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Un brouhaha indiqua que quelque chose allait se passer. Des hommes vinrent pousser les tables contre les murs et l’on apporta de quoi boire en quantité. Dans le fond, Valentin monta sur une chaise et, les mains en porte-voix, annonça :

– Mesdames, messieurs, le bal !

Romaric soupira. Coralie, elle, explosa de joie.

4 UNE FIN DE SOIRÉE MOUVEMENTÉE

Comme Ambre l’avait prévu, une dizaine de garçons, pour la plupart des adolescents issus des meilleures familles d’Ys, firent une cour empressée à Coralie qui s’amusa à les classer en fonction de leur talent de danseur.

Elle ne tarda pas à s’en aller virevolter au bras d’un garçon vaniteux comme un paon. Sur le sol dallé de la grande salle, une dizaine de couples dansaient sur un rythme endiablé.

– Je hais la danse ! dit Romaric à ses amis qui observaient les danseurs évoluer.

– Tu dis ça parce que tu refuses d’apprendre, rétorqua Gontrand. Moi, j’aime bien. Le seul problème, c’est que j’attire les moches !

Comme pour lui donner raison, une fille correspondant exactement à cette définition vint lui demander d’être son cavalier pour une ronde. Gontrand les quitta en mettant ses mains autour du cou, imitant le geste de quelqu’un que l’on pend. La tradition exigeait des garçons sachant danser qu’ils ne se dérobent pas à l’invitation d’une fille.

– Tu ne m’invites pas à danser, Guillemot ? demanda Ambre avec un sourire narquois.

– Heu… si, si, bien sûr, répondit le garçon qui aurait préféré cent fois rester avec son cousin à parler chevalerie.

Il tendit son bras et guida Ambre vers le milieu de la salle. Quelques instants plus tard, ayant rejoint le cercle des danseurs, il bondissait aux côtés de sa partenaire.

– Bah ! fit Romaric pour lui seul en se tournant vers le buffet et en se servant une grande chope de corma, la bière traditionnelle d’Ys additionnée de miel.

Il ne savait pas danser, mais il n’était pas nécessaire de savoir danser pour être Chevalier ! Il suffisait d’être endurant, habile aux armes et courageux. Il haussa les épaules et se traita d’imbécile. D’accord, il n’avait pas de goût pour cela, ses parents ne dansaient pas devant lui tous les soirs, comme ceux de Gontrand ; et sa mère ne l’avait jamais obligé à prendre des leçons, comme celle de Guillemot ! Pourtant… Est-ce qu’il ne s’ennuierait pas moins dans les soirées s’il faisait l’effort de s’y mettre ? S’il osait ? Surtout que les danses d’Ys n’avaient rien à voir avec celles du Monde Certain que leur montrait la télévision : ici, on dansait à plusieurs, il y avait toujours quelqu’un pour vous apprendre les pas et personne ne se moquait de vous si vous étiez maladroit ! On riait, on s’amusait, c’était toujours de bons moments.

Le garçon finit son verre et prit une décision : il était temps de réagir !

Valentin monta de nouveau sur sa chaise et réclama l’attention des invités.

– Mesdames, messieurs, un intermède musical !

Les danseurs, tout en s’éventant, vinrent se désaltérer, tandis que les parents de Gontrand installaient leurs instruments de musique – un petit orgue et une grande harpe – sur l’estrade de l’orchestre. Puis ils commencèrent à jouer. Leur musique était un délice, et tout le monde resta sous le charme, longtemps après que la dernière note eut retenti. Un tonnerre d’applaudissements salua la performance des époux de Grum et des voix s’élevèrent pour en réclamer encore. Souriante, madame de Grum se leva et salua l’assistance.

– Je vous remercie mille fois pour la chaleur de votre accueil ! Malheureusement, vous connaissez tous la tradition qui veut que nous ne puissions jouer plus d’un morceau au cours de la soirée…

Des protestations s’élevèrent. Madame de Grum leva les mains en signe d’apaisement.

– Cependant, un autre membre de la famille n’a pas encore joué ce soir : c’est donc lui qui répondra à votre aimable attente. Je vous demande d’accueillir avec indulgence notre fils Gontrand !

Guillemot donna un coup de coude à Gontrand, abasourdi par l’annonce de sa mère. Jamais encore il n’avait été invité à jouer officiellement en public !

– Allez, Gontrand, lui souffla son ami, c’est le moment de leur montrer ce que tu vaux !

– Mais si je me plante, gémit Gontrand sans se décider à rejoindre ses parents qui l’encourageaient à venir sur l’estrade.

– Courage ! bougonna Romaric. Il y a des minutes de vérité à ne pas louper… et je crois bien que c’en est une !

– Merci pour la pression ! dit encore le garçon qui, sous les applaudissements, avança d’une démarche hésitante en direction des musiciens.

Sa mère lui sourit lorsqu’il grimpa sur l’estrade et son père lui tendit une cithare, sorte de guitare renflée avec laquelle il aimait jouer.

– Merci du cadeau ! grimaça Gontrand.

– Nous pensons que tu en es capable, chéri, lui répondit sa mère.

– Et surtout, ajouta son père d’un air sévère, qu’il est enfin temps pour toi de faire tes preuves.

Gontrand prit une profonde inspiration. Il aperçut au fond de la salle Guillemot, Ambre, Coralie et Romaric qui lui adressaient de grands gestes d’encouragement…

« Faire mes preuves ? D’accord ! Ils vont voir ce qu’ils vont voir – enfin, entendre ! » se dit-il.

– Mesdames, messieurs, annonça-t-il à haute voix, après s’être éclairci la gorge, je ne vais pas jouer pour vous ce soir un air du répertoire classique, mais une chanson de ma composition !

Des murmures d’étonnement parcoururent l’assemblée. Cela faisait des années qu’aucun musicien n’avait eu l’audace de proposer une création, tant les gens du Pays d’Ys étaient renommés pour leur dureté à l’égard des nouveautés !

Le silence, de circonstance jusqu’alors, se transforma en attente curieuse. Gontrand commença à jouer. L’air, plaisant, avait des audaces. La fougue impatiente remplaçait fort bien le manque d’expérience. Puis le garçon se mit à chanter. La douceur de sa voix, alliée aux plaintes naïves des couplets évoquant les beautés de sa ville de Bounic, conquit l’assistance.

Jusqu’au Sorcier de la Guilde, qui souriait et hochait la tête en l’observant. Des applaudissements nourris saluèrent sa performance, et son père, ému et ravi, le serra contre lui.

– Bravo, Gontrand ! lui lança Romaric lorsque leur ami put s’arracher à sa mère rougissante de fierté et à Urien de Troïl venu le féliciter.

– Bof, je n’ai pas pu donner ma pleine mesure, répondit

Gontrand d’un air faussement modeste en lissant ses cheveux.

– Et qu’est-ce qui t’en a empêché ? lui demanda Coralie curieuse.

– Une bande d’idiots qui gesticulait dans le fond pour me déconcentrer ! ironisa le garçon.

La bande le bombarda avec des boulettes de mie de pain.

– Vous avez observé le Sorcier pendant que Gontrand louait ? demanda Guillemot aux autres.

– Non, répondirent-ils, étonnés. Qu’est-ce qu’il a fait ?

– Heu… rien, trouva seulement à dire Guillemot. Il avait l’air d’apprécier, c’est tout.

– Et depuis quand tu t’intéresses aux Sorciers ? le taquina Ambre qui voyait là un terrain favorable pour l’embêter.

– Depuis… Jamais, je ne m’intéresse pas particulièrement aux Sorciers ! Enfin…

– Laisse tomber les porteurs de manteaux, vint à son secours Romaric, et… dansons, plutôt ! ajouta-t-il devant les autres qui n’en crurent pas leurs oreilles. C’est vrai, quoi, la musique a repris !