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Un jeune employé le reçut pour lui donner des conseils pratiques et l’aiguiller dans la bonne direction.

— Votre invention est dans le domaine mécanique, chimique, électrique, électronique, informatique ?

Par élimination, Nicolas répondit : le premier. Le jeune homme ne lui demanda pas plus de détails et lui expliqua précisément comment constituer le dossier : remplir le formulaire du brevet, rédiger un descriptif précis de son invention, le faire superviser par un ingénieur de l’I.N.P.I. Rendez-vous fut pris pour le lendemain, le temps pour Nicolas de se débattre avec la formulation écrite de son invention. Il fut reçu vingt-quatre heures plus tard par Mme Zabel, qui lut son texte.

DESCRIPTION

La présente invention propose un étui coulissant servant à recouvrir les boîtes métalliques de soda, de jus de fruit ou de bière, et pouvant servir de support à des textes, illustrations, incrustations. Il coulisse sur n’importe quelle boîte de soda standard de manière à cacher sa marque.

Le dispositif consiste, selon une première caractéristique, en un cylindre de diamètre intérieur légèrement supérieur au diamètre extérieur d’une boîte de soda standard, et d’une hauteur identique à celle du cylindre principal de façon qu’il puisse coulisser sur cette dernière.

Selon les modes particuliers de réalisation, il comportera en outre :

— Au-dessus du cylindre de base, une partie chanfreinée surmontée d’un col vertical de quelques millimètres, reproduisant à un diamètre légèrement supérieur le chanfrein et le col d’une boîte de soda. Dans ce cas, l’objet de cette invention adhérera à la boîte de soda par l’ajustement de ses dimensions et la souplesse du matériau utilisé.

— Dans sa partie inférieure, un chanfrein reproduisant à un diamètre légèrement supérieur le chanfrein inférieur d’une boîte de soda, ainsi qu’un fond plat ou concave.

— Dans sa partie supérieure, un chanfrein surmonté d’un léger col vertical reproduisant à un diamètre légèrement supérieur le chanfrein et le col d’une boîte de soda, et dans sa partie inférieure, un système permettant de le faire adhérer à la boîte de soda sur sa partie inférieure chanfreinée.

— Il peut plus généralement être constitué d’un cylindre correspondant à tout ou partie de la hauteur d’une boîte de soda, avec ou sans fond, de manière à coulisser sur cette dernière et à la recouvrir.

Au grand étonnement de Nicolas, Mme Zabel lui fit modifier peu de choses ; de quoi se sentir presque inventeur. Dans le formulaire de dépôt, il avait pourtant commis une erreur ; dans la case « Titre de l’Invention », il avait écrit « Trickpack ».

— Ce serait éventuellement le nom d’une marque déposée. Ici, nous avons besoin d’une dénomination objective.

Faute de mieux, il opta pour « Étui à boîte de soda », de peur de proposer « Leurre à bière ». Elle corrigea le plus sérieusement du monde, c’était la preuve irréfutable que le dossier était recevable. Elle pianota un instant sur son ordinateur pour faire apparaître les brevets qui risquaient de se rapprocher de celui de Nicolas et n’en trouva que deux.

— Passez à la documentation pour avoir plus de détails, a priori ça n’a pas grand-chose à voir.

Elle lui donna quelques pistes pour le mettre en contact avec des industriels susceptibles d’être intéressés par le brevet. À la documentation, Nicolas consulta deux registres qui décrivaient chacun une invention servant à faciliter l’ouverture et l’utilisation des canettes, rien de comparable à son « Étui à boîte de soda ». Il passa à l’enregistrement, paya ses 250 francs de redevance et quitta l’I.N.P.I. Il se sentait, enfin, inventeur.

*

— Paraît qu’il y a eu une panne de secteur dans la moitié des installations du cinquième étage de la tour centrale.

— Pas entendu parler, fit José. Vous avez été touché monsieur Marcheschi ?

— Si j’ai été touché ! Vous voulez vraiment le savoir ?

Personne ne s’avisa de lui dire non. Nicolas le vit prêt à se lancer dans un sketch sur ses incomparables mérites.

— La panne a eu lieu exactement entre 15 h 10 et 15 h 30. Vous le savez sûrement, il y a une loi contre laquelle on ne peut rien, on peut l’appeler loi de Murphy, loi de l’emmerdement maximal, loi de la tartine beurrée, bref, tout le monde connaît cette loi qui veut que le pire a quelque chose d’inexorable contre lequel on ne peut lutter. Figurez-vous que, depuis février, je suis sur le point de finaliser une négociation avec un groupe milanais, la Cartamaggiore. Mon interlocuteur dans cette affaire est le redoutable Franco Morelli que j’ai connu en Master of Business à Harvard. Il me donne la préférence du fait de nos études communes — l’esprit de corps, il n’y a que ça de vrai ! — mais il peut, au moindre accroc, s’adresser à la Ragendorf de Francfort qui lui fera des propositions au moins équivalentes aux miennes. Franco ne lâche sur aucun point de la négociation. C’est moi, en pire.

Rires polis, juste pour lui laisser le temps de reprendre son souffle.

— Nous avons besoin d’un premier document pour fixer les principaux termes, je l’invite au Plaza afin de rédiger cette lettre d’intention, il en réfère à son conseil d’administration et obtient son aval. Pendant deux mois, j’ai beaucoup de mal à obtenir des Italiens les éléments techniques complémentaires, mais les choses avancent, jusqu’à aujourd’hui… où j’ai besoin de revoir certains points de ce fameux document. Il est 15 h 10, j’allume mon ordinateur, ouvre le dossier, souligne les points qui m’intéressent. Je veux donner au texte un maximum de confort de lecture et, Dieu sait ce qui me passe par la tête, je change de police de caractères. Il ne me reste plus qu’à cliquer sur Enregistrer, et allez savoir pourquoi, je clique sur… Effacer.

— Non !

— Vous n’avez pas fait ça ?

Nicolas n’en croyait pas ses oreilles. Le récit de Marcheschi était-il, enfin, celui d’un échec ?

— Ça semble absurde, mais c’est la vérité, tout le texte a disparu ! Certains d’entre vous vont penser, à juste titre, que ce n’est pas une simple maladresse mais un acte manqué parfait, l’envie de me faire peur, la volonté de mettre en péril ces négociations, que sais-je encore. Je ne nie pas la part d’inconscient dans un tel geste, mais je m’arrête là dans l’analyse : le mal était fait.

— Vous aviez toujours la possibilité d’utiliser la fonction Annuler frappe et le texte réapparaissait, dit Arnaud. Vous ne pouviez pas ne pas le savoir.

— Je le savais, bien sûr, c’est là que la loi de Murphy entre en action. Quand je suis sur le point d’appuyer sur la touche en question, il est 15 h 10, et tout le réseau informatique est déconnecté dans mon secteur. Au cas où vous ne le sauriez pas, mon cher Arnaud, quand l’ordinateur se rallume, il est trop tard pour appuyer sur Annuler frappe.

— Vous n’aviez fait aucune copie ?

— Si, justement, et la loi de Murphy s’illustre parfaitement : j’avais une copie. Dégoulinant de sueur, je retourne tous les tiroirs et la retrouve, je me précipite à la S.E.N. sur le premier ordinateur venu, j’entre la disquette, et je vois s’afficher sur l’écran : Disque illisible. Voulez-vous l’initialiser ?

— Ça, c’est vraiment pas de bol, fait Régine.

— Comme vous dites.

— Et alors ?

— Et alors, je me voyais mal rappeler Morelli pour lui demander : Au fait, dans le cas de la suppression du droit préférentiel de souscription, qu’est-ce qu’on avait convenu à propos du maximum de titres réservés ? Il me prenait pour un incapable et rappelait la Ragendorf dans l’heure.