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– Alors là, pour le coup, lâcha Coralie interloquée, je veux bien être la fille de l’événement !

Ils partirent tous les deux sur la piste où elle essaya de lui apprendre les pas d’une bourrée. Un peu plus tard, Romaric revint seul.

– Il paraît que je ne me débrouille pas trop mal, souffla-t-il. Mais je n’ai pas eu de chance : la bourrée est une danse difficile !

– Et, poursuivit Ambre, ma sœur t’a abandonné pour un bellâtre plus doué !

– Chut, taisez-vous ! les interrompit Guillemot. Regardez, ça barde près de la cheminée !

En effet, deux hommes s’étaient pris à partie, se lançaient des insultes et en vinrent bientôt aux mains.

– C’est papa ! s’exclama Ambre, stupéfaite.

– Avec le père d’Agathe ! ajouta Gontrand, consterné.

La querelle s’envenimait. Urien de Troïl, aidé par

Valentin et quelques autres, tentait vainement de les séparer. On entendait au-dessus du brouhaha causé par l’affrontement la voix forte de monsieur de Troïl lancer des : « Messieurs ! Messieurs ! » qui restaient sans effet. Tout à coup, les deux hommes dégainèrent leur épée et se firent face. Ambre devint toute pâle et se mordit la lèvre. C’est alors que l’homme au manteau sombre, le Sorcier de la Guilde, s’interposa, leva les bras et prononça quelques mots d’une voix sifflante. Aussitôt, les deux épées tombèrent en poussière. Le Sorcier se tourna ensuite vers les invités stupéfaits et s’adressa à la salle :

– Gens d’Ys ! Vous n’avez donc tiré aucune leçon des méfaits de l’Ombre ? Le Pays d’Ys est un pays fragile, qui ne manque pas d’ennemis ! Plus que jamais, il est nécessaire de vivre unis plutôt que divisés, et d’oublier nos petites querelles !

L’ardeur belliqueuse des combattants s’évanouit en même temps que les épées, laissant messieurs de Krakal et de Balangru embarrassés au milieu du cercle qui s’était formé autour d’eux.

– L’incident est clos ! tonitrua Urien de Troïl. Que les danses reprennent !

Il fallut un moment pour que l’ambiance revienne à la fête, chacun commentant avec animation l’intervention du Sorcier qui avait osé, sans paraître gêné le moins du monde, évoquer l’Ombre, cette créature mystérieuse et terrifiante surgie à plusieurs reprises du Monde Incertain pour apporter le malheur au Pays d’Ys… Le clan Balangru avait quitté précipitamment la pièce, et bientôt le château. Ambre et Coralie s’étaient jetées dans les bras de leur père qui tentait de rassurer tout le monde en minimisant l’objet de la querelle et en prétextant les effets de la boisson. L’oncle Urien s’entretenait avec l’homme de la Guilde et le remerciait pour son aide.

C’est alors que Romaric hurla :

– Guillemot ! Regardez Guillemot !

Au-dessus du buffet, les yeux révulsés, Guillemot flottait dans les airs, sans connaissance.

5 UNE ÉTRANGE VISITE

– Bonjour, mon chéri, comment te sens-tu aujourd’hui ? demanda Alicia à son fils en posant sur sa table de nuit le plateau d’un copieux petit déjeuner.

– Pas trop mal, répondit Guillemot en se redressant sur son oreiller.

– Je t’ai fait des tartines comme tu les aimes, ajouta-t-elle en tirant les rideaux : avec du beurre et beaucoup de Nutella !

– Mhmm ! Génial !

– Je ne sais pas comment tu fais pour manger ça… avoua Alicia après s’être assise sur le lit à côté de son fils.

– C’est facile, expliqua-t-il en mordant dans la tranche de pain, regarde, m’man : j’ouvre la bouche, je mets ma tartine dedans et je mâche.

– Idiot, va ! répondit sa mère, en lui ébouriffant tendrement les cheveux.

Puis elle se leva et s’employa à mettre de l’ordre dans la pièce. Guillemot avala son petit déjeuner gloutonnement, tandis que sa mère rangeait les livres et les jeux éparpillés autour du lit.

Cela faisait trois jours que le garçon n’avait pas quitté sa chambre. Quand on l’avait ramené de chez l’oncle Urien, plongé dans un état comateux, Alicia de Troïl s’était montrée folle d’inquiétude. Heureusement, Guillemot avait rapidement retrouvé ses esprits, et s’était vite senti en pleine forme. Sa mère avait cependant insisté pour qu’il garde le lit quelque temps, et le médecin avait même signé un certificat pour le collège. Guillemot n’avait opposé aucune résistance : trois jours sans école, c’était toujours bon à prendre !

Sa mère revint près de lui et posa la main sur son front, pour vérifier sa température.

– Le docteur a dit que tu pourrais retourner au collège demain, lui annonça-t-elle, satisfaite.

– Génial, s’écria Guillemot avec une grimace.

A ce moment-là, quelqu’un frappa à la porte en bas.

– Bon, je te laisse, dit Alicia. Ne joue pas trop longtemps sur ton ordinateur. Essaye plutôt de te reposer, mon chéri…

Elle descendit l’escalier d’un pas rapide. Guillemot soupira. Il aurait dû mettre son front contre le radiateur pendant que sa mère avait le dos tourné. Ainsi, il aurait peut-être échappé aux cours (et à Agathe !) tout le reste de la semaine… Mais ce n’était pas une solution et il le savait. Il récapitula : aujourd’hui il avait raté les maths et l’escrime ; il rattraperait ça ce week-end. Hier et avant-hier, en revanche, c’était plus grave : natation (il tâcherait de nager demain soir pour ne pas prendre de retard sur le programme), korrigani (la langue des Korrigans : il détestait), français (il ne se rappelait plus si c’était grammaire ou explication de texte), physique-chimie (en ce moment ils apprenaient la carte compliquée des vents du Pays d’Ys) et ska (le langage en usage dans le Monde Incertain, qu’on leur enseignait pour leur culture générale, comme le latin dans le Monde Certain : plutôt

facile). Il soupira encore, mais plus profondément. Ce n’était pas cette semaine qu’il pourrait flâner à la sortie des cours !

Un grincement dans l’escalier le tira de ses pensées.

– M’man ! C’était qui, en bas ?

Personne ne répondit. A l’extérieur, les pas s’arrêtèrent.

– M’man ? C’est toi ?

Le cœur de Guillemot se mit à battre plus rapidement. Il se passait un truc bizarre. Il tendit l’oreille : aucun bruit ne montait du rez-de-chaussée. L’escalier recommença à grincer.

– Maman ?

Aucune réponse. Cela devenait inquiétant. Guillemot bondit hors de son lit. Sans prendre le temps de se changer, il courut en direction du placard, dans son pyjama bleu ciel. Il en tira l’épée d’exercice qui lui servait à répéter chez lui les passes d’escrime apprises à l’école, et revint se placer derrière la porte donnant sur le couloir. La poignée tourna lentement : quelqu’un allait entrer ! Quelqu’un qui pensait sans doute le surprendre, et qui avait peut-être fait du mal à sa mère, en bas ! A cette pensée, Guillemot serra encore plus fort son arme.

Une silhouette se glissa sans bruit dans la chambre. Le garçon eut juste le temps de voir qu’il s’agissait d’un homme vêtu d’un grand manteau sombre : en brandissant son épée et en hurlant, il se jeta sur l’intrus. Celui-ci fit volte-face, bloqua le bras de Guillemot et le désarma. L’action n’avait duré que le temps d’un éclair.

– Holà, mon garçon ! Drôle de façon d’accueillir un visiteur !

Encore abasourdi d’avoir été si rapidement maîtrisé, Guillemot mit un moment avant de reconnaître son adversaire.

– Le Sorcier ! Le Sorcier de l’autre soir ! murmura-t-il.

Il avait de la peine à en croire ses yeux.

– Exact, mon garçon, confirma son visiteur en le fixant d’un regard bienveillant.

L’homme était plutôt grand, bien bâti ; ses cheveux coupés très court, son visage carré et ses yeux d’un bleu acier lui donnaient un air dur avec lequel contrastaient sa voix et un sourire remplis de douceur. Il était difficile de lui donner un âge, mais il était sans doute moins vieux qu’il n’en avait l’air. Sous le manteau sombre qui annonçait son appartenance à la Guilde, il portait les vêtements solides et confortables qu’ont tous les voyageurs. Enfin, une sacoche de toile usée pendait à son épaule.