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Parvenue au bout de la ruelle, la camionnette tourna dans l’avenue. Le moteur toussa et crachota quand le véhicule prit de la vitesse en filant vers Jones’s Road, puis, à droite, direction le centre-ville.

Ryan nota l’heure.

Plus rien ne bougea pendant un moment. À onze heures et demie, l’homme petit et trapu passa à nouveau le portail, gagna le coin de la rue et l’épicerie dont il ressortit une minute plus tard avec une bouteille de limonade.

Ryan retint son souffle quand l’homme s’arrêta tout près de son observatoire, à l’entrée de la ruelle, et dévissa le bouchon. Il porta la bouteille à ses lèvres, renversa la tête en arrière et but à longs traits. Puis il s’essuya le menton et éructa bruyamment. S’adossant au mur, il prit un paquet de cigarettes dans sa poche — celui qu’il avait acheté plus tôt — et en alluma une.

Il resta là, sirotant sa limonade, le temps de fumer trois cigarettes tout en promenant son regard alentour, dans la ruelle et d’un côté à l’autre de l’avenue.

Ryan reconnaissait le comportement de quelqu’un qui supporte mal de demeurer confiné dans ses quartiers. Il en avait été souvent témoin, partout où on l’avait envoyé. Des hommes qui trouvaient n’importe quel prétexte pour sortir, même avec la seule perspective de marcher en rond autour des baraquements.

Bientôt, l’homme retourna lentement vers la maison, emportant sa limonade, et rentra à l’intérieur.

Plus de deux heures s’étaient écoulées quand la camionnette réapparut à l’entrée de la ruelle et vint s’arrêter devant la maison. Les deux hommes descendirent, sans un mot, et franchirent le portail.

Trois hommes au total. Ryan rédigea une brève description de chacun sur son bloc-notes. Taille, corpulence, couleur des cheveux.

Le soleil pointant entre les nuages lui chauffait le dos.

Un groupe de cinq garçons approchait dans l’avenue, l’un d’eux tenant un ballon et un morceau de craie. À l’entrée de la ruelle, il disparut dans un renfoncement entre les arcades. Ryan entendit le crissement de la craie et imagina la cage de football dessinée sur la brique.

L’un des gamins se proposa pour garder le but. Les autres constituèrent deux équipes et la partie commença. Halètements, coups de pied, cuir glissant sur le bitume. Les joueurs se bousculaient et emmêlaient leurs jambes. Ryan entendait régulièrement le choc sourd du ballon contre le mur, puis son rebond, suivi d’une acclamation enthousiaste.

De temps à autre, le propriétaire de l’épicerie s’approchait de la devanture, regardait au-dehors, secouait la tête et faisait retraite derrière son comptoir.

Les gamins jouèrent sans répit pendant plus d’une heure. Enfin, ils s’arrêtèrent, en nage et hors d’haleine.

« Je vais m’asseoir un peu, déclara le garçon qui avait apporté le ballon.

— Moi aussi, dit un autre. Je suis crevé. »

Ils s’assirent tous les cinq sur le trottoir en face, à l’ombre, le dos contre le mur de briques rouges. Ils parlèrent de l’école, du Frère chrétien qui était le plus gros salopard de tous, et de ce qu’ils feraient quand ils seraient plus vieux, plus forts, et qu’ils croiseraient l’un des Frères seul dans la rue. Ils parlèrent de leurs mères et de leurs pères, et des filles qu’ils connaissaient.

« Hé, vous êtes au courant pour Sheila McCabe et Paddy Gorman ?

— Non, quoi ?

— Elle lui a montré ses nichons.

— N’importe quoi. D’ailleurs, elle est plate comme une galette.

— Sûrement pas. Je l’ai vue avec sa mère en train d’acheter un soutien-gorge dans un magasin.

— C’est pas vrai.

— Si, c’est vrai. En tout cas, elle les a montrés à Paddy. Il m’a dit qu’elle avait bien voulu qu’il les suce et tout. »

Les garçons éclatèrent de rire.

Le propriétaire de l’épicerie bondit dans la rue. « Dites donc, les gosses, ne restez pas à raconter des cochonneries devant chez moi. Allez, ouste, filez, sinon je m’en vais tout raconter à vos mères, moi. »

Les gamins se levèrent, les yeux baissés, en se dandinant d’un pied sur l’autre avec une mine contrite. L’épicier rentra dans sa boutique. Les garçons s’esclaffèrent et reprirent leur partie de foot.

Ils jouaient depuis peu quand l’homme trapu quitta à nouveau la maison et descendit la ruelle. Du coin de l’œil, les gamins le regardèrent s’engouffrer dans l’épicerie, puis en ressortir avec une barre chocolatée. Il défit l’emballage et mangea sa friandise, debout au débouché de la ruelle. Quand il eut terminé, il prit ses cigarettes dans sa poche.

Les garçons interrompirent leur partie. Ils se rassemblèrent en conciliabule autour de leur chef, puis rompirent le cercle.

Le chef dit : « Hé ! m’sieur. »

L’homme alluma sa cigarette, aspira une bouffée. La brise emporta la fumée quand il exhala.

« Hé ! m’sieur. »

Il regarda le garçon.

« Vous pourriez nous passer une ou deux clopes ? »

L’homme hésita, puis prit deux cigarettes dans son paquet et les tendit. Le garçon vint les prendre.

« Merci, m’sieur. »

Les garçons partirent en courant, emportant leur ballon. Leurs pas résonnèrent sous les arcades.

« C’était quoi, ça ? »

La voix surprit Ryan autant que l’homme près duquel Carter avait surgi, les traits crispés par la colère.

« Rien, juste des gosses », répondit l’homme. Il avait un accent, Afrique du Sud ou Rhodésie, Ryan n’aurait su distinguer.

« On a déjà abordé la question, Wallace », dit Carter en desserrant à peine les lèvres. Tu es d’accord qu’on en a parlé ?

— Ce ne sont que des gamins. Je n’ai pas… »

Carter le frappa sur le front avec le plat de la main. « Des gamins ou des leprechauns[7], c’est pas le problème. Tu attires l’attention. Combien de fois es-tu allé à l’épicerie aujourd’hui ? »

Wallace fronça les sourcils. « Deux fois, c’est tout. J’en ai marre de passer mes journées dans cette foutue baraque.

— C’est moi qui décide où tu passes tes putains de journées. Compris ? »

Wallace soupira et fit signe que oui.

Carter se pencha vers lui. « Est-ce que tu comprends ?

— Oui.

— Oui, qui ?

— Oui, chef.

— Bien. » Carter recula d’un pas. « Retourne dans la maison. Allez. Exécution. »

Wallace s’éloigna au pas de course.

Les mains sur les hanches, Carter le suivit des yeux. Puis il examina les environs, l’avenue des deux côtés et l’entrée de la ruelle.

Ryan se figea quand le regard de Carter remonta le long du mur jusqu’au sommet couvert de lierre. L’Anglais recula sur la chaussée, plissant les yeux pour mieux voir. Ryan retint son souffle.

Carter secoua la tête, cracha par terre et partit à son tour vers la maison. Ryan respira.

42

« Je n’arrive pas à le joindre », dit Haughey, dont la voix grésillait dans le combiné.

Skorzeny sentit une douleur sourde lui étreindre le front.

« Il n’était pas à l’hôtel hier. Fitzpatrick, son chef, a téléphoné au camp militaire de Gormanston, il n’y est pas retourné depuis que toute cette histoire a commencé. Ma secrétaire a même appelé la boutique de son père à Carrickmacree en se faisant passer pour sa petite amie, mais ils n’ont aucune nouvelle de lui là-bas. Bref, je n’ai pas la moindre idée de ce qu’il fabrique. »

Skorzeny pianota sur son bureau. « Monsieur le ministre, je ne saurais trop insister sur le fait qu’il est urgent de parler au lieutenant Ryan. Cette lettre change la nature de la mission qu’il exécute pour nous, et plus encore, la nature de l’ennemi que nous avons en face de nous.

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7

Sorte de lutins ou de farfadets du folklore irlandais