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— J’avais dix-neuf ans, à l’époque, lui dit le jeune homme quand la rame entra en gare. Et j’ai reçu une éducation très stricte. J’ai appris plus de choses sur l’amour et le sexe pendant les dix années où vos émissions ont été diffusées à la télévision qu’au cours de toute ma vie antérieure. Je tenais à vous en remercier.

Francesca accepta le compliment. Elle était habituée à être abordée dans les lieux publics. Quand le train stoppa et qu’elle descendit sur le quai, elle fit un sourire au jeune homme et à son amie. Reggie Wilson lui proposa de transporter son matériel de prise de vues jusqu’au porte-personnes qui les conduirait à leur hôtel.

— Ça ne t’irrite jamais ? demanda-t-il. Elle prit un air interrogateur.

— Je parle de l’attention que tu attires, du fait d’être connue.

— Non, répondit-elle. Bien sûr que non.

Six mois se sont écoulés et il ne me connaît pas encore. Mais peut-être est-il simplement trop macho pour pouvoir admettre que certaines femmes ont autant d’ambition qu’un homme.

— Avant de te rencontrer je savais que tes séries télévisées avaient eu un énorme succès, mais pas que tu ne pouvais aller au restaurant ou dans un autre lieu public sans être abordée par tes admirateurs.

Reggie continua de parler alors que le porte-personnes sortait de la gare et s’engageait dans le centre commercial. Près de la piste, à une extrémité de la galerie marchande, ils virent un attroupement devant une salle de spectacle. Ils lurent sur l’auvent qu’on y jouait Qu’il pleuve ou qu’il vente de la grande dramaturge américaine Linzey Olsen.

— As-tu vu ce film ? demanda Reggie à Francesca. J’ai assisté à sa projection lorsqu’il est sorti, il y a environ cinq ans. Helen Caudill et Jeremy Temple. Avant qu’elle ne devienne une célébrité. Ça se passe à Chicago, pendant une tempête de neige, et c’est l’histoire d’un homme et d’une femme qui doivent partager la même chambre d’hôtel. Ils sont mariés tous les deux et tombent amoureux l’un de l’autre en se parlant de leurs espoirs déçus. Un truc plutôt bizarre.

Francesca n’écoutait pas. Un garçon qui lui rappelait son cousin Roberto venait de monter à bord du porte-personnes. Il avait un teint mat, des cheveux bruns, des traits délicats. Il y a combien de temps que je ne l’ai pas vu ? se demanda-t-elle. Trois ans, à peu de chose près. À Positano, avec sa femme. Elle soupira et se rappela une époque plus lointaine. Elle riait et courait dans les rues d’Orvieto, âgée de neuf ou dix ans, encore pure et innocente. Roberto était son aîné de quatre ans. Ils jouaient avec un ballon de football sur la piazza, devant le Duomo. Elle aimait taquiner son cousin. Il était si doux, si simple. Roberto avait été le seul élément positif de son enfance.

Le porte-personnes s’immobilisa devant l’hôtel. Reggie la dévisageait et elle comprit qu’il venait de lui poser une question.

— Alors ? s’enquit-il en descendant du véhicule.

— Désolée, mais j’étais dans les nuages. Qu’as-tu dit ?

— Je ne me savais pas soporifique à ce point.

Il la fixa, pour s’assurer qu’elle lui prêtait attention.

— Qu’as-tu décidé ? Les possibilités se réduisent à chinois ou cajun.

La perspective de dîner en compagnie de Reggie ne la séduisait guère.

— Je suis morte de fatigue. Je compte prendre un en-cas dans ma chambre puis travailler un peu.

Elle aurait dû prévoir qu’il en serait blessé. Elle se leva sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur ses lèvres.

— Mais rien ne t’empêche de venir me rejoindre aux alentours de 10 heures.

* * *

Sitôt dans sa suite Francesca consulta le terminal pour prendre connaissance des messages reçus. Il y en avait quatre en tout. L’expéditeur, l’heure de réception, la durée et l’urgence de chaque appel étaient indiqués. Le système prioritaire était une nouveauté de l’International Communications Inc., une des trois sociétés de télécommunications en expansion depuis le milieu du siècle. L’utilisateur fournissait son emploi du temps journalier et signalait quels correspondants pouvaient interrompre quelles activités. Elle avait décidé de ne faire retransmettre sur le terminal de la demeure de David Brown que les priorités un (urgence extrême). L’interview de cet homme et de sa famille ne lui prendrait qu’une journée et elle souhaitait réduire au minimum les risques de contretemps.

Il n’y avait qu’un message de priorité deux. Il durait trois minutes et avait été envoyé par Carlo Bianchi. Francesca se renfrogna, fournit son code et alluma le moniteur. Un Italien mielleux entre deux âges vêtu d’une tenue d’après-ski apparut sur l’écran, assis sur un divan devant des flammes qui dansaient dans l’âtre d’une cheminée.

— Buongiorno, cara, la salua-t-il.

Le signor Bianchi laissa la caméra effectuer un panoramique du séjour de sa nouvelle villa de Cortina d’Ampezzo puis en vint à l’essentiel. Pourquoi refusait-elle de figurer dans les spots publicitaires de sa collection d’été de vêtements de sport ? Sa compagnie lui avait proposé des sommes importantes et pris l’espace pour thème de cette campagne qui ne serait diffusée qu’à la fin de la mission Newton, pour respecter les engagements qu’elle avait pris envers l’A.S.I. Il ajouta que leurs accrochages appartenaient au passé et qu’il lui fallait une réponse dans une semaine.

Va te faire foutre, connard, pensa-t-elle, surprise par la violence de sa réaction. Peu de gens l’exaspéraient, mais Carlo Bianchi était l’un d’eux. Elle enregistra un message destiné à Darrell Bowman, son agent de Londres.

— Salut, Darrell. C’est Francesca qui t’appelle de Dallas. Dis à cette fouine de Bianchi que je ne ferais pas ses pubs même s’il me proposait dix millions de marks. Au fait, comme son principal concurrent est Donatelli, pourquoi ne pas contacter la responsable des services de publicité de cette firme – Gabriela Machin Chose, je l’ai rencontrée un jour à Milan – et lui dire que j’aimerais travailler pour elle dès la fin du projet Newton ? En avril ou en mai. C’est tout ce que j’ai à te dire. Je rentre à Rome demain soir. Salue Heather pour moi.

Le message le plus long provenait de son mari, Alberto, un grand sexagénaire distingué et grisonnant qui dirigeait la branche italienne de Schmidt et Hagenest, le pool allemand multimédias propriétaire d’un tiers des journaux et des magazines d’Europe et des principales chaînes de télévision d’Allemagne et d’Italie. Assis dans son cabinet de travail et vêtu d’un costume anthracite, Alberto buvait un brandy. Sa voix était chaleureuse, familière, mais plus paternelle que maritale. Il annonça à Francesca que son interview de l’amiral Otto Heilmann venait d’être diffusée dans toute l’Europe et qu’il avait apprécié l’à-propos de ses commentaires, avant de faire remarquer que le militaire avait donné de lui l’image d’un égocentrique. Ça n’a rien d’étonnant, se dit-elle. C’en est un, même s’il sert mes intérêts.

Alberto lui fit part d’une bonne nouvelle concernant un de ses enfants – il en avait eu trois de ses précédents mariages, tous plus âgés que Francesca – puis lui déclara qu’elle lui manquait et qu’il était impatient de la revoir. Moi aussi, pensa-t-elle avant de répondre au message. Avec toi, ma vie est agréable. Je bénéficie à la fois de la liberté et de la sécurité.