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– Où étiez-vous passés ? Gronda l’homme aux cheveux blancs qui accueillait les invités à l’entrée. Monsieur de Troïl a déjà demandé après vous !

– Bonsoir, Valentin ! dit Ambre avec un sourire. Désolée, on était retenus à danser… par les Korrigans !

– Monstres ! fit semblant de se fâcher le portier.

– Bonsoir, Valentin ! dit Coralie en l’embrassant.

– Bonsoir, Valentin ! Saluèrent à leur tour Romaric et Guillemot en faisant mine de le boxer.

– Tout le monde est dans la grande salle, annonça Valentin. Ça va être l’heure du discours du raseur !

Ils rirent de son impertinence. Valentin était bien plus qu’un portier, c’était aussi l’intendant, le majordome, le régisseur, l’homme de confiance d’Urien de Troïl, qu’il avait accompagné dans toutes ses aventures.

Pressés par lui, ils pénétrèrent dans le bâtiment.

Ils empruntèrent un grand couloir et débouchèrent dans une vaste pièce, chauffée par un grand feu de cheminée et bruyante de monde.

– Oh non, gémit Guillemot, elle est déjà là.

– Où ça ? demanda Coralie en jetant des regards curieux à la ronde.

– Près de papa, vers le buffet, indiqua Ambre la bouche pincée. Elle se croit à Mardi Gras ou quoi ?

Agathe de Balangru, outrageusement maquillée, les aperçut à son tour et leur fit un petit signe provocateur.

– Laisse tomber, Guillemot, soupira Romaric. Allons plutôt tirer Gontrand des griffes de notre oncle.

Le petit groupe se dirigea vers un géant à la barbe grise broussailleuse, qui parlait fort et éclatait à tout propos d’un rire tonitruant. A ses côtés se tenaient plusieurs personnes, parmi lesquelles un garçon qui semblait s’ennuyer ferme.

C’était Gontrand de Grum, aisément reconnaissable à sa grande taille et à ses cheveux noirs soigneusement coiffés.

– Ahah ! beugla Urien de Troïl. La voilà enfin, la descendance des Troïl !

– Accompagnée de leurs fidèles amies, mon oncle, répondit Romaric qui s’était fait happer par le colosse, et que ses grands airs n’avaient jamais impressionné. Voici Ambre et Coralie de Krakal.

– Mes beautés ! s’exclama Urien en écrasant presque les jumelles dans ses bras. Je n’aurais jamais cru que ce renard d’Utigern fût capable de faire des choses aussi jolies !

Puis il se tourna vers Gontrand dont le visage s’était illuminé depuis l’arrivée de la bande :

– Je suis content d’avoir fait ta connaissance, jeune Grum. Et je t’espère aussi talentueux que tes parents, déclara-t-il, en lui broyant l’épaule.

Il les renvoya tous gentiment après avoir éclaté d’un rire énorme, gratifiant Guillemot d’une simple tape sur la joue, reprenant la discussion qu’il avait interrompue. Les deux cousins s’esquivèrent, suivis des trois autres, en direction de la cheminée.

– Quelqu’un peut me dire si j’ai encore une épaule droite ? fit semblant de pleurnicher Gontrand.

– Quel homme ! s’extasia Coralie.

– Oui, c’est moi tout craché… ironisa Guillemot qui ne savait jamais s’il devait se réjouir ou se désoler de la froideur avec laquelle son oncle le traitait depuis toujours.

– En tout cas, vous en avez mis un temps pour venir ! se plaignit Gontrand. Porter la harpe de ma mère, même si elle pèse une tonne, je veux bien ; mais subir les claques de votre oncle, c’est inhumain !

– Plains-toi, rétorqua Romaric. Il y en a qui paieraient pour pouvoir être présentés à Urien de Troïl

– Et même pour se faire tapoter l’épaule ! ajouta Guillemot.

Romaric serra un peu rudement son cousin contre lui, heureux de le voir retrouver, avec son humour, un peu de bonne humeur.

– Touchant, très touchant, cette scène de famille, entendirent-ils soudain derrière eux.

Ils se retournèrent brusquement. Face à eux se tenaient Agathe et son inséparable lieutenant, plus roux et plus massif que jamais, Thomas de Kandarisar.

– Quel dommage, continua-t-elle, qu’un homme comme Urien n’ait le choix pour lui succéder qu’entre un avorton débile et une brute stupide.

Avec un rugissement, Romaric se précipita sur elle, mais il fut intercepté par Thomas. Comme l’un et l’autre étaient de force égale, la lutte tourna court.

– Allons, Romaric, allons, continua Agathe en secouant la tête et avec un sourire narquois. S’en prendre à une fille, toi qui ambitionnes un jour de devenir Chevalier !

– Moi aussi je suis une fille, gronda subitement Ambre. Alors qu’est-ce que tu pourras dire à ça ?

Sans que personne ait le temps de réagir, Ambre se déplaça avec une rapidité surprenante et gifla la grande fille, qui resta figée de stupeur. Ce fut le moment que choisit Urien de Troïl pour réclamer l’attention et le silence.

– Toi, tu me le paieras ! siffla Agathe en pointant son doigt sur Ambre qui avait croisé les bras et pris un air satisfait. Quant à vous autres…

Elle n’acheva pas sa phrase. Tournant brusquement les talons, suivie par un Thomas désolé, elle rejoignit le cercle de sa famille près du buffet.

– Ma sœur, tu ne sais pas t’habiller, mais pour ce qui est de gifler, c’est toi la meilleure ! reconnut Coralie dans un chuchotement.

– Je me demande si on ne devrait pas composer un poème célébrant ce haut fait, murmura malicieusement Gontrand à Romaric tandis qu’Ambre savourait tranquillement sa victoire.

– Merci.

Ce fut tout simplement ce que Guillemot dit à son amie.

– En tout cas, on continue à ne pas s’ennuyer, avec vous ! Ça fait du bien de vous revoir, lança Gontrand, ravi, à ses amis.

Après qu’Urien de Troïl eut remercié ses invités d’être venus, prêché la nécessité de vivre tous en paix les uns avec les autres et recueilli les félicitations d’usage pour sa bonne mine à l’aube de ses soixante ans, tout le monde fut convié à boire, manger et s’amuser. Des musiciens du village commencèrent à jouer des airs gais et les conversations reprirent avec davantage d’entrain.

Guillemot s’était approché du buffet avec la petite bande. En cherchant sa mère des yeux, il avait vu son géant d’oncle en compagnie d’un homme qu’il n’avait pas remarqué auparavant. Et cet homme l’intriguait. D’abord, il portait le long manteau sombre des Mages et Sorciers de la Guilde, cette très vieille institution qui veillait, à un niveau magique, à la sécurité du Pays d’Ys, comme la Confrérie des Chevaliers le faisait à un niveau pratique. Il était rare d’en croiser un hors des monastères dans lesquels ils vivaient retirés ! Mais il y avait autre chose : il lui semblait que cet homme l’observait…

– Hé, Guillemot, tu rêves ? lui demanda Romaric en le tirant par la manche. Il ne va plus rien rester ! Tiens, mords donc dans ce beignet ! Et goûte un peu cette bière au miel, tu m’en diras des nouvelles !

Guillemot s’arracha à sa curiosité et s’efforça de faire honneur au banquet. Comme il aurait aimé ressembler à son cousin ! Tout paraissait facile quand on était avec lui. Aucun doute que Romaric parviendrait un jour à entrer dans la Confrérie des Chevaliers, leur rêve à tous les deux depuis qu’ils étaient nés, ou presque ! Tandis que lui, Guillemot… Malgré son apparence fragile, il savait qu’il n’était pas particulièrement faible ; mais pas particulièrement fort non plus. Et c’était pareil pour tout le reste : bon à l’école mais pas brillant, bon musicien mais pas doué, bon camarade mais pas toujours très drôle. Parfois, il se demandait ce que les autres lui trouvaient, comment ils pouvaient apprécier sa compagnie ! Comment s’étonner, dans ces conditions, que l’oncle Urien lui ait toujours préféré Romaric ? Même si sa mère lui reprochait de se faire des idées à ce sujet, il savait qu’il n’avait jamais été le bienvenu chez les Troïl. Il se sentit minuscule, tout à coup. Peut-être devrait-il pour enfin trouver sa place, à sa majorité, partir sur les traces de son père et, malgré le chagrin qu’aurait sa mère, se faire Renonçant.