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Il lui fit accomplir le même parcours qu'à l'avocat, à ceci près qu'il le lui fit effectuer deux fois. Avant de démarrer, Bouzid avait pris le temps de vérifier l'emplacement de toutes les commandes et, au contraire de l'avocat, il parla en continu durant le trajet — qu'il fallut lui indiquer, tout comme à Carvin —, de sa famille, de son travail, de cet enculé d'avocat, de cette femme écrasée, ce n'était pas sa maîtresse, il ne l'avait jamais vue. C'est horrible de rouler comme ça sur une femme, non ? Il ne trompait pas son épouse, mais non, jamais, et où aurait-il pris le temps, même ? Et sa femme, hein, c'était son défaut, elle le surveillait sans cesse. Alors ? Comment il aurait fait ? On ne l'avait jamais envoyé en réparation dans cette boutique où la femme avait travaillé. Il se montra obligeant, beaucoup trop, allant jusqu'à proposer ses services gratuits si le distributeur à boissons de la Brigade tombait en panne. Le distributeur ne servait plus de soupe, et tout le monde s'en foutait.

À son retour, Adamsberg remit la voiture aux spécialistes des empreintes en leur expliquant précisément ce qu'il attendait d'eux, sur le véhicule du divisionnaire comme sur le 4×4. Une seule chose en fait, et rapide. Danglard sortait de son bureau, les joues un rien rosées, accompagnant l'avocat vers la sortie. Carvin avançait la mâchoire fermée, évitant les regards, ne saluant que le commissaire au passage. De toute évidence, un match 10 à 0 pour Danglard, exécuté en toute délicatesse, Adamsberg en était certain. Qui vit par l'épée périt par l'épée.

Adamsberg déambula un moment dans la salle de travail, bras croisés. Entre-temps, Voisenet était revenu à son poste, réalisant en entrant que la pièce, en effet, sentait fortement le vieux port. Toutes fenêtres ouvertes, un violent courant d'air passait sur les bureaux et chacun s'était débrouillé pour caler ses dossiers, qui avec des porte-crayons, qui avec ses chaussures, qui avec des boîtes de conserve dérobées dans l'armoire aux réserves du lieutenant Froissy, pâtés de sanglier, mousses de canard au poivre vert. Ce nouvel aménagement hétéroclite des tables donnait à l'ensemble une allure de vide-grenier ou de vente de charité, et Adamsberg espérait que le divisionnaire n'aurait pas l'idée subite de venir rechercher lui-même sa berline, et découvrir la moitié de la Brigade déchaussée dans une salle puante.

— Froissy, dit-il, passez l'enregistrement de l'interrogatoire de maître Carvin par Danglard à toute l'équipe. Cela sera réjouissant, ne le ratez pas. Mais avant, faites-moi un agrandissement des mains de Carvin durant son premier interrogatoire, un gros plan le plus net possible sur le bout de ses doigts, c'est-à-dire sur ses ongles.

Froissy travaillait vite et quelques minutes plus tard, elle désignait une main gauche à Adamsberg.

— J'obtiens de meilleurs résultats main par main expliqua-t-elle.

— Vous pouvez forcer le contraste ?

Froissy s'exécuta.

— Agrandissez encore.

Adamsberg se pencha longuement sur l'écran et se redressa satisfait.

— Vous pouvez répéter l'opération pour la main droite ?

— C'est en cours, commissaire. Vous y cherchez quoi ?

— Vous avez noté qu'il a les ongles de forme ronde ? Je veux dire que le bout des ongles a tendance à se refermer comme une coque sur l'extrémité de ses doigts. Vous voyez ? Ce sont des types d'ongles assez sympathiques pour les flics, car ils enferment plus volontiers des substances que d'autres.

— Quelles substances ?

— Je cherche de l'humus. De la terre bien brune.

— Je m'en occupe.

— De quoi, Froissy ?

— De faire monter les bruns en puissance. Voilà.

— Excellent, lieutenant. Où voyez-vous de la crasse ?

— Sous les angles des ongles du pouce et des annulaires.

— Oui, et il en avait encore aujourd'hui, au long du pouce. C'est un des coins les plus difficiles à récurer, surtout s'il s'agit de terre molle et collante et surtout sous un ongle rond.

— Ou bien c'est de la graisse de moteur.

— Non, dit Adamsberg en tapotant l'écran, c'est de la terre. Mais graisse ou terre, vous trouvez cela normal, chez un homme aussi soucieux de son apparence ?

— Il a pu planter quelque chose. On arrive en juin.

— Il aurait laissé ce travail à sa femme. Faites-moi des tirages de ces gros plans, voulez-vous ? Et puis lancez la vidéo de l'interrogatoire de Danglard. Cela va tous les rasséréner.

L'équipe technique des empreintes rangeait son matériel dans l'arrière-cour.

— Désolé, commissaire, lui dit le chef de groupe, écartant les bras. On a bien cette trace de doigt, deux même, pouce et index, sur le pare-brise de la voiture du divisionnaire, mais rien sur celui du 4×4. On ne peut pas gagner à tous les coups.

— C'est parfait comme cela. Envoyez-moi votre rapport dès que possible, avec des clichés des deux pare-brise.

— Pas avant demain, commissaire. On a encore deux scènes à traiter avant ce soir.

La salle de travail se vidait, la vidéo commençait en salle du chapitre. Adamsberg attrapa Voisenet au passage.

— Prenez votre appareil photo, Voisenet, un piochon, des gants et un sachet à prélèvement. J'emporte le détecteur à métaux. On ne va pas loin, juste dans l'impasse des Bourgeons.

— Commissaire, protesta Voisenet, qui se demanda s'il ne s'agissait pas là d'une mesure de rétorsion, je veux voir Danglard écraser ce type.

— Vous le verrez seul, après, et vous en profiterez d'autant.

Voisenet observa le visage d'Adamsberg, qui semblait avoir tout à fait oublié l'esclandre de la murène, passé aux pertes et profits. C'était plutôt la murène qui ne les avait pas oubliés, abandonnant dans son sillage son odeur infecte. Voisenet avait beau savoir que le commissaire n'était pas un type à ressasser ses rancunes et contrariétés, il avait toujours du mal à s'en convaincre, car lui-même ressassait volontiers.

Une fois devant l'immeuble des Carvin, Adamsberg marcha un moment dans l'impasse, qui, large et courte, évoquait plutôt une petite cour.

— Trois marronniers, dit-il. C'est bien.

— J'aurais pu vous le dire, commissaire. Si vous avez l'intention de fouiller le domicile, je vous rappelle qu'on attend encore la commission rogatoire du juge. Il était en week-end au moment des faits, et à l'heure actuelle, il compulse le dossier. Il compulse !

— Laissons-le compulser, Voisenet, je n'ai pas besoin d'entrer.

— Alors qu'est-ce qu'on fout là ?

— Dites-moi, Voisenet, vous vous y connaissez, en araignées ?

— Ce n'est pas mon domaine, commissaire. Et c'est un champ infini. Il en existe quarante-cinq mille espèces dans le monde, vous vous rendez compte ?

— Dommage, lieutenant. Rien d'important, mais je pensais que vous pourriez m'éclairer. C'est qu'en rentrant d'Islande, j'ai parcouru les nouvelles. Hormis les tueries et la pollution galopante, j'ai été intrigué par une petite histoire d'araignée.

Voisenet se mit sur ses gardes, fronçant ses gros sourcils noirs.

— Quelle petite histoire d'araignée ?

— Celle qu'on nomme la recluse, celle qui a recommencé à mordre en Languedoc-Roussillon et qui a fait cette fois deux morts, dit Adamsberg en sortant le détecteur à métaux du coffre de la voiture. On commence par cet arbre-là, Voisenet, au milieu de l'impasse. On enlève les grilles.

Voisenet regarda Adamsberg lancer l'appareil sans répondre. Il était un peu perdu parmi les considérations du commissaire qui voltigeaient entre les trois marronniers et l'araignée recluse. Il se reprit et suivit l'exploration circulaire du détecteur pas à pas.