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Quel que fût leur plan, ils ne l’emporteraient pas au paradis.

Le deuxième message de Mercure fut identique au premier, et arriva dix minutes plus tard. Ils avaient donc reculé l’échéance. Norton avait encore une heure devant lui. Et, de toute évidence, ils avaient attendu que pût leur parvenir une réponse de l’Endeavour avant de rappeler.

Or, un autre facteur était intervenu : ils avaient dû entre-temps voir Rodrigo et auraient nécessairement perdu quelques minutes à arrêter les contre-mesures. Leurs ordres pouvaient déjà être partis et arriver d’une seconde à l’autre.

Il devrait donc se préparer au départ. A tout moment, la masse de Rama, qui leur masquait le ciel, pouvait être rongée à partir de ses bords par une incandescence dont la gloire aveuglante surpasserait un bref instant l’éclat du soleil.

Lorsque le réacteur principal se mit en marche, Rodrigo était solidement amarré. La poussée ne dura que vingt secondes. Il fit un bref calcul de tête et en déduisit que la vitesse n’avait pas dû varier de plus de quinze kilomètres à l’heure. La bombe mettrait une heure à rejoindre Rama. Peut-être ne s’était-elle rapprochée que pour permettre une action plus rapide. La précaution était sage, mais les Hermiens la prenaient trop tard.

Bien qu’il eût maintenant une conscience exacte de l’écoulement du temps, Rodrigo consulta sa montre. Sur Mercure, ils devaient le voir et comprendre qu’il s’approchait avec une intention précise de la bombe. Puisque pour eux son objectif ne faisait plus de doute, ils devaient en ce moment même se demander s’il l’avait atteint.

Le second faisceau de câbles se laissa couper aussi facilement que le premier. Bon ouvrier, Rodrigo s’était choisi de bons outils. La bombe était désamorcée, ou, pour être plus précis, elle ne pouvait plus être mise à feu à distance.

Il y avait toutefois une autre possibilité qu’il ne pouvait se permettre d’ignorer. Il n’y avait pas de détonateurs externes, mais il pouvait y en avoir d’internes qui réagiraient au choc de l’impact. Les Hermiens, qui contrôlaient toujours la trajectoire de leur engin, pouvaient décider de le précipiter sur Rama. Rodrigo n’avait pas achevé sa mission.

D’ici cinq minutes et dans la salle de contrôle qui se trouvait quelque part sur Mercure, on le verrait se glisser le long du flanc du missile avec, à la main, la modeste paire de pinces coupantes qui venait de neutraliser l’arme la plus dévastatrice qu’ait jamais construite l’homme. Il fut presque tenté d’adresser un signe à la caméra, mais se ravisa en pensant que ce serait manquer de dignité. Après tout, il faisait l’Histoire et, dans les années à venir, les hommes contempleraient par millions cette scène. A moins, bien sûr, que les Hermiens, dans un accès de rage, ne détruisissent le film. Il aurait mauvaise grâce à leur en vouloir.

Il atteignit la base de l’antenne à longue portée, et se hissa jusqu’au grand réflecteur parabolique. Ses fidèles pinces tranchèrent allègrement dans le système d’alimentation, mordant les câbles comme les gaines d’ondes laser. Au dernier coup de mâchoires, l’antenne se mit à tourner lentement. Surpris d’abord par ce mouvement inattendu, il comprit qu’il avait également détruit le blocage qui la maintenait braquée sur Mercure. Dans cinq minutes exactement, les Hermiens auraient perdu tout contact avec leur envoyé. A présent, il était non seulement impuissant, mais aveugle et sourd.

Rodrigo regrimpa lentement vers son scooter, défit les entraves et le manœuvra pour placer les tampons avant tout contre le missile, aussi près que possible de son centre de gravité. Il ouvrit les gaz en grand et maintint la poussée pendant vingt secondes.

Ayant à pousser plusieurs fois sa propre masse, le scooter répondit avec une grande mollesse. Lorsque Rodrigo coupa les gaz, il fit un relevé soigneux de la nouvelle trajectoire de la bombe.

Elle passerait à distance respectueuse de Rama, et, de plus, cela permettrait de la retrouver avec précision en n’importe quel point de l’avenir. C’était, après tout, un objet de grande valeur.

Le lieutenant Rodrigo était d’une honnêteté quasi pathologique. Il n’aurait pas supporté que les Hermiens l’accusassent d’avoir égaré un objet leur appartenant.

LE HÉROS

— Ma chérie, commença Norton, cette plaisanterie nous aura retardé de plus d’une journée, mais au moins j’aurai eu l’occasion de te parler.

» Je suis toujours à bord du vaisseau, qui retourne se poster sur l’axe polaire. Il y a une heure, nous avons récupéré un Rod aussi tranquille que s’il venait d’effectuer un tour de garde sans histoire. Je suppose que, désormais, Mercure nous est interdit, et je me demande si nous serons accueillis comme des héros ou des traîtres à notre retour sur Terre. Mais ma conscience est en paix : je suis sûr d’avoir bien fait. Je me demande aussi si les Raméens nous diront jamais merci.

» Nous n’avons plus que deux jours devant nous car nous n’avons pas, comme Rama, une carapace épaisse d’un kilomètre pour nous protéger du soleil. Notre coque présente déjà des points d’échauffement, et nous avons dû mettre en place des écrans de protection. Enfin voilà… je m’en voudrais de t’ennuyer avec mes problèmes.

» Nous aurons juste le temps de faire une nouvelle expédition dans Rama, et j’ai l’intention d’en tirer le maximum. Mais ne t’inquiète pas, je ne prendrai pas de risques.

Il interrompit l’enregistrement. Cette dernière phrase avait, pour le moins, un rapport très libéral avec la vérité. Rama recelait suffisamment de dangers et d’incertitudes pour interdire tout sentiment de familiarité au sein de forces qui dépassaient l’entendement. Sachant que désormais il n’y retournerait jamais et que rien ne viendrait compromettre les entreprises à venir, il avait l’intention de solliciter plus fermement sa chance au cours de cette dernière expédition.

— Dans quarante-huit heures, notre mission sera achevée. Ce qui suivra n’est toujours pas arrêté. Comme tu le sais, nous avons pratiquement épuisé nos propergols à nous placer sur cette orbite. J’attends encore qu’on me dise si une fusée-citerne peut opérer un rendez-vous avec nous, et à temps pour notre retour sur Terre, ou bien si nous devrons nous faire capturer par le champ gravitationnel de Mars. De toute façon, je serai de retour vers Noël. Dis à Junior que je suis désolé de ne pas lui rapporter de bébé biote : ces animaux n’en ont pas.

» Nous allons tous très bien malgré une grande fatigue. J’aurai mérité une bonne permission, après tout cela, et nous allons rattraper le temps perdu. En dépit de tout ce que tu peux entendre dire, tu peux te vanter d’avoir épousé un héros. Tu connais beaucoup de femmes dont le mari a sauvé un monde ?

Comme toujours, il écouta soigneusement la bande avant de la dupliquer, pour s’assurer qu’elle convenait à ses deux familles. Aussi étrange que cela pût paraître, il ne savait pas laquelle des deux il verrait en premier. D’habitude, son emploi du temps était déterminé au moins un an à l’avance, par le mouvement inexorable des planètes elles-mêmes.

Mais cela datait d’avant Rama. Rien désormais ne serait plus pareil.

LE TEMPLE DE VERRE

— Vous croyez que si nous essayons, dit Karl Mercer, les biotes vont s’y opposer ?

— C’est possible. En tout cas, j’aimerais savoir. Pourquoi me regardez-vous ainsi ?

Mercer eut alors ce sourire lent et mystérieux que provoquait à l’improviste toute pensée amusée dont il pouvait, ou non, faire part à ses camarades.

— Je me demandais, capitaine, si vous ne vous prenez pas pour le propriétaire de Rama. Jusqu’ici, vous vous êtes opposé à toute tentative d’ouvrir par la force les bâtiments. Pourquoi cette volte-face ? Ce sont les Hermiens qui vont ont donné des idées ?