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Spontinini s’est fait driver dans une clinique de la belle banlieue. On a cru qu’il s’y installait. Moi, innocemment, je suis allé bavasser avec une gentille dame en blanc qui s’appelait j’sais plus comment, qu’est-ce ça peut te foutre, mais c’était écrit sur une plaquette qu’elle arborait sur la poche supérieure de sa blouse. Le temps de converser de l’appui et du Bottin, tout ça, et j’apprenais qu’à quatre plombes, Spontinini devait embarquer pour l’Italerie à bord d’une ambulance grand luxe, après avoir consulté le fameux professeur Razdemoul, spécialiste universellement connu des cannes fanées.

Alors moi, fissa-fissouille, je bondis chez Hertz pour louer une tire puissante. Et donc, nantis d’elle, nous v’là à faire les olibrius sur l’autostrada en grève.

Et Bérurier râloche de mon mutisme. C’est un jacteur. A moins qu’il ne soit gavé. Or il n’est pas gavé, n’ayant point eu le temps de bouffer depuis ce matin, le gueux, si t’exceptes un sandwich d’anémié raflé au distributeur d’une station de benzina.

— Ça y est, y sont à nous, dit-il.

Je lève un peu la papatte du champignon. Ça risque de leur paraître suce-pet, eux autres, une autre bagnole immatriculée suisse autorisée (sic, comme on dit puis) à rouler pendant la grève.

On leur fait la courette, de loin. Je branche la radio, y a illico envol de mandolines sur fond d’azur. Je me dis que ça fait un peu roman d’Hadley Chase, le vieux gangster infirme avec une belle blonde et une bouffissure de secrétaire dont les hormones mâles prennent de la gîte. Surtout l’Italie, que l’Hadley raffole. Ça et la cuistance française. La France, lui, il adore sa croque, mais pas sa langue. La dernière fois que j’ai bouffé avec lui, à table, il a brandi son couteau et m’a exclamé par-dessous sa belle moustache sorceleuse :

« — Leu caoutaô ! »

Et il était vachetement joyce, Hadley, de pouvoir causer enfin cette langue rébarbative pour lui, qu’à force de toujours parler anglais, comment tu dois fatiguer de la glotte, merde !

Spontinini et la C.I.A. qui le surveille étroitement. Et le Vieux qui me fait sauter dans la roue aux Amerloques, vérifier un peu d’à quoi ça rime leurs mics et leurs macs.

CHAPITRE PREMIER

QUI CONTINUE AINSI…

L’ambulance s’arrête en bordure du Grand Canal, face au garage où le touriste implore qu’on lui prenne sa tire en pension, qu’autrement sinon, bye-bye Venezia, il devra s’enfuir de la lagune pour retrouver les chères routes pétrolières.

Je déboule de ma pompe en souplesse.

— Va foutre la voiture au garage, enjoins-je au Gros. Le préposé te dira que c’est complet ; ne fais pas comme les frometons qui rebroussent chemin : donne-lui mille lires et il t’indiquera l’étage où la cloquer. Moi je continue ma filoche. Rendez-vous d’ici une plombe à la terrasse du grand bistrot à musique situé derrière le Campanile, place Saint-Marc. Si j’ai du retard attends-moi en biberonnant du Cinzano bianco.

L’ayant nanti de ce sage conseil, je fonce vers l’embarcadère où les vedettes-taxis se mettent en essaim. Spontinini et son brain-trust prennent place à bord de l’une d’elles, tandis que deux porteurs à casquette blanche chargent près du pilote de rutilants bagages. J’affrète à mon tour une embarcation magnifiquement drivée par un Tarzan en maillot de corps qui doit peser dans les deux cents livres non dévaluées.

Il me demande naturellement où je compte aller, et je lui réponds la vérité dans toute sa strictité, à savoir que je n’en sais fichtre (ou foutre si t’es mal embouché) rien. Les étonnements sont dissipables quand tu ne pleures pas trop la lire. Lui, il met le sien au ralenti, comme le moteur de son rafiot. Quand j’ l’ai expliqué que j’entends suivre la vedette de Spontinini, il murmure simplement :

— Polizia ?

— Non, lui réponds-je : secours au noyé, je suis maître nageur et j’ai pour mission de repêcher ce pauvre infirme au cas où il tomberait à l’eau.

Le pilote se marre bien. Un cigare importé, puis ré-exporté, par mon cher Zino Davidoff achève de le mettre en condition. Tout, il est O.K., l’ami !

* * *

Moi, Venise me met toujours l’âme en fête. Je m’imagine être Casanova quand je longe ces vieux palais superbes et agoniques, pleins de limon, et si vasouillards que, pour un peu, voire pour beaucoup, tu galoperais chez le petit écureuil retirer ta fraîche de la Caisse d’Epargne pour la consacrer à des maçons vénitiens.

Le trafic est très intense en cette fin de journée. Les vaporettos se suivent et se ressemblent, chargés à couler d’une population rieuse qui trouve le moyen de gesticuler malgré sa compression.

Le gros vedettobiliste se fait un plaisir de filocher Spontinini à bonne distance.

Moi, dans ma jolie tronche pleine de pensées délicates, je me dis commak que le vieux truand va descendre dans l’un des deux magnifiques palaces de la ville : le Dante ou le Gritti.

Car ce gonzier a secoué assez de bas de laine pendant sa période ingambe pour s’offrir ce qu’il y a de mieux sans chicaner sur les tarifs.

On teuf-teufe gentiment, pavillon au vent. C’est féerique, Venise. Toujours nouveau, toujours surprenant. T’as beau connaître, tu la découvres inlassablement. C’est chaque fois une première.

Assis sur le plat-bord, je regarde défiler ces merveilles dont les frontons se mirent tant mal que bien dans l’eau verte. Les embarcadères avec leurs lanternes… vénitiennes, les fenêtres pourvues d’énormes grilles en fer forgé dûment rouillé, les portails à demi pourris du bas, et crépis de vase malodorante… Et ces toits qui tanguent, moutonnent, se séparent, se retrouvent, ces merveilleux toits ocre, chargés de tuiles romaines, ces toits sur lesquels on a aménagé des bouts de terrasse. Et ces espèces de jardins minuscules, bourrés de plantes exubérantes… Enfin merde, tu connais, pas besoin de te faire un dessin, ou alors il devrait être de Fra Angelico.

Le pont du Rialto surgit, après une large boucle. Notre passage fait dodeliner un troupeau de noires gondoles dont les chevaux de cuivre étincellent.

Soudain, la vedette de mon « homme » quitte le milieu du Grand Canal pour gagner un immense palais rose, un peu moins haillonneux que les autres. Elle aborde à son ponton. Le secrétaire aide le pilote à débarquer les bagages tandis que la femme blonde va sonner à l’opulente porte armoriée. Des domestiques en tenue d’esclave paraissent, qui s’empressent pour ramasser le père Spontinini et sa chaise roulante ; le hisser hors du barlu, lui gravir les marches du perron. Tu croirais un seigneur auquel tout le monde empresse[3].

— Et maintenant, signore ? me demande mon barlutier.

Le « signore » se frotte le menton pour se donner l’impression de réfléchir.

— Il est à qui, ce palazzo ?

— Au comte Fornicato.

— Merci. Place San-Marco !

* * *

L’orchestre très violonique joue des valses viennoises, ce qui est tout indiqué pour l’Italie. Il fait tendre. L’air est chargé de pigeons culottés (et qui se déculottent à tout-va). Ces téméraires volatiles se posent sur les épaules, voire dans les tifs, des bonnes âmes semeuses de graines. Des enfants ravis prennent un bain de picciones, les mains en avant, comme le cher de Gaulle prenait des bains de foule. Et les ramiers esquivent les caresses au dernier instant, soit d’un coup d’aile pareil à une passe de muletta, soit en patti-pattant très vite avec une gravité pressée de moine se rendant aux chiottes.

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3

Attends, ça m’amuse d’esprimer de la sorte. La langue est un matériau, mon petit, comprends-le. Il faut l’éprouver. On ne demande jamais à des élèves de français d’éprouver leur langue. Ils étudient Rabelais, Proust, Santantonio, mais on les fait pas tresser des phrases, disloquer des mots. Et c’est un bien grand dommage pour eux. Une bien grande honte pour leurs maîtres.