par la réponse de son élève, pas impossible : simplement, la toile est si vaste que lorsque tu bouges, rien ni personne ne le ressent directement, sauf ce qui est vraiment proche de toi. Les mathématiciens du Monde Certain ont eu l’intuition du Wyrd et ont construit dessus la théorie du chaos. Tu en as entendu parler ?

– Heu… hésita le garçon, oui, je crois. Ce n’est pas l’histoire du battement d’ailes d’un papillon qui fait naître une tempête à l’autre bout de la planète ?

– C’est cela, Guillemot ! Cette théorie dit, en simplifiant, qu’un seul petit acte de rien du tout peut avoir des répercussions sur l’intégralité du reste. Maintenant, continua le Sorcier, imagine que l’on soit capable de contrôler ces répercussions ! Que l’on soit capable d’accomplir un acte en sachant ce qu’il va provoquer à un endroit précis de la toile !

– Cela voudrait dire, avança prudemment le garçon, que l’on aurait le pouvoir d’influer sur des choses par l’intermédiaire d’autres choses qui n’ont à première vue rien à voir avec elles… Mais comment, Maître ?

Qadehar sourit de la soudaine exaltation du garçon qui commençait à découvrir toute l’ampleur du secret de la Guilde.

– Grâce à des clés, Guillemot. Des clés permettant d’accéder au Wyrd, d’atteindre la structure la plus intime de ce qui existe !

– Des clés ? Comme les clés qui ouvrent les portes ? avança timidement l’Apprenti.

– Exactement, mon garçon ! Sauf que ces clés ne sont pas des objets, mais des signes.

Le Sorcier étira son grand corps et soupira d’aise, profitant des derniers rayons du soleil. Son regard se perdit un moment en direction de l’horizon. Guillemot agrippa la manche du manteau sombre, et supplia :

– Maître Qadehar, s’il vous plaît…

Qadehar eut un rire affectueux.

– Prendrais-tu goût aux secrets de la sorcellerie, Guillemot ?

– Vous parliez de signes, Maître, implora le garçon, de signes qui permettent d’ouvrir des portes !

– Oui, continua le Sorcier avec amusement car il voyait Guillemot noter soigneusement ce qu’il disait dans son carnet tout neuf. Pense à une sorte d’alphabet, dont chacune des lettres posséderait une signification et un pouvoir particulier. Maintenant, imagine ces lettres reliées les unes aux autres dans des mots, puis les mots aux mots dans des phrases ! Te voilà en possession du flux d’énergie nécessaire pour visualiser, pénétrer et modifier le Wyrd ! Tel est le secret, Guillemot, le secret de la pratique magique : établir et contrôler un lien entre des choses très différentes !

– Génial ! s’exclama Guillemot. Ça veut dire qu’avec ces signes, on peut contrôler l’univers !

– Doucement, doucement, réagit Qadehar devant l’enthousiasme de son Apprenti. Ce n’est pas si simple ! D’abord, la sorcellerie n’est pas une science exacte, mais le résultat de tâtonnements et d’expériences sans cesse renouvelés. Ensuite, le Wyrd possède ses propres lois qu’il ne faut pas transgresser, faute de quoi absolument tout s’effondrerait. Enfin, ces signes, que nous autres Sorciers appelons Graphèmes, sont des énergies neutres dont l’impact dépend uniquement de celui qui les utilise… Qu’en penses-tu, Guillemot ?

– Heu… qu’il faut faire attention ? Ne pas faire n’importe quoi ?

– Bravo, petit ! répondit Qadehar en tapotant l’épaule du garçon d’un air satisfait. En attendant d’avoir atteint l’âge où la sagesse s’impose à l’homme, prudence et humilité doivent être les maîtres mots du Sorcier !