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— Voilà qui est gentil, je suis certain que Mme Pinaud appréciera, elle a un culte pour Mme ta mère ; cela lui changera les idées.

Je dégoupille mon turlu et compose notre numéro. M’man décroche. Je lui fais part de l’invitation que je viens de lancer et la voici tout excitée.

— Si je préparais un gâteau de foie avec des champignons de Paris à la sauce tomate comme entrée, mon grand ?

— Le pied, ma poule !

— Comme viande, je pense que du veau serait mieux apprécié de Mme Pinaud dont l’estomac…

— Parfait.

— Avec des petits pois frais, j’en ai acheté ce matin au marché. J’ai également trouvé un brie fait à cœur. Comme dessert, que dirais-tu d’un beau flan aux raisins de Corinthe ?

Mathias pénètre dans la pièce. Les pans de sa blouse blanche flottent autour de ses jambes maigres. Il est roux à t’en faire bronzer, ce gus ! Sa peau est couleur de cuivre rouge et ses cheveux flamboient. Il tient un petit bac de porcelaine blanche et attend la fin de ma communication avec une impatience qu’il ne peut réprimer.

Je prends congé de m’man sur un bisou miauleur.

— Tu m’as l’air plus nerveux qu’un pou dans la culotte d’Ursula Andress, dis-je au Rouillé.

— J’ai fait une découverte assez déconcertante, déclare Mathias.

— A propos du doigt de cire ?

— Justement, ce n’est pas un doigt de cire, commissaire, mais un vrai doigt enrobé de cire !

Servez chaud ! Je morfle la nouvelle en plein dans les gencives. Le Rouquin dépose son bac sur mon bureau. Je découvre alors le doigt débarrassé de sa pellicule de cire. Un doigt fraîchement sectionné bien qu’il soit exsangue. Mathias a découpé le pourtour de l’ongle afin de pouvoir étudier l’intérieur de celui-ci, puis il l’a replacé dans sa position originelle et fixé avec deux virgules de scotch.

Je lui pose la question qu’il m’a adressée naguère :

— C’est quoi, ce doigt ?

— Un annulaire de femme, main gauche.

— Qu’a-t-il de particulier ?

— Rien, sinon le fait d’avoir été sectionné de la main à laquelle il appartenait. J’ai prélevé l’ongle pour m’assurer qu’aucun microfilm ou tatouage quelconque ne se trouvait dessous, car la chose s’est déjà rencontrée. Je n’ai absolument rien trouvé.

— Cet annulaire a été tranché il y a longtemps ?

— Ecoutez, commissaire, il faudra demander confirmation au médecin légiste ; mais selon moi, cette amputation date d’à peine vingt-quatre heures.

— On l’a prélevé sur une femme vivante ou morte ?

— Vivante, car ce doigt s’est entièrement vidé de son sang.

— Pourquoi, à ton avis, cette pellicule de cire ?

— Pour le conserver, probablement.

— Quelque chose d’autre à signaler ?

— Il porte la trace d’une alliance, assez fortement marquée. Bien qu’il soit exsangue, on peut constater qu’il était bronzé. C’est le doigt d’une femme dont l’âge oscille entre trente et quarante ans, mais encore une fois consultez l’homme de l’art.

J’opine.

— Très bien, Rouillé. Maintenant, sois gentil : enrobe-le à nouveau de cire pour lui redonner l’apparence qu’il avait avant ton intervention, puis remets-le dans sa boîte et rapporte-le-moi.

— A vos ordres, commissaire.

Exit le Rouquemoute.

— On peut savoir ? bêle l’Enrhumé.

Je m’installe dans mon fauteuil pivotant et place mes tartines sur mon beau sous-main de cuir repoussé acheté en sous-main avec mes sous, à un homme de main.

Je fais à Pinuchet un résumé de ce que tu sais déjà, bougre de crêpe, et qu’il est superflu donc que je te rabâche malgré ta mémoire dépenaillée.

Le cher vieillard m’écoute en reniflant les stalactites qui tentent de se barrer de son pif. On croirait qu’il joue au yo-yo baveur.

Un silence profond comme une pensée de Pascal suit mon exposé. Pinoche réfléchit, engoncé dans son cache-nez mérovingien ; le vieux bitos lui tenant lieu de couvercle laisse filtrer, me semble-t-il, une petite fumée conclavesque consécutive à l’intensité de sa réflexion.

— Un homme qui n’est pas un truand professionnel commet un hold-up, armé d’un fusil à pompe, bavoche l’Ancêtre, le regard mi-clos, mi-raisin. Il n’hésite pas à tirer sur les policiers qui le prennent en flagrant délit. Il se sauve par les toits, ce qui lui vaut de faire ta connaissance avant de mourir abattu par nos collègues. Il ignore bien entendu que tu es un flic et, se sachant foutu, te charge de remettre à sa mère un doigt de femme fraîchement coupé ; c’est bien ça ?

— C’est ça de haut en bas, César.

— Sais-tu ce qui me surprend le plus dans cette affaire, Antoine ?

— J’ouïs ?

— Qu’il ait été balancé à la police. Ce n’est pas un gangster homologué, vous croyez même qu’il pourrait s’agir d’un intellectuel, donc il est improbable qu’il soit en contact avec le Milieu où grouillent les indicateurs.

Je fais la moue.

— Un fusil à pompe ne s’achète pas à Manufrance, mon vieux biquet, non plus qu’au Bazar de l’Hôtel-de-Ville…

— C’est juste, convient le Sinistré. Je crois, au contraire, que cette emplette lui a été fatale. Il s’est mis en quête d’un marchand d’armes clandestin, lui a acheté le terrible flingue, et l’autre l’a vite balancé.

— Ce qui implique que notre collectionneur d’annulaires lui aurait parlé de ses projets de hold-up ? Pas malin, l’intellectuel.

Je consulte ma liste (sur bristol stratifié) des téléphones intérieurs de la Grande Volière et sonne le service de mon collègue Sabarde. Je dégage quelques intermédiaires encombrants et l’O.P. monte en ligne, comme un poilu de Verdun.

— On vient de me dire que vous êtes chargé de l’enquête ? murmure-t-il d’un ton où son ressentiment joue de la crécelle rouillée.

— Le tam-tam de brousse continue de bien fonctionner dans cette maison ! ricané-je. Amène-moi le dossier, Félix.

— Quel dossier ? s’épouvante Sabarde.

— Vous n’avez pas été mis en piste sur ce coup-là par l’opération du saint-esprit, non ? Alors je veux savoir qui vous a affranchis et comment, ainsi que le nom et l’adresse du numismate agressé.

— Je vous ai déjà dit qu’à l’origine on avait reçu un coup de turlu anonyme.

— Qui l’a reçu ?

— Laffranchi, le pauvre.

— Ecoute, Sabarde, des dénonciations anonymes, on en reçoit tellement dans cette gentilhommière qu’il faut une standardiste spéciale pour les noter. La plupart sont bidon. Pourquoi avez-vous pris celle-là en considération ?

— Vous avez connu Laffranchi, commissaire ? Son sérieux ? Un pape ! Et encore, y a eu des papes qu’étaient pas blanc-bleu. Il a discutaillé avec le mec qui balançait. Après quoi, il nous a déclaré qu’un coup se mijotait et qu’il fallait le prendre en considération. Ce qui a motivé sa conviction, je ne saurais vous le préciser, toujours est-il qu’on a suivi et qu’effectivement, vous l’avez vu, c’était pas un tuyau crevé.

— Tu es certain que Laffranchi n’a pas donné de précision au sujet de la balance ?

— Pas une broque. Mon avis c’est qu’il la connaissait mais c’était un bourru qui protégeait jalousement ses sources. Il est canné avec son secret, si secret il y avait.

— Voilà le premier point réglé, si j’ose dire. Maintenant, donne-moi les coordonnées du numismate.

Mon collègue me rencarde docilement. L’agressé est un certain Gédéon Mollissont dont les locaux professionnels sont au premier étage du 609, rue de Richelieu. Il n’avait jamais vu l’homme au fusil, non plus que ses collaboratrices.