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Le Pays d’Ys, comme Guillemot l’avait appris en cours d’histoire et de géographie, avait été, huit siècles plus tôt, un petit morceau des côtes françaises qui s’était détaché au cours d’une effroyable tempête. Ys avait alors dérivé vers le large, puis des vents contraires l’avaient ramené vers les terres, où il avait repris sa place. Mais une place particulière : car le pays, transformé en île, ne figurait pas sur les cartes, et les habitants de France ignoraient son existence. Ys s’était ancré quelque part entre le Monde Certain, auquel il appartenait avant, et le Monde Incertain, étrange et fantastique. Une porte permettait de rejoindre le premier et une autre le second. Les deux portes étaient à sens unique, sauf, de temps en temps, quand le Conseil du

Prévost estimait qu’Ys manquait de produits essentiels comme du Nutella ou des bobines de films récents ! Cette précaution était le seul moyen de préserver Ys de l’un et l’autre des deux mondes.

On ne connaissait du Monde Incertain que peu de chose, sinon qu’il était vaste et qu’il recelait bien des dangers. Le Monde Certain, c’était différent ! Au Pays d’Ys, on captait, en effectuant un tri dans les programmations, les radios et télévisions françaises, et le programme scolaire était, à quelques détails près, celui de l’Hexagone. De plus, parmi les dirigeants français, certains initiés connaissaient l’existence du Pays d’Ys : sur certains documents secrets, il figurait sous le nom de « Quatre-Vingt-Dix-Septième Département métropolitain ». C’était par l’intermédiaire de ces personnes dans la confidence que les habitants d’Ys, qui voulaient vivre ailleurs et autrement, obtenaient les papiers et l’aide indispensable à leur installation définitive en France, en Europe ou ailleurs ; ces gens-là étaient les Renonçants. Ils renonçaient à Ys, pour toujours. D’autres – ils étaient rares ! – préféraient parfois tenter l’aventure dans le Monde Incertain ; c’était pour la plupart des condamnés à l’errance, la peine maximale que l’on infligeait à Ys, des individus avides de richesse ou attirés par l’inconnu, ou bien vraiment désespérés. Tous ceux-là devenaient des Errants.

Ceux qui restaient à Ys, quant à eux, vivaient sur une grande île chaude l’été et froide l’hiver, montagneuse, couverte de forêts profondes et de landes immenses, parsemée de petites villes, villages et hameaux, en tout point semblable à un département du Monde Certain ! Mais là aussi, à quelques détails près.

Un bruit de sabots tira Guillemot de ses rêveries. Sur le chemin, à quelques mètres de lui, se tenait un homme vêtu d’une splendide armure turquoise, armé d’une épée qui pendait à son côté gauche et d’une lance longue comme deux fois sa monture. Son cheval, gris, était recouvert de fines mailles d’acier qui tintaient à chaque mouvement.

Guillemot se leva précipitamment.

– Tout va bien, mon garçon ? lui lança le cavalier avec douceur.

– Oui, messire Chevalier, tout va bien, merci ! répondit-il.

– Ne traîne pas trop longtemps dans les collines, ce soir, continua l’homme en caressant l’encolure de son cheval qui piaffait d’impatience. Les Korrigans ont leurs fêtes, ces jours-ci, et tu sais les tours qu’ils aiment jouer aux hommes !

En éclatant de rire, le cavalier salua Guillemot et partit au galop en direction de la ville. Le garçon était ému : c’était son rêve secret, son désir le plus fou et le plus cher d’appartenir un jour à la Confrérie des Chevaliers du Vent. Ces chevaliers, sous les ordres de leur Commandeur et sous la surveillance du Prévost de Dashtikazar, veillaient à la sécurité d’Ys et, dirigés par leur seule conscience, apportaient leur secours à tous ceux qui en avaient besoin

Obéissant aux recommandations du Chevalier, Guillemot prit la direction de la maison où il vivait seul avec sa mère, à l’entrée du village de Troïl, situé à quelques lieues de la capitale. Les Korrigans, même s’ils n’étaient pas les créatures les plus dangereuses d’Ys, étaient imprévisibles et leurs jeux pouvaient se révéler parfois cruels.

2 UNE BONNE SURPRISE

– M’man ! C’est moi ! Je suis rentré !

Guillemot se précipita à la cuisine et ouvrit le réfrigérateur. Il en sortit du beurre qu’il posa sur la table à côté du pot de Nutella. Il découpa une belle tranche de pain dans la miche qui trônait sur le buffet, se confectionna une énorme tartine et se mit à la dévorer.

Les émotions, cela creusait ! Au moins autant que les douze kilomètres qu’il était obligé de faire à pied lorsqu’il ratait la carriole du ramassage scolaire !

– C’est toi que j’ai entendu, mon chéri ? Où es-tu ?

– Ichi, à la cuijine ! crachota Guillemot, la bouche pleine.

Sa mère entra d’un pas vif dans la pièce, en souriant.

Elle avait la taille fine, serrée dans une robe noire (d’aussi loin qu’il pouvait se souvenir, Guillemot l’avait toujours vue habillée de noir), de longs cheveux d’or légèrement bouclés qui lui tombaient sur les reins et de grands yeux couleur du ciel. Alicia était bien une Troïl ! Guillemot, avec sa faible stature, ressemblait davantage à son père, c’est du moins la conclusion à laquelle il était arrivé, personne jusqu’à présent (malgré ses demandes fréquentes) n’ayant daigné évoquer son père autrement que superficiellement

– Tu as passé une bonne journée ? demanda Alicia de Troïl en posant un baiser sur le front de son fils.

– Pas plus mauvaise qu’une autre, éluda le garçon d’une voix terne en s’emparant du programme télé qui traînait sur une chaise. Oh, génial ! Il y a un film, ce soir !

Un large sourire illuminait à présent le visage de Guillemot. Madame de Troïl se contenta de le regarder d’un air amusé, les bras croisés.

– Pas de télé ce soir, Guillemot.

Guillemot se détendit comme un ressort et sauta de sa chaise. Les films étaient rares parmi les programmes recomposés par la Commission culturelle de la Prévosté d’Ys, qui privilégiait les reportages et les documentaires. Il se sentait donc prêt à entamer l’une de ces longues disputes qu’il avait parfois avec sa mère à propos de la télévision ! Mais elle le coupa dans ses intentions d’un geste de la main.

– Tu as oublié ? C’est l’anniversaire de ton oncle Urien ce soir. Je sais, je sais, tu ne l’aimes pas beaucoup, mais toute la famille sera chez lui. Toute la famille et… quelques amis !

Elle avait prononcé les derniers mots avec une intonation mystérieuse. Guillemot avait d’abord entrouvert la bouche pour protester, puis s’était figé.

– Tu veux dire qu’il y aura…

–… ton cousin Romaric, avec ton ami Gontrand, et les jumelles, Ambre et Coralie ! Romaric et les filles devraient d’ailleurs passer te prendre ici. Tu n’as qu’à les attendre. Quant à moi, il faut que je parte en avance pour aider mon frère à recevoir ses invités.

Madame de Troïl regarda un instant, avec tendresse, son fils sauter de joie dans la cuisine. Puis elle s’esquiva pour finir de se préparer.

Guillemot grimpa les marches quatre à quatre et déboula dans sa chambre. Un coup d’œil lui rappela qu’il ne l’avait pas rangée depuis au moins une semaine. Il soupira et entreprit d’y mettre un peu d’ordre. C’était dans sa chambre qu’ils se réunissaient toujours, avec ses amis, et ils n’iraient pas chez son oncle avant d’y avoir passé un moment !