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Le trop grand empressement qu’on a de s’acquitter d’une obligation est une espèce d’ingratitude.

227

Les gens heureux ne se corrigent guère; ils croient toujours avoir raison quand la fortune soutient leur mauvaise conduite.

228

L’orgueil ne veut pas devoir, et l’amour-propre ne veut pas payer.

229

Le bien que nous avons reçu de quelqu’un veut que nous respections le mal qu’il nous fait.

230

Rien n’est si contagieux que l’exemple, et nous ne faisons jamais de grands biens ni de grands maux qui n’en produisent de semblables. Nous imitons les bonnes actions par émulation, et les mauvaises par la malignité de notre nature que la honte retenait prisonnière, et que l’exemple met en liberté.

231

C’est une grande folie de vouloir être sage tout seul.

232

Quelque prétexte que nous donnions à nos afflictions, ce n’est souvent que l’intérêt et la vanité qui les causent.

233

Il y a dans les afflictions diverses sortes d’hypocrisie. Dans l’une, sous prétexte de pleurer la perte d’une personne qui nous est chère, nous nous pleurons nous-mêmes; nous regrettons la bonne opinion qu’il avait de nous; nous pleurons la diminution de notre bien, de notre plaisir, de notre considération. Ainsi les morts ont l’honneur des larmes qui ne coulent que pour les vivants. Je dis que c’est une espèce d’hypocrisie, à cause que dans ces sortes d’afflictions on se trompe soi-même. Il y a une autre hypocrisie qui n’est pas si innocente, parce qu’elle impose à tout le monde: c’est l’affliction de certaines personnes qui aspirent à la gloire d’une belle et immortelle douleur. Après que le temps qui consume tout a fait cesser celle qu’elles avaient en effet, elles ne laissent pas d’opiniâtrer leurs pleurs, leurs plaintes, et leurs soupirs; elles prennent un personnage lugubre, et travaillent à persuader par toutes leurs actions que leur déplaisir ne finira qu’avec leur vie. Cette triste et fatigante vanité se trouve d’ordinaire dans les femmes ambitieuses. Comme leur sexe leur ferme tous les chemins qui mènent à la gloire, elles s’efforcent de se rendre célèbres par la montre d’une inconsolable affliction. Il y a encore une autre espèce de larmes qui n’ont que de petites sources qui coulent et se tarissent facilement: on pleure pour avoir la réputation d’être tendre, on pleure pour être plaint, on pleure pour être pleuré; enfin on pleure pour éviter la honte de ne pleurer pas.

234

C’est plus souvent par orgueil que par défaut de lumières qu’on s’oppose avec tant d’opiniâtreté aux opinions les plus suivies: on trouve les premières places prises dans le bon parti, et on ne veut point des dernières.

235

Nous nous consolons aisément des disgrâces de nos amis lorsqu’elles servent à signaler notre tendresse pour eux.

236

Il semble que l’amour-propre soit la dupe de la bonté, et qu’il s’oublie lui-même lorsque nous travaillons pour l’avantage des autres. Cependant c’est prendre le chemin le plus assuré pour arriver à ses fins; c’est prêter à usure sous prétexte de donner; c’est enfin s’acquérir tout le monde par un moyen subtil et délicat.

237

Nul ne mérite d’être loué de bonté, s’il n’a pas la force d’être méchant: toute autre bonté n’est le plus souvent qu’une paresse ou une impuissance de la volonté.

238

Il n’est pas si dangereux de faire du mal à la plupart des hommes que de leur faire trop de bien.

239

Rien ne flatte plus notre orgueil que la confiance des grands, parce que nous la regardons comme un effet de notre mérite, sans considérer qu’elle ne vient le plus souvent que de vanité, ou d’impuissance de garder le secret.

240

On peut dire de l’agrément séparé de la beauté que c’est une symétrie dont on ne sait point les règles, et un rapport secret des traits ensemble, et des traits avec les couleurs et avec l’air de la personne.

241

La coquetterie est le fond de l’humeur des femmes. Mais toutes ne la mettent pas en pratique, parce que la coquetterie de quelques-unes est retenue par la crainte ou par la raison.

242

On incommode souvent les autres quand on croit ne les pouvoir jamais incommoder.

243

Il y a peu de choses impossibles d’elles-mêmes; et l’application pour les faire réussir nous manque plus que les moyens.

244

La souveraine habileté consiste à bien connaître le prix des choses.

245

C’est une grande habileté que de savoir cacher son habileté.

246

Ce qui paraît générosité n’est souvent qu’une ambition déguisée qui méprise de petits intérêts, pour aller à de plus grands.

247

La fidélité qui paraît en la plupart des hommes n’est qu’une invention de l’amour-propre pour attirer la confiance. C’est un moyen de nous élever au-dessus des autres, et de nous rendre dépositaires des choses les plus importantes.

248

La magnanimité méprise tout pour avoir tout.

249

Il n’y a pas moins d’éloquence dans le ton de la voix, dans les yeux et dans l’air de la personne, que dans le choix des paroles.

250

La véritable éloquence consiste à dire tout ce qu’il faut, et à ne dire que ce qu’il faut.

251

Il y a des personnes à qui les défauts siéent bien, et d’autres qui sont disgraciées avec leurs bonnes qualités.

252

Il est aussi ordinaire de voir changer les goûts qu’il est extraordinaire de voir changer les inclinations.

253

L’intérêt met en œuvre toutes sortes de vertus et de vices.

254

L’humilité n’est souvent qu’une feinte soumission, dont on se sert pour soumettre les autres; c’est un artifice de l’orgueil qui s’abaisse pour s’élever; et bien qu’il se transforme en mille manières, il n’est jamais mieux déguisé et plus capable de tromper que lorsqu’il se cache sous la figure de l’humilité.

255

Tous les sentiments ont chacun un ton de voix, des gestes et des mines qui leur sont propres. Et ce rapport bon ou mauvais, agréable ou désagréable, est ce qui fait que les personnes plaisent ou déplaisent.

256

Dans toutes les professions chacun affecte une mine et un extérieur pour paraître ce qu’il veut qu’on le croie. Ainsi on peut dire que le monde n’est composé que de mines.

257

La gravité est un mystère du corps inventé pour cacher les défauts de l’esprit.

258

Le bon goût vient plus du jugement que de l’esprit.

259

Le plaisir de l’amour est d’aimer; et l’on est plus heureux par la passion que l’on a que par celle que l’on donne.

260

La civilité est un désir d’en recevoir, et d’être estimé poli.

261

L’éducation que l’on donne d’ordinaire aux jeunes gens est un second amour-propre qu’on leur inspire.

262

Il n’y a point de passion où l’amour de soi-même règne si puissamment que dans l’amour; et on est toujours plus disposé à sacrifier le repos de ce qu’on aime qu’à perdre le sien.

263