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— Tu es une vraie truffe ! dit-il à Baum.

Ils se remirent à pousser. Cette fois, le fourgon se déplaça mollement, sans opposer de résistance. La roue avant droite se trouva au-dessus du vide et la voiture oscilla. À l’intérieur, les hommes avaient pris conscience de ce déséquilibre et ils se turent.

— Maintenant un bon coup de reins ! décida Baum. Ein, zwei, drei !

Le fourgon bascula. Il y eut un « plouff » énorme assorti d’un bruit de claque. L’auto noire ne coula pas tout de suite. Elle resta un instant sur le flanc, pareille à un cétacé échoué. L’eau entrait en bouillonnant par tous ses orifices. À l’intérieur, les gardes s’étaient remis à hurler, mais cette fois, leurs cris ne contenaient plus de colère. C’étaient des cris de terreur. Ils venaient de comprendre et une sorte d’hystérie s’emparait d’eux.

Inquiet, Baum examina les environs. Freddy le rassura d’un hochement de tête.

— Non, lui dit-il, à cinquante mètres ça ne s’entend plus. Et puis il n’y en a pas pour longtemps.

Le fourgon s’enfonça et disparut dans l’eau sombre.

— C’est vachement profond ce truc-là, admira Freddy. C’est vrai qu’on ne remise pas des sous-marins dans une cuvette, hein ! Il se pencha au-dessus du chenal pour regarder et poussa un juron. Une lumière bizarre brillait au fond de l’eau.

— Espèce de c… ! aboya-t-il en secouant Baum par le bras, t’as oublié d’éteindre les phares, regarde !

Baum se pencha à son tour. Il trouva l’effet joli et sourit.

— Ça ne va pas briller très longtemps, assura-t-il.

Ils tendirent l’oreille et crurent percevoir encore des cris. Cela semblait parvenir d’un autre monde.

— Le couloir du fourgon ne doit pas être tout à fait plein, expliqua-t-il à son camarade, comme ça, nos petits copains auront le temps de faire leur prière.

Il s’étira et respira profondément l’air humide. Le chantier sentait le bois pourri. 

7

— Tu veux une cigarette, Frank ? demanda Lisa.

Il accepta d’un hochement de tête et allongea ses pieds sur le bureau.

— Où font-ils basculer la voiture ? questionna-t-il.

— T’inquiète pas, s’empressa Paulo, ça se passe dans un endroit étudié pour. Ça fait huit jours qu’on l’avait repéré. D’ici qu’on la repêche, de l’eau aura coulé sous le pont !

Il rit. Mais sa joie était factice et ne trouva pas d’écho. Lisa alluma une cigarette et la glissa entre les lèvres de Frank. Gessler lisait l’amour de la jeune femme pour l’évadé dans ses moindres gestes.

— Ils s’y sont pris comment ? poursuivit Frank. Dans mon carrosse, je ne me suis rendu compte de rien.

Ce fut Gessler qui donna les explications. Il avait besoin de sortir de sa louche torpeur. Il devait réagir, lutter…

— Le fourgon cellulaire devait emprunter l’Elbtunnel. Un ascenseur descend les véhicules.

— En effet, j’ai senti.

— Deux faux motards sont entrés en même temps que le fourgon dans l’ascenseur.

— Dont Freddy, précisa Paulo avec orgueil, comme si l’exploit de son ami l’auréolait d’un prestige délicat.

— Pendant la remontée, continua Gessler, ils ont neutralisé le chauffeur et le garde qui l’escortait.

— Ni vu ni connu, exulta Paulo. Si ça se trouve, il s’écoulera plusieurs heures avant que l’alarme soit donnée.

Frank appréciait la simplicité et l’efficacité du plan. C’était du beau travail.

— Et la suite du programme ? demanda-t-il.

Il s’était adressé à Gessler.

— À sept heures et demie, un cargo va remonter le fleuve à destination du Danemark ; vous embarquerez tous.

Lisa ouvrit la valise.

— Il y a là un uniforme à ta taille et de faux papiers.

Frank regarda les hardes d’un œil pensif.

— Et s’il y avait du pétard dans le secteur au moment de l’embarquement ? demanda-t-il.

— Prévu aussi ! assura fièrement Paulo.

— Oui, dit Lisa ; nous nous entasserions dans une immense caisse qui nous attend sur le quai d’embarquement de cet entrepôt.

Paulo montra Walter d’un hochement de tête.

— Lui et son copain, ils nous chargeront tous les quatre à bord du barlu avec une grue ; c’est plaisant, non ?

Jusque-là, Frank n’avait accordé que peu d’attention à Walter.

— Qui sont ces types ? questionna-t-il.

— Des spécialistes. Et crois-moi, ils en connaissent un brin sur la question. Avec eux on ne bavarde pas : on agit ; d’ailleurs tu as pu t’en rendre compte.

— Et où les avez-vous dénichés, ces spécialistes ? insista Frank.

— C’est M. Gessler qui nous les a procurés, expliqua Lisa.

Frank adressa une petite courbette à son avocat.

— Eh bien, maître, plaisanta le garçon, vous avez de curieuses relations.

— C’est mon métier qui le veut, riposta Gessler. J’ai défendu un roi de la pègre dernièrement. C’est à lui que j’ai adressé Lisa.

Frank tressaillit en entendant Gessler employer le prénom de Lisa. Il les regarda alternativement en sifflotant entre ses dents, puis lâcha tout de go :

— Merci, maître.

Il ajouta avec un sourire tout en dents :

— Vous cachez bien votre jeu !

— C’est son métier de donner le change, fit Paulo.

— Vous paraissiez plus sévère encore que mes geôliers, affirma Frank sans lâcher Gessler des yeux. J’étais loin de me douter que vous me feriez évader.

— J’étais loin de m’en douter aussi, riposta durement l’avocat.

Il y eut une période de silence. Lisa passa derrière Frank et noua ses deux bras autour de son cou.

— Je n’ai pas voulu qu’on te prévienne afin de t’éviter une désillusion pour le cas où ça aurait raté.

— Tu comprends, expliqua Paulo, il fallait attendre l’occasion. Ce transfert, tu parles d’une providence !

Gessler boutonna son vêtement :

— Je souhaite que cette providence se manifeste au moins jusqu’à Copenhague, dit-il. Je vais vous laisser ; il vaut mieux que je ne m’attarde pas trop ici. Surtout soyez prêts à sept heures et demie. Le cargo ne pourrait pas attendre, car les services des douanes ferment à ce moment-là.

Il prit ses gants de cuir noir dans sa poche, en enfila un tout en considérant le couple et ajouta :

— Bien entendu, le commandant du bateau est au courant. Bonne chance !

— Hé ! ça ne se dit pas ! protesta Paulo.

— Excusez-moi.

Frank se leva.

— Vous n’avez pas peur que les flics vous cherchent des histoires ?

— C’est un risque à courir, dit Gessler.

Ils se dévisagèrent comme deux personnes qui ne se connaissent pas et qui doivent conclure un accord.