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Je remercie l’O.P. Sabarde et le prie de me tenir au courant des obsèques de Laffranchi, auxquelles je me ferai un devoir d’assister. Et comment va Berlurin ? Toujours dans le coltar ? Bon, ben on va prier pour lui, que veux-tu faire d’autre ?

Il est dix-huit heures tapantes lorsque nous nous présentons, Pinuche et moi, chez le sieur Mollissont. Son commerce de mornifle occupe tout l’étage. Une grande porte en verre épais et huisserie de laiton affirme en élégants caractères dorés : Gédéon MOLLISSONT, numismatique. Une grille assure la sécurité des lieux pendant la fermeture et l’endroit doit être, je gage, truffé de signaux d’alarme. Une plaquette vissée sous le bouton de sonnette conseille au visiteur de sonner, d’attendre et de pousser, toutes choses dont je m’acquitte avec sérieux. Nous pénétrons dans un décor raffiné, aux murs tendus de tissu pimpant, au mobilier design. Des agrandissements de pièces grecques décorent l’entrée. Une belle jeune fille ravagée par l’acné braque son strabisme sur nous. Elle est accoudée à une table, prostrée, car les douloureux événements de l’après-midi l’ont traumatisée. Faut dire que la porte de verre comprend deux impacts de balles et qu’on a étalé du papier sur les flaques de sang maculant la moquette.

— C’est fermé, nous déclare-t-elle en zozotant délicieusement, à moins qu’elle ne suce des pastilles ?

Je lui produis ma carte tricolore. Ce modeste document la ranime quelque peu.

— Moi je sais rien, j’étais à la poste, assure-t-elle, c’était l’heure de mes recommandés.

— Aussi est-ce M. Mollissont que nous souhaitons entendre, ma chère demoiselle, la rassuré-je.

— Il est avec Mme Mollissont.

— Nous serons ravis de faire sa connaissance par la même occasion. Mais avant de nous annoncer, je voudrais que vous me disiez qui vous remplace pendant que vous êtes à la poste ?

— Mme Chapoteur, la secrétaire.

Elle nous désigne une porte ouverte sur un petit bureau vide.

— Elle n’est pas ici ?

— Vous pensez, après une émotion pareille, elle a eu une crise de nerfs et on l’a conduite à l’hôpital. Elle est veuve de la semaine dernière, vous vous rendez compte : c’est pas de chance.

— En effet, conviens-je. Maintenant, prévenez votre patron que nous souhaitons l’entretenir.

Mais la jeune masturbée n’a pas besoin de se déranger car un homme en bras de chemise déboule du couloir. Un gros, très porcin, déplumé, blondasse de ce qui subsiste, couperosé, avec un regard bleu pâle, un nez en groin, une bouche de jouisseur. Il marche derrière un ventre de Pâques cerné par une ceinture de croco rouge. D’entrée de jeu, je le juge ardemment antipathique.

— Quoi, qu’est-ce que c’est que ces messes basses, Georgina ? aboie l’arrivant. Je vous ai dit qu’on ne recevait plus personne pour aujourd’hui, merci bien !

La pauvrette rougirait si son teint d’endive n’était inaltérable. Elle essaie de décloaquer de la menteuse, en vain, aussi prends-je les devants :

— Commissaire San-Antonio, monsieur Mollissont, c’est moi qui suis chargé de l’enquête, et voici mon adjoint, l’officier de police César Pinaud.

L’énervé se calme instantanément.

— Oh ! bon, entrez, je vous prie !

Il hésite à me tendre la main, mais devant ma réserve s’abstient.

Il occupe un vaste bureau flambant neuf, dans les teintes gris perlouze, avec des notes orangées de-ci, delà, cahin-caha, et quelques tableaux modernes pas pires que beaucoup. Sa rombière arpente la moquette, histoire d’user sa nervosité. Pour te faire une juste idée de la personne, tu imagines une grosse vachasse brune, à l’air con, coiffée frisotté, mal fardée, l’œil stupide, fringuée comme cet as de pique que tu as rencontré le mois dernier au mariage de la cousine Glandule.

— Vous êtes des policiers ? demande la partenaire de lit du numismate, avec un accent aillé-fines-herbes qu’on pourrait étaler sur du pain frais. Comment pouvez-vous laisser commettre des horreurs pareilles ? La violence, vous autres, ça ne vous tracasse pas ! Les honnêtes gens sont agressés chez eux, mais…

— Madame, l’interromps-je, je vous prierai de nous laisser seuls avec M. Mollissont.

— Mais je suis sa femme ! rebiffe la houri.

— C’est un problème qui ne concerne que lui, riposté-je.

— La moquette saccagée, ça concerne qui ? aboie la vachasse.

Elle porte une délicate excroissance de chair au menton, dans les teintes roses, qui flanque envie de gerber. Je la fixe pour bien concentrer mon écœurement, afin que ma rogne ne subisse aucune déperdition.

— Ça concerne notre inspecteur assassiné et son confrère qui est dans le coma ; eux, c’est pas avec Vizir-au-plus-profond-du-linge qu’on va les ravoir.

Mon regard doit ressembler à la foudre dans les toiles de Vlaminck car elle la boucle recta.

— Ma femme, c’est une personne très emportée, plaide son gros bidule.

— Mais qu’elle s’emporte, monsieur, qu’elle s’emporte, c’est tout ce que je lui demande, fais-je en tenant ostensiblement la porte ouverte.

La rogneuse charge vers des contrées d’où je suis absent. Je relourde avec force. Qu’est-ce qu’ils ont, les gens, à se montrer si dégueulasses, toujours et partout ? A baigner dans l’impitoyable ? A ne s’intéresser qu’à leur cul et jamais au cœur des autres ? On pourrait tenter quoi pour changer ça ?

Le Jésus a fait ce qu’il a pu, et puis tu vois… Ça baigne dans la crème de mots inutiles, dans la sottise endémique, dans les mesquinances toujours renouvelées.

Vérole et revérole ! Alors tu comprends ton impuissance et tu pleures. Tu t’assieds sur une marche, les bras sur tes genoux, la tête basse. Tu soupires : « O Seigneur, y en a-t-il encore pour longtemps ? » Le Seigneur te répond rien, pas te désespérer car s’Il te lâchait la vérité crue, tu tomberais à la renverse et t’aurais l’air d’un des morts du cuirassé Potemkine, abattu sur le grand escalier que dévale une voiture d’enfant. Moi, je me dis que cette salle d’attente commence à bien faire. Elle pue trop fort. Rien de plus terrible que la promiscuité.

Sais-tu de quoi souffrent les moines retirés en leur monastère ? De leurs odeurs. C’est une belle âme qui me l’a révélé, je bluffe pas. Au début, les bons pères n’écoutent que les chants d’oiseaux, ne reniflent que les plantes de leur cloître ; ils sont en first pour prier. Et puis, lentement, les plantes cessent de sentir, les oiseaux de chanter et un vertige les prend de s’entre-renifler ; de constater à quel point ils demeurent mammifères dans leur sérénité, fouettant à tout-va, chargés de vilains remugles, les malheureux. Là, le véritable signe du péché originel : l’odeur. Cette prénécrose. Peut-être est-ce parce que les hommes se respirent qu’ils se détestent, qu’ils s’intolèrent ? Je cherche à piger. Je ne demande pas mieux que de leur trouver des excuses. Il y a une explication à tout, il s’agit de bien chercher…

Et bon, la salope mal venue est out. Bravo.

On se tourne vers son porc, lequel, à s’engraisser, a dû coûter pas mal de son, espère ! Il déborde de partout : de ses fringues d’abord, de lui-même ensuite, comme si son enveloppe ne suffisait pas à contenir son chargement de tripailles.

— Monsieur Mollissont, je sais que vous avez déjà fait le récit de votre mésaventure à mes collègues, je vais vous demander de me le refaire à moi, dans le calme, lentement, en vous efforçant de ne rien omettre.

Il prend place à son bureau, croise les mains loin devant lui et cherche à se rappeler la gueule du « Penseur » de Rodin, mais ça lui revient mal et il doit improviser.