— Et pourtant. Il y a quelque chose d’unique dans votre jeu : le revers décroisé.
— …?
— Un geste magnifiquement contrarié, saisissant de vitesse, avec un angle droit incroyable. Un coup de champion.
— …
— Il n’y a que deux individus au monde capable de maîtriser un pareil atout. Il y avait Adriano Panatta, notamment pendant le tournoi de Roland-Garros en 1976. Et puis il y avait un type, aujourd’hui disparu, qui s’appelait Thierry Blin.
Paul Vermeiren ne dit rien, retint un sourire et, d’un geste de la main, fit signe à Gredzinski de s’asseoir sur le tabouret près du sien.
Le serveur s’approcha de lui-même.
— Je vais prendre une vodka dans un petit verre bien glacé, dit Vermeiren, et vous ?
Nicolas réfléchit un instant, se laissa submerger par la tentation. Plus tard dans la soirée, il avait prévu d’ouvrir une bouteille de vin de pays débusqué par Loraine ; il avait décidé de ne plus boire qu’en sa présence ; elle serait là, désormais, pour partager ses moments d’euphorie, et pour longtemps peut-être.
— Rien, merci.
Ils gardèrent le silence jusqu’à ce que Vermeiren fût servi.
— Je pensais bien avoir gagné ce pari, dit-il. J’ai dupé tout mon petit monde, mais si mon masque tombe devant un inconnu !
Nicolas sourit, flatté.
— Vous vous souvenez de l’enjeu ? dit Paul.
— Bien sûr.
— Malheur au vaincu, demandez-moi ce que vous voulez.
Nicolas n’y avait jamais réfléchi. Surpris, il s’entendit répondre :
— Ma revanche au tennis.
Paul éclata de rire et se reprit très vite :
— Quand ?
— Pourquoi pas tout de suite, qu’on en finisse.
— Le club va fermer, il fait presque nuit, dit Vermeiren en regardant sa montre.
— Le court n° 4 est équipé de spots pour les tournois. Avec un gros pourboire, Maurice nous sortira le grand jeu.
Paul leva son verre sans avoir besoin d’ajouter un mot.
Une demi-heure plus tard, ils échangeaient quelques balles d’échauffement. Nicolas était de retour sur le court bien plus tôt qu’il ne l’avait imaginé. Il avait appris à saisir les occasions, or celle-ci ne se présenterait plus. Après tirage au sort, Paul choisit de servir. Chacun des deux se jura de vaincre.