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— Qu’est-ce que ça veut dire ? Il faut pourtant que je lui parle. C’est d’une… extrême importance ! Écoutez, reprit Renaud qu’une idée venait de traverser, connaissez-vous le sire d’Escayrac ?

— Oh oui ! C’est même lui qui a ordonné que soient closes les portes du palais…

— Eh bien, envoyez-le chercher ! Qu’au moins je lui parle, à lui !

Et comme visiblement l’officier hésitait, Renaud ajouta :

— Dites-lui que je ne bougerai d’ici avant de l’avoir vu ! Et n’oubliez pas mon nom : Courtenay !

Le ton impératif emporta la décision. Un autre garde fut envoyé quérir le vieux seigneur, mais le visiteur, sans doute importun, n’en fut pas invité pour autant à s’abriter du soleil dans le poste près de la herse. Il dut se contenter de la voûte d’entrée dont l’ombre était d’ailleurs suffisante. Là, il attendit de longues minutes avant que le sol ne résonne sous le pas solennel – et ferré ! – d’Escayrac qui s’avançait avec une certaine lenteur due au fait que, des solerets au cimier, il était lourdement armé. Mécontent au surplus d’être dérangé et plus encore à la demande de Renaud qu’il détestait, il ne fit cependant aucune difficulté à le reconnaître en dépit de la saleté de sa personne. L’échange de salut fut bref. Aussi courtoisement que possible devant cette longue face, blanche de peau comme de poil, qui le regardait avec méfiance, Renaud demanda à être introduit auprès de la Reine.

— C’est impossible ! Personne n’est autorisé à la voir. Madame Marguerite est malade…

— Malade ? De quoi souffre-t-elle ?

— Je ne sais trop ! Une sorte de langueur… Depuis le départ de notre sire, elle paraît s’affaiblir un peu. Ce qui n’est pas bon pour son état…

— Son état ? Vous voulez dire qu’elle est encore…

— Grosse ? Oui… On le sait depuis peu… Une nouvelle bénédiction du ciel ! fit Escayrac en levant vers la voûte un regard extasié et deux mains un brin tremblantes. Ce qui me vaut le privilège de veiller de nouveau au ventre quand le Roi s’absente. Et c’est à cause de ces premiers – et si touchants ! – malaises qu’elle n’a pas accompagné son époux…

— Et où est le Roi ?

De l’extase, Escayrac passa au ravissement. Il ne lui manquait plus que le nimbe :

— Il est allé mettre ses pas dans ceux de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ainsi qu’il en avait fait vœu en prenant la Croix. Il s’est rendu aux Lieux Saints où il veut cheminer humblement pieds nus, en chemise et…

— Pardonnez-moi, mais je ne sais pas où sont les Lieux Saints… en dehors de Jérusalem qui est fort au sud et que nous n’avons pas reprise, que je sache ?

— Sans doute, sans doute, et c’est grande pitié. Grâce au Très Haut nous en tenons encore quelques-uns comme Nazareth où le fils de Dieu a grandi, et d’autres endroits de Galilée.

— En Galilée ? Sauriez-vous si Nazareth est loin de Safed ?

— Ma foi, je n’en sais guère plus que vous. Il me semble toutefois avoir ouï-dire que… ce serait assez voisin. À cette heure, je vous prie de me laisser retourner au logis de la Reine. Elle n’est pas seule, bien sûr, et demoiselle Elvira…

— Elvira ? Et dame Hersende ?

— Eh bien, à dire le vrai, je ne sais où elle est passée depuis deux jours. Je commence à m’inquiéter…

Renaud eut l’impression que le ciel lui tombait sur la tête :

— Êtes-vous en train de me dire que dame Hersende n’est pas au chevet de Madame Marguerite alors que celle-ci a besoin d’elle ?

— Tout juste, et croyez que cela me soucie…

— Mais enfin qui est auprès d’elle ? Sa sœur, Madame d’Anjou ? Madame de Poitiers ?…

— Ah non ! Les frères du Roi sont repartis pour la France voici… une semaine avec le duc de Bourgogne et d’autres seigneurs. Nous avons cependant la dame de Montfort qui veille au petit prince et la dame de Sergines… bien que celle-ci ne soit pas au mieux en ce moment. Et puis Adèle, et aussi Honorine, la suivante de cette pauvre dame de Valcroze, mais elle pleure sans arrêt.

— Miséricorde !

C’était encore pire qu’il ne le craignait. Marguerite était livrée presque sans défense aux machinations d’Elvira. L’absence d’Hersende était plus que significative et un drame pouvait se produire à tout moment. Il fallait faire quelque chose, et vite !

— Retournez auprès de la Reine, ordonna-t-il, et surveillez la demoiselle de Fos ! Au moindre geste suspect n’hésitez pas à l’appréhender… voire à la tuer !

— Moi ? Que je… Mais je ne me tiens pas dans la chambre !

Il était devenu encore plus pâle s’il était possible et, à son regard, Renaud vit qu’il hésitait. Il bredouilla :

— Cette demoiselle aurait de mauvais desseins ? À qui le ferez-vous croire ?

— J’en jurerais ! Veillez de votre mieux. Je vais essayer de vous envoyer du renfort…

Un peu soulagé d’avoir fait partager ses craintes au vieux chevalier, Renaud alla reprendre son cheval et revint sur ses pas. Quelques minutes plus tard, il tirait la cloche du couvent où Sancie s’était réfugiée.

Il ne fut pas facile de convaincre la sœur tourière de le laisser pénétrer dans la sainte maison. Elle voulut bien admettre qu’une jeune dame était arrivée récemment mais qu’un chevalier se présente derrière elle si peu de temps après ressemblait par trop à une poursuite. D’autant que le nouveau venu n’était pas vraiment repoussant en dépit de son aspect crasseux. Renaud, à qui l’inquiétude ôtait toute tranquillité dut s’astreindre à refréner une impatience proche de l’irritation en face de ce visage apparu derrière le grillage du guichet qui eût été insignifiant, si l’obstination et la méfiance ne l’avaient rendu franchement rébarbatif. La dame de Valcroze avait demandé asile ce qui signifiait que personne ne pouvait être conduit auprès d’elle. Elle n’en sortait pas.

— Il s’agit d’un cas extrême, ma sœur ! Je puis vous assurer qu’aucun reproche ne vous sera fait, pria Renaud. Il faut que je lui parle…

— Sa détermination est grande. Même notre Mère prieure ne réussirait sans doute pas à la faire plier. Retirez-vous en paix !

— En paix ?… Demandez à la Mère prieure de me recevoir ! Ce n’est pas impossible, j’imagine ?

— À cette heure ? Si. Nos sœurs sont à la chapelle et prient.

— Alors, j’attendrai. Mais sachez que je ne quitterai d’ici qu’après avoir vu au moins votre prieure ! Et je tirerai sur cette cloche chaque minute jusqu’à ce que l’on veuille bien m’entendre !

Et, joignant le geste à la parole, il actionna la cloche sous l’œil effaré de la nonne qui se signa précipitamment mais consentit enfin à ouvrir la porte.

Au-delà il y avait une salle dont la voûte basse était soutenue par d’épais piliers, avec au fond l’éclat de la belle lumière blonde venue d’un jardin entouré d’un cloître que révélait un vantail laissé entrouvert, mais entre cela et le visiteur se tenait la petite silhouette blanche de la tourière. Elle lui intima l’ordre de ne pas bouger mais au moment où elle s’éclipsait par l’ouverture, Renaud lança :

— Dites-lui qu’il y va de la vie de la Reine !

Un instant plus tard, elle revenait le chercher pour le conduire, par le cloître désert, jusqu’à une pièce nue à l’exception d’un grand crucifix de bronze plaqué au mur. Sancie était là.

Agenouillée devant la croix, elle priait, la tête dans ses mains et tout d’abord il ne sut pas que c’était elle à cause de la robe blanche, de la guimpe et du voile qui la différenciaient peu des véritables religieuses. Et il ouvrait la bouche pour l’appeler « ma mère » quand elle se releva et lui fit face. Cette fois il pouvait voir son visage cerné par la fine toile. Sa nudité révéla les traces de larmes, une profonde tristesse, mais l’ancienne combativité habitait toujours les magnifiques yeux d’émeraude. De même sa voix ne tremblait pas quand elle attaqua :