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– Si vous me disiez un peu ce qui vous amène par ici ? continua le Commandant dont les petits yeux noirs se plissaient en regardant les adolescents qui n’en menaient pas large.

Ils gardèrent le silence. Coralie frémit sous le regard de la brute et, comme les autres, attendit que Guillemot prenne la parole. Celui-ci réfléchissait désespérément au moyen de sortir de ce mauvais pas.

– Allons, ce manque de confiance m’attriste ! Et cela me peinerait encore plus d’avoir à vous abandonner aux mains expertes de mon Conseiller. Vous savez ce qu’il faisait avant de se faire appeler Excellence ? Il torturait les hérétiques à Yénibohor !

Les propos de Romaric et de Coralie au sujet des prêtres de Yénibohor étaient présents à leur esprit, et ils ne purent s’empêcher de jeter un regard inquiet en direction de l’homme qui se tenait en retrait, sur un des côtés du trône. Guillemot respira à fond et s’adressa à Thunku.

– En réalité, nous appartenons à la tribu bleue des Hommes des Sables. Nous sommes venus jusqu’ici, contre l’avis de notre chef, pour acheter de nouvelles armes.

Thunku eut un petit rire et secoua la tête.

– C’est toi le chef du groupe ? Comment t’appelles-tu ?

– Je m’appelle… Elyk.

– Eh bien, Elyk, je ne crois pas un mot de ton histoire.

Le ton du Commandant s’était fait plus dur.

– J’ai même ma petite idée sur qui vous êtes en réalité, et sur ce que vous venez chercher, sous des déguisements grotesques et des prétextes idiots. Vous croyez que des gamins du Monde Incertain se risqueraient à Yâdigâr ? Vous en avez vu combien, des gamins, dans ma ville ? Allez, amenez-moi la fille ! ordonna-t-il aux gardes en faction près de la porte.

Quelques instants plus tard, deux hommes revinrent en tenant au bout d’une corde une fille aux cheveux sombres et aux yeux cernés d’avoir trop pleuré. Lorsqu’elle arriva dans la salle d’audience et qu’elle aperçut Guillemot, elle se figea de surprise

– Guillemot ? s’écria-t-elle. Guillemot, c’est toi ? Mais… comment ?

Devant eux, pâle, amaigrie et fatiguée, se tenait Agathe de Balangru !

– Bonjour, l’idiote, marmonna Ambre, pour elle seule maintenant, tout est foutu.

Sur son trône, Thunku éclata d’un rire tonitruant.

– Alors, Elyk, ou devrais-je plutôt dire Guillemot ? Maintiens-tu toujours ton histoire ridicule ? Si ce n’est pas touchant, quand même ! Cette bande de gosses, qui débarque du Monde d’Ys pour venir au secours de cette misérable !

Il rit de plus belle.

– Vous savez quoi ? Lorsque mon Gommon a ramené de chez vous cette fille à la place du garçon aux pouvoirs extraordinaires, celui qui m’en avait donné l’ordre a failli s’étrangler de rage ! Il m’a bien fait payer cette erreur d’ailleurs, puisqu’il me l’a laissée ! J’ai bien essayé d’en faire une servante acceptable, mais elle est incapable de cuisiner correctement ou de faire convenablement briller une armure ! Qui en voudrait ?

Il porta son regard sur Agathe qui pinçait les lèvres, aussi vexée par les paroles du Commandant que par le sourire ravi d’Ambre. Puis il dévisagea Guillemot avec intérêt.

– Une douzaine d’années, les yeux verts, l’air plus malin que les autres… Est-ce que j’aurais de la chance enfin ? Tu vois mon garçon, je crois que je vais faire un heureux : l’homme qui te cherche activement depuis quelque temps. Et un autre heureux car, pour te livrer à lui, je vais exiger beaucoup ! Par exemple de pouvoir faire passer, non plus selon ses caprices mais selon les miens, mes hommes d’un Monde à l’autre, pour varier un peu les plaisirs du pillage !

Soudain il y eut un bruit terrible, comme celui d’une explosion. On entendit des cris et le vacarme d’une lutte. Puis la porte de la salle vola en éclats. Poursuivi par des hommes et des Orks en armes, un homme de haute taille, les vêtements poussiéreux, fit irruption.

Le sang de Guillemot ne fit qu’un tour.

– Maître Qadehar ! s’écria-t-il.

– Azhdar le Démon, lâcha Thunku, stupéfait

38

38 GUILLEMOT SE FÂCHE

– Guillemot, tu vas bien ? demanda Qadehar qui avait rejoint son Apprenti au pied du trône et qui tenait les soldats à distance en les menaçant de ses mains ouvertes.

– Oui, Maître ! Comme je suis content de vous revoir !

– Moi aussi, petit, moi aussi. Remercie les dieux des Trois Mondes que Thomas ait suivi tes instructions à la lettre ! Et que le délai que tu lui avais imposé se terminât avant-hier !

Instinctivement, Romaric, Gontrand, Coralie, Ambre et Agathe, que les gardes avaient laissés filer pour tenter de repousser l’assaut du Sorcier, se regroupèrent autour de Qadehar.

Derrière eux, Thunku s’était levé de son trône. Il avait l’air vraiment furieux.

– Maudit démon ! Tu viens me défier jusque dans mon palais ! Tu vas le regretter !

Dans un rugissement, Thunku plongea depuis l’estrade sur Qadehar qui, surpris, n’eut pas le temps de réagir avec une passe magique. Les deux hommes roulèrent au sol. Le Sorcier se protégeait comme il le pouvait des coups qui pleuvaient sur lui. Mais le déséquilibre des forces était trop grand.

Leur ennemi à terre et impuissant, les Orks et les gardes s’approchèrent en exultant.

– Fuyez ! leur cria Qadehar.

– Attrapez-les ! hurla Thunku qui avait immobilisé le Sorcier dans une étreinte puissante.

Des Orks bondirent dans leur direction.

– Fais quelque chose, Guillemot, le supplia Romaric.

– Oui, vite, s’il te plaît ! renchérit Coralie en se tordant les mains. Je n’ai pas envie de passer ici le reste de ma vie comme esclave, à passer le balai et à astiquer des armures !

Guillemot respira profondément et ferma les yeux. Il fallait qu’il agisse. Il s’était juré, après la mésaventure de Ferghânâ, dont il n’avait soufflé mot à personne, de laisser les Graphèmes tranquilles. Maintenant, il n’avait pas le choix. Il les appela en lui avec réticence. Comme lorsqu’il s’était réfugié sous le chariot du faux magicien, aucun ne se manifesta spontanément. Que fallait-il faire ? A côté de lui, Gontrand hurla : un Ork venait de l’attraper par le bras.

– Fais quelque chose, je t’en supplie, l’implora encore Romaric qui avait évité de justesse un violent coup d’épée.

Derrière lui, il entendit Qadehar gémir de douleur. Il se sentit alors envahi par une grande colère. Dans un intense effort de volonté, il obligea les Graphèmes à se mettre en rang dans son esprit. Deux choses lui furent confirmées : d’abord, les Graphèmes n’avaient pas leur silhouette ordinaire, ils étaient si déformés qu’il avait du mal à les reconnaître ; ensuite, comme l’autre fois, Thursaz essayait de se tenir en retrait.

– C’est toi que je veux, mon gaillard, murmura-t-il pour lui-même entre ses dents. Allez, viens, je t’appelle. Ne me résiste pas. Et inutile d’envoyer Isaz à ta place !

– Qu’est-ce que tu dis ? lui demanda Ambre qui ne l’avait pas quitté depuis le début de l’échauffourée, et qui tenait un Ork à distance avec une lance ramassée à terre.

Mais Guillemot ne l’écoutait pas. Les yeux toujours fermés, il avait réussi à mobiliser Thursaz, qui, anormalement ventru, tremblotait comme la flamme d’une bougie près de s’éteindre. Au moment où Coralie hurlait, prisonnière des bras d’un hybride monstrueux, il invoqua le Graphème :