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– Par Zeus, assembleur de nuées! – s’écria Marcus Vinicius, – quel choix il y a ici!

– Je préfère la qualité à la quantité, – répondit Pétrone – Toute ma familia [1] de Rome ne dépasse pas quatre cents tête: et j’estime que les parvenus seuls ont besoin, pour leur service particulier, d’un plus nombreux domestique.

– Chez Barbe-d’Airain lui-même, on ne trouverait pas de corps aussi parfaits, – dit Vinicius, les narines palpitantes.

À ces mots, Pétrone répondit avec une sorte d’insouciance amicale:

– Tu es mon parent et je ne suis, moi, ni si peu accommodant que Barsus, ni aussi pédant qu’Aulus Plautius.

Vinicius, à ce dernier nom, oublia déjà les filles de Cos et élevant brusquement la voix, il demanda:

– Pourquoi Aulus Plautius t’est-il venu à l’esprit? Sais-tu que, m’étant démis le bras à proximité de la ville, je suis resté quelques jours chez eux? Plautius, étant venu à passer au moment de l’accident et voyant que je souffrais beaucoup, m’avait emmené chez lui où son esclave, le médecin Mérion, me guérit C’est précisément de cela que je voulais te parler.

– Et alors? Te serais-tu par hasard amouraché de Pomponia? En ce cas, je te plaindrais: pas jeune et si vertueuse! Je ne puis rien imaginer de plus mauvais que ce mélange. Brrr!

– Non, pas de Pomponia! Eheu! – fit Vinicius.

– Et de qui donc?

– De qui? Si je le savais! Je ne connais même pas au juste son nom: Lygie, ou Callina? On l’appelle chez eux Lygie, parce qu’elle est de la nation des Lygiens, mais en outre elle a son nom barbare de Callina. Étrange maison que celle de ces Plautius! Elle est pleine de monde, et cependant il y règne un silence pareil à celui des bosquets de Subiacum. Pendant une dizaine de jours, j’ignorai qu’une divinité y résidait. Mais un matin, à l’aube, je l’aperçus qui se baignait dans un bassin du jardin. Et, sur l’écume d’où naquit Aphrodite, je te jure que les rayons de l’aurore se jouaient à travers son corps. Je craignais de la voir se fondre devant moi au soleil levant, comme se fond l’aurore. Depuis, je l’ai revue deux fois, et je ne sais plus ce que c’est que le repos; je n’ai plus aucun autre désir, je veux ignorer tout ce que peut me donner la ville; je ne veux pas de femmes, je ne veux pas d’or, je ne veux ni bronzes de Corinthe, ni ambre, ni nacre, ni vin, ni festins…, je ne veux que Lygie. Pétrone, je languis pour elle comme, sur la mosaïque de ton tepidarium, le Sommeil languit pour Païsiteia; je la désire jour et nuit.

– Si c’est une esclave achète-la.

– Elle n’est pas esclave.

– Qu’est-elle donc? Une affranchie de Plautius?

– Elle n’a jamais été esclave, on n’a pas eu à l’affranchir.

– Alors?

– Je ne sais. Une fille de roi, ou quelque chose d’approchant.

– Tu m’intéresses, Vinicius.

– Si tu veux bien m’écouter, ta curiosité va être satisfaite. L’histoire n’est pas longue. Peut-être as-tu rencontré jadis Vannius, ce roi des Suèves qui, chassé de son pays, résida longtemps à Rome et y devint même fameux par sa chance au jeu d’osselets et sa façon de conduire un char. César Drusus le replaça sur son trône. Vannius, qui était en réalité un homme de valeur, gouverna d’abord très bien et mena des guerres heureuses; plus tard, cependant, il en vint à pressurer un peu trop, non seulement ses voisins, mais aussi ses propres Suèves. Si bien que Vangio et Sido, ses neveux, fils de Vibilius, roi des Hermandures, s’entendirent pour le forcer à retourner à Rome… y tenter la chance aux osselets.

– Je m’en souviens, c’était sous Claude, il n’y a pas si longtemps.

– Oui!… La guerre éclata. Alors Vannius demanda l’aide des Yazygues; de leur côté, ses chers neveux, les Lygiens, ayant ouï parler des richesses de Vannius et attirés par l’appât du butin, accoururent si nombreux que César Claude commença à redouter l’invasion de ses frontières. Bien que peu enclin à s’immiscer dans les guerres des Barbares, il écrivit néanmoins à Atelius Hister, qui commandait la légion du Danube, de suivre d’un œil attentif les péripéties de la guerre et d’empêcher qu’on troublât notre paix. Hister exigea alors des Lygiens la promesse qu’ils ne franchiraient pas notre frontière; non seulement ils y adhérèrent, mais encore ils donnèrent des otages, dont la femme et la fille de leur chef… Car, tu le sais, les Barbares traînent à la guerre leurs femmes et leurs enfants… Or, ma Lygie est la fille de ce chef.

– Comment as-tu appris tout cela?

– C’est Aulus Plautius qui me l’a conté… Ainsi donc, les Lygiens ne passèrent pas alors la frontière. Mais les Barbares arrivent comme un ouragan et disparaissent de même. Ainsi disparurent les Lygiens aux têtes ornées de cornes d’aurochs. Ils battirent les Suèves et les Yazygues rassemblés par Vannius; mais leur roi ayant péri, ils partirent avec leur butin, laissant les otages entre les mains d’Hister. Peu après, la mère mourut, et Hister, ne sachant que faire de l’enfant, l’envoya au gouverneur de la Germanie, Pomponius. Après la guerre des Canes, celui-ci rentra à Rome, où Claude, tu le sais, lui fit décerner les honneurs du triomphe. La fillette suivit le char du vainqueur; mais après la cérémonie, un otage ne pouvant être considéré comme une captive et Pomponius ne sachant que faire d’elle, la confia à sa sœur, Pomponia Græcina, femme de Plautius. Sous ce toit, où tout est vertueux, depuis les maîtres jusqu’aux volatiles de la basse-cour, elle grandit vierge, aussi vertueuse, hélas! que Græcina, et si belle que Poppée en personne semblerait à côté d’elle une figue d’automne auprès d’une pomme des Hespérides.

– Et alors?

– Alors, je te le répète, depuis que j’ai vu les rayons passer à travers son corps pour se jouer dans l’eau du bassin, je l’aime à en devenir fou.

– Est-elle donc aussi transparente qu’une lamproie ou qu’une petite sardine?

– Ne plaisante pas, Pétrone; et si tu t’illusionnes parce que je parle avec calme de ma passion, rappelle-toi que souvent sous une toge élégante se cachent de profondes blessures. Je dois te dire aussi qu’à mon retour d’Asie, j’ai passé une nuit dans le temple de Mopsus dans l’espoir d’un songe prophétique, et là Mopsus m’apparut lui-même et m’annonça que l’amour devait amener un changement complet dans ma vie.

– J’ai entendu Pline dire qu’il ne croyait pas aux Dieux, mais qu’il croyait aux songes, et il est possible qu’il ait raison. En dépit de mes plaisanteries, je n’en pense pas moins quelquefois qu’en réalité il n’y a qu’une seule divinité, éternelle, toute-puissante, créatrice: Venus Genitrix. C’est elle qui fond tout ensemble les âmes, les corps et les choses. Éros a tiré le monde du chaos. A-t-il bien fait? Ce n’est pas là la question; mais puisqu’il en est ainsi, nous pouvons bien reconnaître sa puissance, sauf à ne pas l’adorer…

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[1] Nom qui désigne collectivement tous les esclaves de la maison. (Note de l’auteur.)