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— Dieu merci, de ce côté-là, tout va bien. Nous sommes une famille unie et équilibrée.

— Vous êtes infirmière. Mais dans le dossier, la profession du père n’est pas renseignée…

— Médecin, je suis médecin.

— Excellent. Le petit est-il souvent livré à lui-même ?

— Une amie vient le chercher après la garderie, répondit Pauline, et je le retrouve ensuite. Il est encadré en permanence.

— Joue-t-il à des jeux vidéo violents ?

— Il joue un peu, mais rien d’excessif ni dans le contenu, ni dans la durée.

— Qui de vous deux suit ses devoirs ?

— Le plus souvent c’est moi, mais Thomas s’en occupe aussi. Ils partagent beaucoup d’activités créatives. Par exemple, ils dessinent ensemble…

— Avez-vous remarqué une quelconque évolution chez votre fils ?

Le docteur prit la parole :

— Il est clair qu’il grandit et cherche à s’affirmer. Il est en recherche d’autonomie et de responsabilité. Il n’aime pas que l’on vérifie ses devoirs. Monsieur grogne aussi quand ses vêtements ne lui plaisent pas. Même à table, il veut se servir tout seul. On le laisse faire autant que possible mais vous les connaissez, à cet âge-là, ils voudraient déjà avoir le permis !

— Ce n’est pas faux. Lui avez-vous parlé des différents incidents avec sa maîtresse et ses camarades ?

— Pauline et moi abordons les problèmes sans tabou. Le respect des autres, qu’ils soient plus âgés ou plus jeunes, est un point fondamental de l’éducation que nous souhaitons lui apporter. Nous lui avons clairement dit ce que nous pensions et ce que nous attendions de lui.

— A-t-il eu une réaction ?

— Je crois qu’il a compris. J’ai observé son comportement, que ce soit avec sa mère, des personnes âgées ou même avec les animaux. C’est un bon gamin. Il traverse sans doute une phase de mise au point avec lui-même comme nous en connaissons tous un jour.

La directrice lâcha un sourire. Pauline n’en revenait pas. Le docteur avait réussi à se la mettre dans la poche.

— Je suis agréablement surprise du regard que vous portez sur votre fils. On devine le recul du praticien. Si tous les parents pouvaient avoir votre vigilance…

— Chacun fait ce qu’il peut. Tout est une question de point de vue.

Le naturel avec lequel Thomas se glissait dans le rôle du père impressionnait Pauline. Mais en définitive, il ne jouait pas. Il agissait avec son fils comme avec les résidents : il observait avec bienveillance. Il passait son temps à étudier les gens pour tenter de les comprendre. Elle eut un instant de panique en prenant conscience qu’il la scrutait sans doute avec la même acuité.

— Tu es d’accord, chérie ?

— Pardon ?

Le docteur avait posé sa main sur celle de Pauline et lui souriait. Si seulement cela s’était produit ailleurs que dans le bureau de la directrice…

— Bien sûr. Je suis d’accord.

L’infirmière n’avait aucune idée de ce qu’elle venait d’approuver. S’agissait-il de repeindre l’enfant en violet ou de lui administrer deux cents coups de fouet ?

— Me voilà donc rassurée, dit la directrice en se levant. La période difficile de notre petit Théo ne sera donc rapidement qu’un lointain souvenir.

— Vous pouvez compter sur nous, conclut Thomas en lui serrant la main.

En quittant l’école, Pauline était un peu ailleurs. Elle ne parvenait pas à effacer la sensation éprouvée lorsque le docteur lui avait touché la main. De plus, pour la première fois, elle-même l’avait appelé par son prénom…

De son côté, le docteur n’était pas non plus dans son état normal. Il se demandait ce qu’il faisait là, à s’occuper d’un fils présenté comme le sien mais dont il n’était pas le papa, alors que sa propre fille ne soupçonnait même pas sa présence. S’il espérait toujours comprendre ce que signifiait la paternité, Thomas sut qu’il ne le découvrirait pas aujourd’hui.

58

Thomas patientait, posté avec discrétion à la fenêtre de son logement. Il avait méticuleusement répété son plan. En se basant sur la moyenne des chronométrages effectués entre le moment où Romain se garait devant la résidence et celui où il arrivait à l’étage, le docteur avait tout juste le temps de se mettre en place.

Romain commençait ses journées vers 8 h 30 et rentrait en général à son appartement vers 17 heures, avant de ressortir. Il allait parfois rejoindre Emma, mais pas systématiquement. Cela occasionnait souvent des situations alambiquées car il était fréquent qu’à peine son locataire reparti, Thomas prenne à son tour le chemin du centre-ville avec Pauline, espérant profiter un peu d’Emma au cas où son petit ami n’irait pas la retrouver. Il lui était aussi déjà arrivé de regagner le foyer après Romain. Mais le plus souvent, le docteur se trouvait dans la pièce consacrée à sa fille lorsqu’il entendait le jeune homme rentrer.

Thomas s’était vite habitué à sa présence et commençait à mieux le connaître. À la façon dont il descendait l’escalier métallique extérieur le matin, le docteur savait si le jeune homme était bien réveillé ou en retard. Thomas avait aussi du mal à s’endormir le soir tant que son locataire n’était pas rentré. L’idée de ne plus être le seul homme valide la nuit le rassurait même un peu. Cela constituait une sécurité supplémentaire pour les résidents. Le médecin n’oubliait jamais l’aspect provisoire des situations sereines.

La semaine précédente, assez tard, Thomas avait entendu Romain jouer de la guitare. Quelques accords le premier soir, puis davantage les jours suivants. Les mélodies étaient simples mais le sens du rythme indéniable. Romain avait donc fait bien mieux que seulement remarquer l’instrument laissé par le directeur à titre décoratif. Parfois, les jeunes mâles surprennent leurs aînés.

Seul point négatif, Thomas ne pouvait plus aller ouvrir la fenêtre d’où il entendait chanter Michael. Alors régulièrement, il sortait dans le jardin. Quand il avait de la chance, il lui arrivait de l’entendre donner son lointain récital, pendant que les chatons d’Hélène s’ébattaient sous le clair de lune. Ils avaient grandi et leur mère les laissait s’aventurer jusqu’au verger. Si la vieille dame restait à sa fenêtre à les observer, Thomas lui faisait la conversation. Elle s’en délectait, comparant la situation à la scène du balcon de Roméo et Juliette.

L’approche d’une voiture alerta le docteur. Romain, enfin. Thomas se hâta de rejoindre le palier. Il se positionna comme s’il allait rentrer chez lui, main sur la poignée, prêt à être interrompu dans son élan par son locataire rentré comme par miracle pile à cet instant-là.

Ce n’était pas la première fois que Thomas orchestrait un « hasard ». Il avait déjà manigancé une rencontre officiellement fortuite sur un sentier de la vallée de Kapoor. Il s’agissait alors de demander au père de Kishan la permission de rester vivre au village. Le jeune médecin avait patienté plus de trois heures, sous un soleil de plomb, prêt à faire croire qu’il revenait des hauteurs. Lorsque la rencontre tant espérée se produisit enfin, Thomas souffrait d’un début d’insolation et tint des propos incohérents sans aucun rapport avec ce qu’il avait voulu dire. Darsheel avait bien raison de clamer que le hasard n’existe pas.

Sur le palier, immobile, figé dans son mouvement, le docteur ressemblait à une des figurines en plastique de sa fille. Le fait de garder la position ne lui sembla soudain plus naturel du tout. Terriblement guindé. Trop artificiel. Et Romain qui n’arrivait pas. Pourquoi n’était-il pas déjà en haut de l’escalier ? Même quand il rapportait des courses, il n’était jamais si long.