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— Qu’en est-il de ces histoires de traquenard et de machine infernale que répandent les gens du Pandore ? demanda le Dr Price.

— Pandore ? questionna aussitôt l’ambassadeur hermien. De quoi s’agit-il ?

— C’est un mouvement de toqués, expliqua sir Robert avec cette gêne de bon ton qui est le propre d’un diplomate, convaincus que Rama est un grave danger potentiel. Une boîte qu’on ne devrait pas ouvrir. Vous voyez ce que je veux dire.

Il doutait fort que l’Hermien vît, car, sur Mercure, les études classiques n’étaient guère encouragées.

— Pandore — Parano même topo, bougonna avec mépris Conrad Taylor. Il est évident que de telles choses sont concevables, mais pourquoi prêter à une espèce intelligente des intentions aussi puérilement facétieuses ?

— Donc, même si nous écartons ce genre de désagrément, poursuivit sir Lewis, l’éventualité la plus redoutable reste celle d’un Rama habité et en activité. Alors la situation est celle d’une rencontre de deux civilisations, chacune ayant atteint un niveau très différent de technicité. C’est Pisarre et les Incas, Peary et les Japonais. L’Europe et l’Afrique. Les suites en ont été presque constamment désastreuses, que ce soit pour l’un des protagonistes, ou les deux à la fois. Je ne me risque pas à faire des recommandations. J’indique simplement les précédents.

— Merci, sir Lewis, répondit le Dr Bose. (Il pensa qu’il était tout de même légèrement assommant d’avoir deux « sirs » dans une seule commission ; depuis quelque temps, l’anoblissement était un honneur auquel peu de Britanniques échappaient.) Je suis sûr que nous avons réfléchi aux possibilités les plus alarmantes. Mais si les créatures qui habitent Rama sont, disons, malveillantes, pensez-vous que notre attitude, quelle qu’elle soit, y changera quelque chose ?

— Peut-être ne s’apercevront-ils pas de notre présence si nous partons.

— Comment, après qu’ils ont parcouru des milliards de milles et des milliers d’années ?

La discussion, venant par là de décoller, planait désormais en toute autonomie. Le Dr Bose se carra dans son fauteuil, laissa tomber quelques rares paroles et attendit que se dégageât un accord.

Tout se passa comme il l’avait prévu. On s’accorda sur le fait qu’ayant déjà ouvert la première porte, il était inconcevable que le commandant Norton n’ouvrît pas la seconde.

DEUX ÉPOUSES

Avec amusement et un certain détachement, le commandant Norton pensa que si l’idée venait à ses deux épouses de comparer leurs vidéogrammes, cela lui donnerait un surcroît de travail. Car pour l’heure il se contentait d’en établir un seul, long, qu’il dupliquait, n’ajoutant que de brefs propos plus personnels et mots tendres avant d’envoyer les deux exemplaires presque identiques respectivement sur Mars et la Terre.

Il était plus qu’improbable, d’ailleurs, que ses deux femmes en fissent jamais rien. Malgré les tarifs de faveur concédés aux familles des astronautes, l’entreprise serait coûteuse. Et quel en serait l’intérêt, puisque ses deux familles entretenaient d’excellents rapports, ne laissant jamais passer les fêtes et les anniversaires sans une lettre de vœux. Mais, à tout prendre, il n’était peut-être pas mauvais que les deux femmes ne se fussent jamais rencontrées. Myrna était née sur Mars et ne pouvait donc tolérer la forte pesanteur terrienne. Quant aux vingt-cinq minutes que durait le plus long voyage possible sur Terre, Caroline les envisageait déjà avec répugnance.

— Excusez-moi d’avoir repoussé d’un jour cette communication, dit le commandant Norton après les généralités préliminaires, mais, aussi incroyable que cela puisse te paraître, je me suis absenté du vaisseau pendant les trente dernières heures…

» Ne va pas t’en inquiéter ; nous contrôlons la situation et tout se passe parfaitement bien. Il nous a fallu deux jours pour traverser, ou peu s’en faut, le système de sas. En fait, avec ce que nous en savons maintenant, nous aurions pu le faire en quelques heures. Mais nous n’avons pris aucun risque, les caméras guidées étaient envoyées devant, et chaque système de fermeture était actionné une douzaine de fois pour se prémunir contre tout grippage, une fois que nous serions passés…

» Chaque sas est un simple cylindre pivotant qui porte une fente sur un côté. On s’introduit dans cette ouverture, on fait pivoter le cylindre de cent quatre-vingts degrés, et la fente se trouve en regard d’une autre porte qu’on franchit d’un pas. Disons plutôt d’une brasse.

» Les Raméens n’ont rien laissé au hasard. Rien que sous le pylône d’entrée et dans l’épaisseur de l’écorce extérieure, ils ont trois de ces sas cylindriques à se succéder. Je conçois mal que l’un d’eux puisse se détraquer, sauf bien sûr si on le fait sauter à l’explosif ; mais, dans ce cas, subsisterait une seconde défense, puis une troisième…

» Et ce n’est que le début. Le dernier sas débouche sur un corridor rectiligne, long de près d’un demi-kilomètre, très propre et sans trace de désordre, comme d’ailleurs tout ce que nous avons déjà vu ; tous les deux ou trois mètres s’y ouvrent des orifices qui sans doute servaient à l’éclairage, mais à présent tout est totalement obscur, et, je ne crains pas de te le dire, angoissant. Il y a aussi deux saignées parallèles, larges d’un centimètre environ, qui courent sur toute la longueur du tunnel. Nous pensons qu’une sorte de navette devait y glisser pour convoyer le matériel, ou les gens, le long du corridor. Cela nous aurait bien soulagés de trouver un tel dispositif en état de marche…

» J’ai indiqué que le tunnel était long d’un demi-kilomètre. Il se trouve que nos sondages sismiques nous donnaient à peu près cette dimension pour l’épaisseur de la coque ; il était donc évident qu’ainsi nous l’avions traversée. Et c’est sans surprise que, au bout du tunnel, nous avons trouvé un de ces sas à barillet.

» Puis un autre, et encore un autre. Ces gens semblent avoir tout fait par trois. Nous nous trouvons maintenant dans le dernier entre-sas, attendant que la Terre nous donne le feu vert pour passer. L’intérieur de Rama n’est plus qu’à quelques mètres. Imagine ma satisfaction quand cette incertitude sera levée.

» Tu connais Jerry Kirchoff, mon officier de pont, qui possède une telle bibliothèque de vrais livres qu’il n’a pas les moyens d’émigrer avec eux de la Terre ? Jerry m’a parlé d’une situation semblable, au début du XXIe, non, du XXe siècle. Un archéologue trouve la tombe d’un roi égyptien, la première à n’avoir pas été pillée par les trafiquants. Pendant des mois, son équipe d’ouvriers se fraie un chemin de chambre en chambre. Ils arrivent devant le dernier mur. Ils percent la maçonnerie, et l’archéologue passe une lanterne, puis la tête par l’ouverture. Il se rend compte que ce qu’il a devant lui, et qu’il regarde, est une salle incroyablement pleine d’un trésor d’or et de pierreries…

» Peut-être cet objet est-il également une tombe, ce qui paraît de plus en plus vraisemblable. Même maintenant, pas le moindre bruit, pas le moindre indice d’une quelconque activité. Demain, nous en aurons le cœur net.

Le commandant Norton mit l’enregistreur sur ATTENTE. Que dire d’autre sur ce travail, se demanda-t-il avant de passer aux messages particuliers qu’il enverrait à ses familles. En temps normal, il ne donnait jamais autant de détails, mais rien, dans cette conjoncture, n’était trop normal. Ce vidéo serait peut-être le dernier qu’il enverrait jamais à ceux qu’il aimait. Il leur devait d’expliquer ce qu’il faisait.