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– Allons, tu dramatises, tenta de le rasséréner Valentin qui commençait à être ému.

Ils se turent, se plongeant dans la contemplation des flammes.

– Sacrée bonne femme, ta sœur, quand même, lâcha Valentin au bout d’un moment.

– Oui, c’est bien une Troïl.

– Guillemot aussi, Urien, Guillemot aussi. Ne serait-il pas temps de… ?

Le regard acéré du seigneur de Troïl l’empêcha de continuer et il soupira. Valentin se leva, remit une bûche dans le feu et remporta le thé tiède à la cuisine, abandonnant Urien à ses sombres pensées.

7 UN GRAND JOUR

– J’ai senti, oui… j’ai senti quelque chose… quelque chose de puissant… quelque chose que j’attendais depuis longtemps, depuis très longtemps… Quand je pense que j’ai fait chercher l’enfant dans ce Monde… tout ce temps… alors qu’il n’y était pas…

– Maître ? Maître, tout va bien ?

Le jeune homme au crâne rasé et vêtu d’une tunique blanche s’approcha en hésitant de la silhouette qui se tenait dans la pénombre, au fond de la pièce aux murs de pierres grises.

L’endroit était plein de meubles recouverts d’un invraisemblable fouillis d’instruments et de papiers.

– Oui, oui… Tout va bien… Tout va très bien, même…

Le jeune homme s’immobilisa. Les chuchotements puissants et caverneux de celui qu’il avait appelé Maître commençaient à lui glacer le sang.

– Apporte-moi à boire. Il faut fêter cela. C’est un grand jour, aujourd’hui.

Le jeune homme se précipita dans l’escalier en colimaçon sans même chercher à fermer la porte derrière lui.

Dans l’obscurité, la silhouette bougea et se mit à arpenter le fond de la pièce qu’éclairait à grand-peine une lucarne. On aurait dit qu’elle entraînait l’ombre dans son sillage.

– Bientôt… Bientôt l’heure du triomphe…

Le serviteur revint en haletant, tenant un grand gobelet de métal. Il prit le temps d’essuyer avec un bout de sa tunique la sueur qui perlait sur son front et s’avança avec précaution.

– Votre corma, Maître.

– Pose-le là…

Il s’exécuta puis fit un pas en arrière.

La mystérieuse silhouette s’approcha de la table. Ce qui pouvait sembler une illusion, de loin, n’en était plus une : l’obscurité se déplaçait bien avec elle ! Et la forme que l’obscurité dissimulait, bien qu’indiscutablement humaine, était à peine visible. Un voile sombre se posa sur le gobelet de corma.

– Je lève mon verre à Tarquin… Et à tous ceux que son effet a élevés dans la lumière…

Le Maître émit un ricanement. Le jeune homme à la tunique adressa une prière à Bohor Tout-Puissant pour que son supplice prenne bientôt fin. Il détestait cette tour, il détestait cette chambre, encombrée d’objets étranges et de livres indéchiffrables ! Personne d’ailleurs n’aimait répondre aux appels du Maître, et les serviteurs jouaient leur tour aux dés. Lui, il n’avait jamais eu de chance.

– Va me chercher Lomgo… Et dis-lui d’apporter de quoi écrire…

Le serviteur ne se le fit pas répéter et, remerciant mentalement Bohor qui avait daigné exaucer sa prière, disparut à nouveau promptement dans l’escalier.

Peu de temps après, un autre personnage fit son apparition dans la pièce obscure. Grand et maigre, le crâne rasé

comme celui du serviteur, les yeux perçants comme ceux d’un oiseau de proie dont il avait d’ailleurs l’aspect, le scribe ne semblait pas le moins du monde effrayé par la mystérieuse silhouette.

– Vous m’avez fait appeler, Maître ?

– Oui… Assieds-toi, Lomgo, et prends note… Ensuite, tu iras toi-même porter la missive à notre ami… Sans oublier l’or qui va toujours avec…

Un nouveau ricanement résonna dans la pièce. Lomgo esquissa un petit sourire.

– Vous semblez de bonne humeur, Maître.

– Oui… de très bonne humeur… Cela fait une éternité que je n’ai pas été de si bonne humeur.

– Serait-ce un heureux présage que vous auriez découvert dans les entrailles d’un rat ?

– Plus qu’un présage, Lomgo, plus qu’un présage… Une promesse… La promesse d’un accomplissement…

Le scribe fronça les sourcils.

– Je ne comprends pas, Maître.

– Peu importe, peu importe… J’ai l’habitude… Je comprends pour ceux qui ne comprennent pas… Contente-toi d’écrire, et de faire ce que je te dis.

Lomgo pinça les lèvres. Il avait une assez haute idée de lui-même, et détestait se voir rabaisser de la sorte. Cependant, il se força à sourire et à baisser la tête. Le Maître était puissant. Très puissant. Trop, peut-être. D’une main, il plaça une grande feuille blanche sur son pupitre. De l’autre, à laquelle manquait un doigt, il saisit une plume, la trempa dans l’encre et attendit la dictée.

La lettre rédigée, Lomgo avait salué et s’était éclipsé. La silhouette enveloppée de ténèbres s’avança jusqu’à la porte, qu’elle ferma et verrouilla, puis elle vint se placer au centre de la pièce. Là, elle sembla brusquement prise de folie : elle se mit à danser, avec des gestes amples, en même temps qu’elle fredonnait un chant étrange. Tout à coup, le temps d’un éclair, la pièce s’illumina et tout disparut, silhouette et pénombre, comme aspiré par le néant.

8 DES CONFIDENCES SOUS les étoiles

– Maître Qadehar, demanda Guillemot alors qu’ils marchaient le long de la mer sur une plage de sable gris, si vous êtes un Sorcier de la Guilde, Maître, pourquoi ne restez-vous pas comme les autres dans un monastère perdu sur la lande ou dans les montagnes ?

L’initiation avait commencé. Cela faisait un mois maintenant que le garçon passait tous ses moments libres avec le Sorcier, notant et essayant de retenir un nombre incalculable de choses, depuis le nom des plantes et des algues jusqu’à l’emplacement des grandes ondes telluriques – ces flux d’énergie invisibles qui parcourent le sol à la façon dont les courants brassent la mer – et les épisodes principaux de l’histoire de la Guilde. La tâche semblait démesurée, et Guillemot s’endormait tous les soirs exténué. De temps en temps, ils s’accordaient une pause dans leur travail et partaient sans but, pour le seul plaisir de marcher. Pendant ces moments-là, l’atmosphère se détendait et Guillemot en profitait pour essayer d’assouvir sa curiosité.

– Pourquoi, mon garçon ? lui répondit Qadehar en observant le vol d’un goéland. Mais parce que je suis un Poursuivant, tout simplement !

Guillemot en resta bouche bée.

– Un Poursuivant ? Mais pourquoi vous ne me l’avez jamais dit ?

– Sans doute parce que tu ne me l’as jamais demandé, Guillemot.

Les Poursuivants étaient des Sorciers et des Chevaliers qui passaient le plus clair de leur temps dans le Monde Incertain, à poursuivre et à essayer de mettre hors d’état de nuire des individus ou d’autres créatures qui, d’une façon ou d’une autre, menaçaient le Pays d’Ys. Les Poursuivants n’étaient pas nombreux, et il courait sur leur compte des histoires plus extraordinaires les unes que les autres. Guillemot n’en revenait pas que Maître Qadehar soit l’un d’eux !

– Vous avez dû voir des choses incroyables, Maître Qadehar !

Le Sorcier s’amusa de l’excitation de Guillemot qui le regardait avec des yeux ronds.

– Oh oui, j’en ai vu ! Beaucoup trop d’ailleurs pour pouvoir te les raconter ici et maintenant. Plus tard, si tu travailles bien…

– Maître, supplia Guillemot, racontez-moi !