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Le géant avait tenu à les accompagner jusqu’à la sortie des gorges. Des charognards décrivaient déjà des cercles gourmands au-dessus de l’endroit où avait eu lieu la bataille.

L’archer, qui n’avait été en fin de compte que légèrement blessé, s’était volatilisé.

– Tu es sûr de ne pas vouloir changer d’avis ? essaya de le convaincre encore une fois Gontrand qui se désolait du départ de son ami.

Tofann rit en désignant l’énorme sac qu’il portait en bandoulière.

– Pourquoi irais-je me battre pour quelqu’un, maintenant que me voilà suffisamment riche pour le faire par plaisir ?

Les coffres, ouverts dans la caverne après que Tofann et Gontrand eurent délivré leurs deux amis prisonniers, contenaient un véritable trésor en pierres précieuses et en bijoux. Gontrand, Romaric et Coralie avaient refusé de piocher dans ce qui avait coûté la vie à tant de gens, mais Tofann s’était abondamment servi, puis avait refermé l’entrée de la grotte avec de gros rochers.

– Vous n’avez qu’à suivre la route. Elle conduit droit à Yâdigâr.

– Et si l’on tombe de nouveau sur des brigands, hein ? rétorqua Gontrand.

– C’est votre problème, maintenant, répondit le géant en adoucissant sa voix. Vous n’aurez pas toute votre vie une nounou avec vous !

Coralie comprit devant l’air désespéré de Gontrand qu’il fallait couper court aux adieux. Elle s’avança, se hissa sur la pointe des pieds et embrassa le colosse sur la joue.

– Merci encore de nous avoir sauvés.

Elle repensa à l’intense soulagement qu’elle avait éprouvé lorsqu’il avait assommé le gnome baveux.

Romaric tendit la main à Tofann avec un regard plein de respect et d’admiration à la fois, mais il étouffa une grimace lorsqu’il la lui serra. Tofann était le guerrier absolu, le combattant suprême. Il ne rêvait plus que de lui ressembler un jour ! En moins sauvage peut-être, en plus… chevaleresque !

Enfin, le géant bardé de cicatrices serra Gontrand contre lui dans une affectueuse accolade. Le garçon eut un mal fou à se retenir de pleurer. Il s’était terriblement attaché à cet homme toujours tranquille et de bonne humeur, si fort et si sensible.

Malgré tout son courage, Gontrand sentait bien qu’il n’avait pas envie de voir s’en aller ce personnage rassurant.

Tofann s’arracha doucement à l’étreinte du garçon et s’éloigna, en les saluant longuement.

– Passez me voir chez moi, dans les steppes, si vous vous égarez du côté du Nord Incertain !

Il disparut bientôt dans les gorges. Les trois amis se regardèrent.

– Bon, ben… L’aventure continue, non ? lâcha timidement Gontrand.

– Tu parles qu’elle continue ! confirma Romaric en envoyant une grande claque dans le dos de son ami.

– En route, compagnons ! lança théâtralement Coralie, heureuse de voir que, malgré les épreuves, le courage ne les avait pas abandonnés.

Bras dessus bras dessous, ils prirent la direction de Yâdigâr.

34

34 LES HOMMES DES SABLES

Un soleil brûlant s’était installé dans le ciel. Les deux garçons, prisonniers de la Bokht, la large plaque de roche qui les protégeait du Désert Vorace, commençaient à ressentir cruellement l’effet de la soif. Guillemot avait tiré de son sac le manteau de Virdu qui était resté en trop, lorsqu’il avait partagé ses affaires avec ses amis à Ys, et il l’avait donné à Kyle pour qu’il s’abrite dessous. Celui-ci, assis les genoux relevés, la tête au creux de ses bras, ne bougeait pas. Guillemot était debout et balayait l’horizon les mains en visière sur le front, pour éviter d’être ébloui par la lumière crue.

– De la visite ! lança-t-il soudain. On dirait que des hommes approchent !

Kyle se dressa d’un bond et fixa le désert dans la direction que lui montrait son ami. En effet, une troupe d’hommes vêtus de bleu et portant de longs fusils se dirigeait droit sur eux.

– Cette fois, on est perdus, grimaça Guillemot. Ce sont sûrement des miliciens de Ferghânâ lancés à notre poursuite !

Kyle resta silencieux.

– Bon sang, et on ne peut même pas quitter cette pierre !

Pris au piège ! Coincés comme des rats ! Ça te fait rire, toi ? dit Guillemot en colère à Kyle, qui effectivement souriait en regardant son ami s’agiter.

– C’est la perspective de bientôt pouvoir boire qui me réjouit ! lui lança tranquillement le garçon.

– Tu parles, gémit Guillemot. Boire de l’eau dans un cachot, en croupissant et en attendant d’être pendu, moi je n’appelle pas ça une perspective réjouissante !

Les hommes bleus avançaient lentement. Guillemot remarqua leur équipement étrange : un ingénieux système de courroies maintenait leurs pieds sur de larges pierres qu’ils utilisaient comme des raquettes sur la neige et ils s’aidaient dans leur progression avec des bâtons dont les rondelles étaient remplacées par des galets.

– Voilà comment ils font ! s’exclama Guillemot en se frappant le front. Dire que j’ai pensé m’enfuir de la Bokht, il n’y a pas cinq minutes, en les voyant avancer sans se faire engloutir par le sable !

– Cela aurait été une erreur fatale, commenta laconiquement Kyle qui avait l’air de bien s’amuser. Les Hommes des Sables ont leur truc pour se déplacer en plein jour sans être avalés par le désert !

– Ce ne sont pas des marchands de Ferghânâ ? s’étonna l’Apprenti.

– Des marchands ? Dans le Désert Vorace, en plein jour ? Non, tu peux me croire : ce sont des Hommes des Sables ! De la tribu bleue, pour être précis.

Soudain, une excitation s’empara des étranges marcheurs et, tout en tendant le bras dans leur direction et en poussant des cris, ils brandirent leur fusil au-dessus de leur tête.

– Ils vont nous faire du mal ? s’inquiéta Guillemot

– Je crois bien que non, sourit Kyle.

Kyle ne mentait pas. Le petit groupe d’Hommes des Sables manifesta bruyamment, en sifflant et en criant, leur joie de les avoir découverts ; ils entourèrent le jeune esclave et Guillemot de mille marques d’attention. Guillemot ne parvenait pas à comprendre ce qui leur valait de tels honneurs, mais il remarqua bientôt le respect que tous ces hommes témoignaient à son ami. On leur donna à boire une eau légèrement salée. Puis on les installa sur les épaules des plus robustes de leurs sauveurs, et le groupe se remit en marche. La Bokht qui les avait recueillis fut rapidement hors de vue.

– Je n’ai pas eu l’occasion de te le dire, expliqua Kyle pour répondre à l’étonnement qu’il devinait dans les yeux de Guillemot, mais je suis le fils des chefs de tribus du peuple des Sables !

– Comment ça, le fils des chefs ?

– C’est-à-dire, expliqua Kyle qui s’efforçait, imité par son ami, de bouger le moins possible afin de ne pas déséquilibrer son porteur, que l’on m’a trouvé près d’un de nos puits lorsque j’étais un bébé. Les points d’eau sont sacrés pour mon peuple. Alors les Hommes des Sables ont décidé que c’étaient les dieux qui m’avaient confié à eux et, pour les honorer, ils ont demandé à leurs chefs de prendre soin de moi… Voilà comment je suis devenu le fils des chefs des trois tribus qui composent mon peuple !

– Ça veut dire que tu ne sais pas qui sont tes vrais parents ? demanda Guillemot.

Kyle s’assombrit. Il répondit d’une voix sourde :

– Non.

– Eh bien, ça nous fait presque un point commun, dit Guillemot sur un ton qui se voulait réconfortant. Enfin, un demi-point : moi, c’est mon père que je n’ai jamais connu…

Cette pensée douloureuse plongea Guillemot dans le silence. Le visage souriant de sa mère lui apparut soudain, et lui rappela brutalement que tout ce qu’il aimait, tout ce qui faisait sa vie, était à des années-lumière de ce désert…