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— Des blessés ? demanda-t-il au conducteur, l’électrotech Richard Wakefield.

— Janos a reçu un coup violent à l’épaule lorsqu’il a sauté, mais Nicole vient d’annoncer par radio qu’il ne s’est rien démis ou cassé. Il ne souffre que de simples contusions.

Le général s’installa sur le siège avant, à côté de Wakefield. La femme blonde, la journaliste Francesca Sabatini, cessa de filmer la scène pour ouvrir la portière arrière. Borzov lui fit signe de s’écarter.

— Allez voir Desjardins et Tabori, ordonna-t-il en désignant du doigt l’autre côté de la plaine. Wilson doit déjà être sur place.

Les deux hommes partirent dans la direction opposée. Quatre cents mètres plus loin ils s’arrêtèrent à la hauteur de David Brown, un quinquagénaire vêtu d’une combinaison de vol. Il était occupé à plier son parachute et à le ranger dans son sac. Le général Borzov descendit du véhicule et s’approcha du scientifique.

— Vous n’êtes pas blessé, docteur Brown ?

Il semblait impatient d’en finir avec les préliminaires. L’autre homme se contenta de secouer la tête, sans rien dire.

— En ce cas, peut-être pourrez-vous m’apprendre à quoi vous pensiez quand vous avez ordonné à Yamanaka de passer en mode manuel ? Mieux vaudrait mettre les choses au point ici, loin des oreilles indiscrètes.

L’Américain resta muet.

— N’avez-vous pas vu les messages de danger ? continua Borzov après une brève pause. Ne vous est-il pas venu à l’esprit qu’une telle manœuvre compromettrait votre sécurité ?

Brown lui adressa un regard menaçant. Lorsqu’il répondit enfin, sa voix sèche et tendue trahissait ses émotions.

— Nous devions saisir notre proie. Réduire cette marge représentait le seul moyen de capturer le biote. Notre mission consistait à…

— Il est superflu de me le rappeler, l’interrompit le militaire avec emportement. Je fais partie de ceux qui ont décidé des modalités de cet exercice. Mais vous avez oublié que la sécurité des membres de l’équipe doit passer avant tout, quelles que soient les circonstances. Cette consigne est d’autant plus prioritaire qu’il s’agit de simples simulations… Et j’avoue que vos acrobaties m’ont sidéré. L’hélicoptère est endommagé et Tabori blessé. Vous pouvez vous estimer heureux que nul n’y ait laissé la vie.

Sans plus prêter attention au général, David Brown se détourna pour achever de plier son parachute. À en juger par l’énergie qu’il dépensait pour ce travail de routine, il devait bouillir de rage.

Borzov regagna son véhicule. Après quelques secondes d’attente il proposa au Dr Brown de le reconduire jusqu’à la base. L’Américain secoua la tête, hissa le sac sur son dos et s’éloigna à pied vers l’ascenseur.

3. RÉUNION

Janos Tabori était assis dans un fauteuil, en face d’une rangée de petits projecteurs portables installés à l’extérieur de la salle de conférences de la base d’entraînement.

— Le faux biote était à la limite de la portée du bras mécanique, expliquait-il à la caméra de poche de Francesca Sabatini. J’ai tenté de le saisir à deux reprises, sans succès. Le Dr Brown venait de décider de passer en manuel pour rapprocher l’hélico de la paroi quand une rafale de vent a déséquilibré l’appareil…

La porte de la salle s’ouvrit sur un visage rubicond et souriant.

— Vous vous faites désirer, déclara le général O’Toole. Je crois que Borzov commence à s’impatienter.

Francesca coupa les projecteurs et glissa le caméscope dans une poche de sa combinaison.

— C’est bon, mon héros hongrois, déclara-t-elle en riant. Il faut remettre la fin de cette interview à plus tard. Le grand patron a horreur d’attendre.

Elle s’avança pour étreindre le petit homme et tapoter doucement son épaule bandée.

— Nous sommes tous heureux que votre blessure soit bénigne.

Pendant les prises de vues Reggie Wilson était resté à la limite du champ de la caméra pour taper des notes sur un petit clavier plat rectangulaire. Ce Noir quadragénaire plein de prestance les suivit dans la salle.

— Je voudrais faire un papier sur les techniques de télémanipulation, murmura-t-il à Tabori lorsqu’ils s’assirent. De nombreux lecteurs se passionnent pour les détails de ce genre.

— Je vous remercie d’avoir daigné vous joindre à nous, déclara Borzov sur un ton sarcastique. Je commençais à craindre que de telles réunions ne soient pour vous une corvée, une activité bien moins intéressante que romancer nos mésaventures ou pondre des articles scientifiques.

Il désigna Reggie Wilson et le clavier dont il ne se séparait jamais.

— Wilson, même si vous avez des difficultés à l’admettre, vous faites partie de cette expédition et cela doit passer avant vos devoirs de journaliste. Ne pouvez-vous ranger ce maudit machin et vous contenter d’écouter ce que j’ai à vous dire à titre officieux ?

Wilson fourra le clavier dans son attaché-case. Borzov se leva et fit le tour de la salle. Autour de la table ovale on dénombrait douze places dotées d’un terminal et d’un moniteur encastrable dans le plateau en faux bois. Comme à leur habitude, les deux autres militaires – l’amiral européen Otto Heilmann (devenu un héros depuis l’intervention du Conseil des gouvernements dans la crise de Caracas) et le général des forces aériennes américaines Michael Ryan O’Toole – occupaient les sièges placés de part et d’autre de celui de Borzov à une extrémité de l’ovale. Les membres restants de l’équipe Newton ne s’installaient jamais à la même place, ce qui avait le don d’irriter l’amiral Heilmann et, à un moindre degré, le commandant Borzov.

Parfois, les « civils » se regroupaient à l’autre bout de la table et laissaient aux « cadets de l’espace », ainsi qu’on appelait familièrement les diplômés de l’Académie spatiale, le soin de créer une zone tampon entre eux et les militaires. Le projet Newton focalisait depuis près d’un an l’attention constante des médias et le public les avait divisés en trois catégories : le groupe des deux scientifiques et des deux journalistes, la troïka militaire, et les cinq cosmonautes qui se chargeraient des tâches spécialisées tout au long de la mission.

Mais les habitudes n’avaient pas été respectées, ce jour-là. Shigeru Takagishi, ce chercheur pluridisciplinaire japonais considéré comme le meilleur expert de l’expédition envoyée sur le vaisseau extraterrestre soixante-dix ans plus tôt (et auteur de l’Atlas de Rama que devaient obligatoirement lire tous les participants à cette nouvelle mission), était assis entre la pilote soviétique Irina Turgenyev et l’électrotech britannique Richard Wakefield, en face de l’officier des Sciences de la vie Nicole Desjardins – une femme sculpturale au teint cuivré et à l’arbre généalogique franco-africain compliqué –, du pilote japonais taciturne Yamanaka et de la très séduisante signora Sabatini. Les trois dernières positions au sud de l’ovale, en face des grandes cartes de Rama qui couvraient la paroi opposée, étaient occupées par le journaliste américain Wilson, le loquace Tabori (un cosmonaute soviétique de Budapest), et le Dr David Brown qui avait étalé un monceau de documents devant lui au début de la réunion.