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La question se posait sans détour au Conseil. Il n’était pas douteux que Rama fût un objet hors du commun, certes, mais était-il si important ? Dans quelques mois, il aurait disparu pour toujours, et donc le délai pour agir était bref. L’occasion manquée maintenant ne se présenterait plus jamais.

Pour une somme plutôt terrifiante, une sonde spatiale prête à être lancée depuis Mars vers les régions transneptuniennes pouvait être modifiée et envoyée sur une trajectoire tendue au-devant de Rama. Le rendez-vous était inaccessible ; à une vitesse jamais encore enregistrée, deux éclairs, deux objets se croiseraient à deux cent mille kilomètres à l’heure. Rama ne serait observé avec acuité que pendant quelques minutes, et, de près, moins d’une seconde. Mais avec l’appareillage adéquat, cette durée suffirait à régler nombre de questions.

Bien que le Pr Davidson considérât d’un œil torve la sonde transneptunienne, le projet était déjà approuvé, et il ne vit pas l’intérêt de s’enferrer dans un mauvais cas. Il parla avec éloquence du faste inutile de la chasse aux astéroïdes, du besoin urgent, sur la Lune, d’un nouvel interféromètre à haute résolution depuis peu, de la création de l’univers par un Big Bang.

C’était une grave erreur tactique : les trois plus ardents partisans de la théorie modifiée de l’univers quasi statique étaient également membres du Conseil. Bien sûr, ils admettaient, sans le dire, avec le Pr Davidson, que la chasse aux astéroïdes était une dépense inutile, mais quand même…

Une seule voix suffit à départager le Conseil, et à lui donner tort.

Trois mois plus tard, la sonde spatiale, rebaptisée Sita, était lancée depuis Phobos, la plus intérieure des deux lunes de Mars. Le vol dura cinq semaines, et l’appareil ne fut réglé à sa pleine puissance que cinq minutes avant l’interception. Simultanément, un essaim de caméras fut largué, afin que Rama, au passage, pût être photographié sur toutes ses faces.

Les premières images prises, à dix mille kilomètres de distance, stoppèrent net toutes les entreprises humaines. Ce qui apparut sur un milliard d’écrans de télévision, ce fut un minuscule cylindre dépourvu de traits apparents, et qui grandissait rapidement de seconde en seconde. Lorsque sa taille eut doublé, personne ne pouvait plus prétendre que Rama était un objet naturel.

Son corps était un cylindre d’une perfection géométrique telle qu’il aurait pu être façonné sur un tour, mais un tour dont les pointes auraient été écartées d’une cinquantaine de kilomètres. Les deux extrémités étaient tout à fait planes, à l’exception de formes d’une moindre importance au centre de l’une d’elles ; leur diamètre était de vingt kilomètres. A distance et en l’absence de toute échelle de comparaison, Rama ressemblait assez drôlement à n’importe quel chauffe-eau électrique.

Rama grandit jusqu’à remplir l’écran. Sa surface était d’un gris triste et terne, d’une absence de couleurs semblable à celle de la Lune, et dépourvue de marques extérieures sauf en un point. A mi-chemin de la longueur du cylindre se trouvait une tache, une altération d’un kilomètre de large, comme si quelque chose, à une époque reculée, était venu s’y écraser.

A ce qu’il paraissait, l’impact n’avait pas causé de dommage aux parois tournoyantes de Rama ; mais c’était cette marque qui, cause de la faible variation de brillance, avait mis Stenton sur la piste de sa découverte.

Les images transmises par les autres caméras n’apportèrent rien de nouveau. Toutefois, les trajectoires que décrivirent leurs supports dans le champ gravitationnel de Rama apportèrent une information essentielle : la masse du cylindre.

Il était bien trop léger pour être un corps compact. Et personne ne fut surpris d’apprendre que Rama était nécessairement creux.

La rencontre longtemps espérée, longtemps redoutée, se produisait enfin. L’humanité allait accueillir son premier visiteur venu des étoiles.

RENDEZ-VOUS

Le commandant Norton se rappelait ces premières transmissions télévisées, qu’il avait tant de fois visionnées depuis, des dernières minutes du rendez-vous. Mais ce que l’image électronique n’avait pas été capable de communiquer, c’étaient les dimensions écrasantes de Rama.

Il n’avait jamais connu une telle impression en débarquant sur des corps célestes naturels comme la Lune ou Mars. C’étaient des mondes, grands comme des mondes : on n’était pas surpris. Il avait aussi débarqué sur Jupiter VIII qui, bien que légèrement plus important que Rama, lui avait semblé bien petit.

Le paradoxe était facile à démonter. Son jugement était affecté de ce que ceci était un artefact, des millions de fois plus lourd que tout ce que l’homme avait pu placer dans l’espace. La masse de Rama était d’au moins dix millions de millions de tonnes ; à tout astronaute, cette pensée n’inspirait pas seulement le respect, mais la terreur. Il était donc normal, à mesure que ce cylindre de métal antique et façonné emplissait une portion croissante du ciel, que l’homme ressentît parfois son insignifiance, et même son abaissement.

S’y mêlait une intuition totalement nouvelle pour lui : le danger. Lors de tous les débarquements précédents, il avait su à quoi s’en tenir ; l’accident y avait toujours été possible, mais la surprise, jamais. Avec Rama, la seule certitude était la surprise.

L’Endeavour flottait à moins de mille mètres au-dessus du pôle Nord du cylindre, très précisément dans l’axe du disque qui tournait lentement. Cette extrémité avait été choisie parce que éclairée par le soleil ; la rotation de Rama faisait que les ombres des courtes formes énigmatiques proches de son axe balayaient constamment la plaine de métal. La face nord de Rama était un gigantesque cadran solaire qui, toutes les quatre minutes, mesurait le bref passage d’un jour entier.

Poser un vaisseau spatial de mille tonnes au centre d’un disque tournant était le dernier souci du commandant Norton. Ce n’était guère différent de s’amarrer à l’axe d’une grande station spatiale ; les fusées latérales de l’Endeavour lui avaient déjà conféré la giration concordante, et il pouvait se fier au lieutenant Joe Calvert pour poser le vaisseau aussi délicatement qu’un flocon de neige, avec ou sans l’aide du pilotage automatique.

— Dans trois minutes, dit Joe sans lever les yeux du tableau, nous saurons si c’est fait d’antimatière.

Norton sourit au souvenir des plus effarantes théories sur l’origine de Rama. Si cette hypothèse peu vraisemblable était vraie, le plus énorme bang depuis la formation du système solaire se produirait dans quelques secondes. L’annihilation totale d’une masse de dix mille tonnes doterait pour un instant les planètes d’un second soleil.

Le plan de mission avait cependant fait place à ce risque, si minime fût-il ; à la distance respectueuse d’un millier de kilomètres, l’Endeavour avait fait essuyer à Rama le feu d’une de ses fusées. Il ne s’était rien produit de particulier lorsque le nuage de vapeurs en expansion toucha la cible : une réaction matière-antimatière ne mettant en jeu que quelques milligrammes aurait déjà produit un assez terrifiant feu d’artifice.

Norton, comme tous les commandants de l’espace, était un homme prudent. Il avait longuement et intensément observé la face nord de Rama, choisissant le point de contact. Après mûre réflexion, il avait décidé d’éviter l’endroit le plus évident : le centre géométrique, à l’emplacement de l’axe. Une circonférence d’une centaine de mètres de diamètre qui avait le pôle pour centre s’y dessinait nettement, et Norton le soupçonnait fortement d’être la porte extérieure d’un sas démesuré. Les êtres qui avaient bâti ce monde creux avaient bien dû penser au moyen d’y faire entrer leurs nefs. Norton pensa qu’il pourrait être malencontreux de bloquer l’accès avec son propre vaisseau.