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« D’un coup, il a attrapé son fusil et il a balancé la purée sur Wallace. Heureusement que j’avais sorti mon Browning pour le nettoyer, sinon j’y passais aussi. Quel connard, celui-là !

— Oui, dit Weiss. Quel connard. Skorzeny est d’accord pour payer. »

Carter se tourna vers lui, les yeux écarquillés.

« Ryan vient de me prévenir. Il y aura une annonce dans le journal demain. Dites donc, cette bouteille de vodka… Il en reste ? »

Carter se mit debout et rentra dans la maison. Il revint un instant plus tard avec deux bouteilles, l’une presque vide, l’autre presque pleine. Il tendit la première à Weiss.

Ils restèrent assis un moment en silence. Weiss buvait à petites gorgées, Carter descendait de grosses lampées.

« Avant, j’étais soldat », dit Carter.

Weiss haussa les épaules. « Moi aussi.

— Ça voulait dire quelque chose, alors. Pour le roi, pour le pays… On donnait sa vie. Et puis un jour, la guerre est finie. On reste là à tourner en rond, sans servir à rien ni à personne. »

Weiss sentait la vodka lui réchauffer la poitrine et la langue. « Ma guerre ne finit jamais. Je me bats pour un minuscule territoire entouré d’une douzaine de pays qui veulent le mettre à feu et à sang jusqu’à ce qu’il ne reste plus aucune trace de nous sur cette terre. S’ils ne se haïssaient pas entre eux autant qu’ils nous haïssent, ils nous auraient poussés dans la mer il y a dix ans. Soyez reconnaissant pour la paix que vous avez trouvée, mon ami. Il n’est pas donné à tout le monde de rentrer chez soi vivant. »

Il choqua sa bouteille contre celle de Carter.

« Et si jamais votre guerre finissait ? demanda Carter. Ou si vous devenez trop vieux pour vous battre ? Que ferez-vous du reste de votre vie ? »

Weiss réfléchit. Il s’était posé la question bien des fois, mais jamais durant le jour, seulement quand il traquait le sommeil au plus noir de la nuit. Il revint à la seule réponse qu’il ait pu formuler.

« Je ne sais pas », dit-il, en espérant que la terreur ne transparaisse pas dans sa voix.

61

Un exemplaire de l’Irish Times était posé devant la porte de sa chambre quand Ryan s’éveilla. Il le prit et parcourut les pages des petites annonces. Là, glissée entre les propositions de messieurs esseulés habitant la campagne et cherchant une compagne au caractère agréable, il lut :

Traqueur assidu : j’accepte, mais avec des conditions. J’attends vos instructions.

« Trop facile », dit-il d’une voix qui semblait fragile dans la petite pièce.

Posant le journal, il alla se tenir devant le miroir et examina la brûlure sur sa joue. Une croûte s’était formée, le début de la cicatrisation. La douleur se promenait toujours en divers endroits de son corps, tel un flux qui circulait sans qu’il pût en déterminer précisément la source.

Ryan monta à la salle de bains de l’étage supérieur pour vider sa vessie. Il fut soulagé de voir que son urine redevenait claire, non pas brun rougeâtre comme elle l’était depuis deux jours. Avec un peu de chance, ses selles aussi ne contiendraient plus de sang. Il n’avait pas trop envie de vérifier, l’expulsion de matières solides lui causant encore trop de souffrance.

Il ferma la bonde de la baignoire et ouvrit les robinets, arrêtant l’eau quand le niveau fut suffisant pour lui permettre de s’agenouiller et de nettoyer ses blessures. Puis il se sécha et se rasa, évitant soigneusement les zones où sa peau était encore à vif.

Une fois habillé, il retourna dans sa chambre, s’assit sur le lit et composa un numéro extérieur.

Le père de Celia répondit, bougon et récalcitrant.

« C’est Ryan ?

— Oui.

— Je ne suis pas sûr qu’elle soit disponible pour l’… »

Il y eut de l’agitation, des voix étouffées pendant que le combiné passait d’une main à une autre.

« Bertie[9] ? fit-elle.

— Hein ? Non, c’est Albert.

— Je trouve que Bertie, ça vous irait bien.

— Et si je ne veux pas ?

— Je vous appellerai quand même comme il me plaira. » Ryan aimait son intonation espiègle. « Bon, alors c’est réglé. Bonjour, Bertie.

— Vous avez vu le journal ? demanda-t-il.

— Oui, répondit-elle, toute trace de malice disparue. Papa, tu veux bien me laisser seule ? »

Ryan entendit un grognement offensé, puis une porte qui se refermait.

« Et maintenant, qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-elle.

— J’ai le feu vert pour donner les instructions à Skorzeny. Il veut que j’apporte l’or.

— Non. C’est trop dangereux.

— Je ne peux pas refuser.

— Si ! Vous n’avez qu’à lui dire que…

— Non, je ne peux pas.

— Mais s’il vous arrivait quelque chose ?

— Il ne m’arrivera rien, dit Ryan, bien qu’il n’en fût pas certain.

— Mais si jamais ?

— Alors vous irez voir l’agent de voyages comme prévu et vous n’achèterez un billet que pour vous. »

Elle ne dit rien, mais il savait qu’elle pensait la même chose que lui. Si le plan échouait, si Ryan ne revenait pas, Skorzeny s’en prendrait à elle aussi. C’était une évidence qu’il ne servait à rien d’énoncer à voix haute.

« Promettez-moi que vous partirez.

— Je vous le promets.

— Parfait. On est presque au bout.

— J’espère. Appelez-moi bientôt.

— Oui », dit-il. Il raccrocha.

À peine avait-il repris son souffle que le téléphone sonna. Il décrocha le combiné.

« Un appel pour vous, monsieur Ryan, annonça la réceptionniste. Il refuse de donner son nom, mais c’est un Américain, je crois.

— Passez-le-moi.

— Bonjour, Albert », dit Weiss. Il avait la voix rauque, à moins qu’elle ne soit déformée par une mauvaise liaison. « C’est parti, on dirait.

— J’ai lu l’annonce.

— Bon. Dorénavant, vous et moi ne communiquerons plus que par téléphone ou par lettre. Vous devrez donner le change. À onze heures, il y aura un message pour vous sous vos essuie-glaces. Vous feindrez la surprise. Vous le lirez, puis vous l’apporterez à vos supérieurs. C’est clair ?

— Très clair.

— Bien. Restez calme, Albert. On y est presque. »

À onze heures cinq, Ryan quitta sa chambre, descendit et sortit de l’hôtel. Il gagna sa voiture garée un peu plus loin dans la rue.

Une enveloppe marron était glissée sous l’essuie-glace, légèrement rabattue par le vent.

Ryan la prit. Elle portait les mots LIEUTENANT RYAN, tapés à la machine. Il passa un doigt sous le rabat et le déchira.

62

Une fois de plus, Skorzeny effectua le trajet jusqu’au centre-ville et se présenta dans le cabinet de Charles Haughey. Le ministre l’accueillit à la porte avec une poignée de main ferme et grave.

« Je suis heureux de voir que vous avez choisi la voie de la raison, dit Haughey.

— Je veux en finir avec ce bain de sang, monsieur le ministre, tout simplement. »

Haughey s’effaça pour le laisser entrer. Ryan était assis face au bureau, dos à la porte. Il ne se retourna pas.

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9

Diminutif d’Albert.