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Il força Guillemot à s’asseoir sur le bord du lit et prit place à côté de lui.

– Tu ne manques pas de courage, petit. Mais ton attaque était beaucoup trop lente !

– Qu’est-ce que vous avez fait de ma mère ? le coupa agressivement le garçon qui n’aimait pas la façon dont cet homme se moquait de lui.

– Ta mère ? Je crois qu’elle me prépare un thé, dans la cuisine…

– Vous mentez ! aboya Guillemot qui sentait les larmes lui monter aux yeux.

– Allons, mon garçon, du calme ! C’est vrai que j’aurais dû frapper avant d’entrer ; je suis désolé de t’avoir effrayé. Mais je t’assure que ta mère va bien !

Au même moment, ils entendirent un bruit de pas dans l’escalier et, quelques instants plus tard, Alicia de Troïl pénétra dans la pièce en portant, sur un plateau, une tasse et une théière fumante. Guillemot lui jeta un regard interrogateur :

– Ça va, m’man ?

– Mais oui, mon chéri ! Pourquoi ?

Guillemot se sentit brusquement très bête.

– Non, pour rien…

– Bon, je vous laisse, annonça joyeusement Alicia après avoir posé son plateau sur le lit. Maître Qadehar, si vous avez besoin de moi, je suis dans la cuisine.

La jeune femme quitta la chambre et referma la porte derrière elle.

Guillemot comprit qu’il s’était trompé : le Sorcier était un simple visiteur, que sa mère semblait connaître, et qui n’avait eu d’autre tort que d’apparaître trop silencieusement ! Il reporta son intérêt sur la raison de cette visite. Que lui voulait cet homme étrange, et pourquoi sa mère tenait-elle tant à les laisser seuls tous les deux ? Il contint sa curiosité et attendit que le Sorcier, qui finissait de boire son thé, le lui explique.

Après avoir fait claquer sa langue de satisfaction, l’homme reposa la tasse sur le plateau et se tourna vers le garçon.

– Alors, petit, cet évanouissement ?

Il y avait quelque chose, dans la voix du Sorcier, qui mit Guillemot en confiance.

– Oh, c’est oublié, monsieur. Le docteur a dit que je n’étais plus malade et que je pourrais retourner à l’école demain.

L’homme rit. Son rire, chaleureux, acheva de mettre le garçon à l’aise.

– Je m’appelle Qadehar. Maître Qadehar. Quant à ton docteur, c’est un imbécile !

Guillemot ne sut pas quoi dire. Le Sorcier continua :

– C’est un imbécile, car tu n’as jamais été malade Connais-tu ce que l’on appelle l’effet Tarquin ?

Guillemot secoua la tête.

– Tu es en quelle classe, mon garçon ?

– En cinquième, mons… heu, Maître Qadehar.

– Bien sûr… C’est normal, reprit le Sorcier. Les cours d’histoire de la Guilde et de la Confrérie ne commencent qu’en quatrième… Eh bien, Tarquin était un jeune garçon qui vivait à Ys il y a trois cents ans. Un garçon tout ce qu’il y avait de normal. Un jour qu’il assistait à un duel de Sorciers, duels fréquents à l’époque, il s’évanouit et s’éleva dans les airs. Tout comme toi !

– Et alors ? le pressa Guillemot avec impatience.

– Tarquin se remit au bout de deux jours et l’incident fut

oublié. Plus tard, il entra comme Apprenti à la Guilde et manifesta des aptitudes peu communes dans l’exercice de la magie. Si bien qu’il devint le Grand Maître de la Guilde, avant l’âge requis habituellement, et qu’il ouvrit des voies nouvelles à notre sorcellerie. Des membres avisés de la Guilde firent le rapprochement entre son évanouissement de jeunesse et ses qualités de Sorcier. Depuis, nous appelons « effet Tarquin » la réaction que certains enfants manifestent aux pratiques magiques.

Il y eut un silence. Les pensées se bousculaient dans la tête de Guillemot. Qadehar se contentait de l’observer en souriant.

– Et… heu, moi, moi j’ai fait comme Tarquin ? Je veux dire, bafouilla le garçon, j’ai fait une réaction à de la magie ?

– Oui, petit, confirma le Sorcier. C’est lorsque j’ai invoqué les forces magiques pour changer les épées en poussière que tu as quitté le sol et que tu t’es évanoui.

– Et… maintenant ? demanda Guillemot inquiet, qu’est-ce qui va se passer ?

L’homme le rassura.

– Mais rien, mon garçon ! Tu n’es pas malade. Et tu peux reprendre ta vie comme avant ! Cependant…

Le Sorcier le regardait avec insistance.

– Cependant, Maître Qadehar ? demanda Guillemot d’une voix mal assurée.

– Calme-toi, mon garçon, reprit Qadehar. Je te le répète, tout va très bien ! Je me disais simplement que, comme Tarquin et d’autres avant toi, tu possèdes sans doute quelque aptitude pour la magie. Et, comme je compte rester quelque temps dans la région, je pensais que tu accepterais peut-être de devenir mon Apprenti.

Guillemot était interloqué. Son évanouissement, cet homme qui lui proposait ni plus ni moins que de devenir Sorcier, n’était-ce pas trop, en si peu de temps ? Pourquoi ne le laissait-on jamais tranquille ? Est-ce qu’il n’avait déjà pas assez de problèmes ? Quand ce n’était pas la bande d’Agathe, c’était un prétendu effet Tarquin ! Demain, quoi d’autre ? Et puis surtout, surtout…

Il sentit le désespoir le gagner. Il savait que certains enfants, autour de leurs treize ans, devenaient des Apprentis Sorciers. Mais il ne s’était jamais demandé comment cela se passait, pour la bonne raison qu’il aspirait, lui, à être Chevalier ! Donc, un jour ou l’autre, Écuyer. Le problème, c’était qu’un Écuyer ne pouvait pas devenir Sorcier, de la même façon qu’un Apprenti ne pouvait pas devenir Chevalier.

Intrigué par son silence, Qadehar lui demanda :

– Il y a quelque chose qui te dérange ? Si tu penses à ta mère ou à ton oncle, je me fais fort d’obtenir leur accord ! Si c’est à tes études, ne t’inquiète pas : nous travaillerons seulement certains soirs, le mercredi et le samedi après-midi, ainsi que le dimanche…

– Non, tenta d’expliquer Guillemot qui sentait sa gorge se serrer, c’est… c’est la Confrérie. C’est mon rêve de devenir Chevalier du Vent !

Qadehar devint grave.

– Je comprends. Réfléchis bien, mon garçon. Et pèse ta décision : car, comme tu dois le savoir, si tu acceptes de suivre mon enseignement, tu ne pourras jamais entrer dans la Confrérie. Telle est la loi : Sorciers et Chevaliers œuvrent ensemble, mais ne se mélangent jamais…

Guillemot était désemparé. Que devait-il faire ? S’il acceptait, il perdait toute chance de porter un jour l’armure turquoise des Chevaliers dont les exploits l’enthousiasmaient depuis qu’il était en âge d’écouter des histoires ! A l’inverse, l’univers de la Guilde et des Sorciers lui avait toujours paru étrange, effrayant même. Qu’allait-il y trouver ? Que dissimulaient ces hommes dans l’ombre de leurs manteaux ? Il l’ignorerait s’il disait non à l’offre. Une phrase de Romaric lui revint avec netteté en mémoire. Son cousin avait dit à Gontrand, juste avant son triomphe : « Il y a des minutes de vérité à ne pas louper… et je crois que c’en est une ! »

C’était peut-être la sienne, maintenant. Il décida de se fier à son instinct, et, plantant son regard dans les yeux froids du Sorcier, il lui demanda :

– Est-ce que vous pensez vraiment que je doive accepter ?

– Oui, Guillemot, je le pense, répondit Qadehar sans hésiter.

Le garçon eut l’air de réfléchir puis hocha la tête d’un air convaincu.

– D’accord. Je veux bien, lâcha Guillemot, en se jetant à l’eau. Mais à vous de convaincre ma mère et mon oncle !