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– Tout de même!

– Si! Nous avons commis l'imprudence de leur envoyer des criminels de guerre après le conflit de 2128. Parmi eux se trouvaient des savants qui ont peut-être fait progresser la science dans des proportions considérables. Et il est beaucoup plus facile d'attaquer la Terre de la Lune, que la Lune de la Terre.

– Je me demande si je ne deviens pas fou.

Le capitaine Lero posa amicalement la main sur l'épaule de Benal.

– Nous avons besoin de vous. Nous devons envoyer là-bas un homme condamné pour une faute ayant toutes les apparences de la réalité. Votre réputation de savant vous fera accueillir avec enthousiasme. Recrue de choix. Vous serez certainement bien placé pour voir beaucoup de choses… Est-ce oui?

Jâ Benal inclina la tête.

– Laissez les événements se dérouler tout seuls, laissez-vous juger et condamner. Vous recevrez d'autres instructions plus tard.

Benal remâcha les détails de son arrestation, son déshonneur, son humiliation devant la foule. Un seul souvenir brillait en lui d'une flamme réconfortante: la sympathie de cette jolie femme du premier rang. Dans son regard apitoyé, il avait décelé quelque chose que nulle autre, dans sa vie de beau garçon, ne lui avait montré. Irrésistiblement, il avait fallu qu'il s'arrête, qu'il lui parle, comme on se raccroche à une dernière branche.

Il se secoua et quitta son fauteuil. Il considéra les murs de sa cellule et pensa qu'il avait encore de la chance de n'être pas né au vingtième siècle. Il se rappela un ouvrage historique décrivant des prisons infectes, sans aucun autre objet dans les cellules qu'un bat-flanc, un pot d'eau et un morceau de pain.

Il décida de prendre une douche et se dévêtit. Il entra dans la minuscule cabine et poussa doucement la manette. L'eau tiède ruissela sur son corps bien bâti de jeune homme. Il poussa la manette un peu plus loin, guettant le goût de l'eau sur ses lèvres L'eau douce fut peu à peu remplacée par l'eau de mer: la teneur en iode et en sel s'accentua, vivifiant ses muscles.

Il poussa encore un peu: l'eau redevint insipide, puis de plus en plus froide, puis fit place à un jet puissant d'air chaud ozonisé qui le sécha en un clin d'œil.

Il s'observa dans le grand miroir qui constituait la porte de la cabine: un mètre quatre-vingt-huit, un peu maigre peut-être, mais des épaules larges, des membres nerveux; un visage sympathique au menton carré, aux lèvres un peu fortes, des yeux moqueurs, des cheveux châtains à peine ondulés au-dessus des oreilles. Il s'adressa la parole:

– Eh bien, Jâ, voilà ce qu'ils ont fait de toi, un criminel. Tu avais pourtant l'avenir devant toi. Chef de centre de recherches à cinquante-cinq ans! Un sujet d'élite! Ira très loin, ce jeune homme! (Il soupira en grommelant.) J'irai loin, en effet. Tiens, je vais dormir.

CHAPITRE II

Il lui sembla qu'il venait à peine de fermer l'œil quand une sonnerie le tira de son sommeil.

– Oui? fit-il.

Une voix venue de nulle part parla dans la pièce.

– Jâ Benal, une visite pour vous.

Il s'habilla en hâle et attendit quelques minutes. Au bout d'un instant, l'un des murs de la cellule devint progressivement nuageux diaphane, transparent.

Jâ Benal sourit en reconnaissant de l'autre côté de la paroi de verre le visage d'un ami.

– Salut, Bôd, je suis content de te voir.

– Bonjour, Jâ, dit le visiteur, un garçon blond à la fine moustache de paille.

– Je ne veux pas te faire de peine, mais tu fais une drôle de tête.

Bôd baissa les yeux.

– Tu ne trouves pas qu'il y a de quoi?

Jâ sauta sur ses pieds.

– Enfin quoi, cria-t-il, si tu es venu pour dire des choses tristes!

Bôd sourit.

– Ton sang arabe est toujours aussi facilement en ébullition, je vois.

– Tu me tannes avec tes Arabes!

– Mais si, je t'assure, Benal est une évolution francisée de Ben Ali.

– Si tu es venu me faire un cours de langues mortes, tu pouvais rester.

– Excuse-moi, mon vieux. Tout ce que je te raconte n'a rien à voir avec les circonstances; c'est parce que je ne sais pas quoi dire.

– Ne t'en fais donc pas pour moi, dit Jâ Benal, ému, j'ai toujours eu envie de voir la Lune de près. Ce n'est pas si terrible.

– Tu vas me manquer, Jâ.

– Toi aussi, mon vieux, bien sûr

– Tu sais, je ne considère pas comme coupable un homme qui va au chevet de sa mère malade.

– Merci, Bôd, merci. Mais il ne faut pas dire ça. Je suis coupable.

La sonnerie retentit de nouveau. Bôd se leva et regarda intensément le visage de son ami.

Il appuya la main sur la paroi de verre. Jâ fit de même, paume contre paume. Bôd tourna brusquement la tête et sortit très vite.

La voix impersonnelle annonça

– Jâ Benal, une deuxième visite pour vous.

Presque aussitôt la jeune femme en tunique rose apparut derrière la vitre.

– Vous? dit Benal surpris.

– Vous ne me reconnaissez pas? demanda la jeune femme.

– Si, bien sûr, vous étiez à l'audience.

– Ce n'est pas ce que je veux dire. Nous nous sommes déjà vus avant… avant cela.

Benal fit un effort pour se souvenir.

– Il y a dix ans, vous étiez mon professeur de mathématiques à Staleve, dit la jeune femme. J'étais encore une enfant, je n'avais pas trente ans. Vous rappelez-vous une petite fille haute comme ça, seulement licenciée ès sciences? Je ne mordais pas aux mathématiques, mais vous m'avez encouragée. Un jour, après le cours, vous m'avez expliqué la dérivée logarithmique de la fonction B.

– Bon sang! Flore, n'est-ce pas?

– C'est ça, Flore Steval, sourit-elle.

– Bon sang, répéta Jâ Benal en ouvrant de grande yeux, mais… mais vous êtes superbe.

– Je n'ai jamais été particulièrement laide.

– Je veux dire: vous êtes une très jolie femme.

– N'en jetez plus, Jâ. (Elle baissa les yeux.) Je ne vous ai jamais oublié. Vous étiez mon héros de petite fille. (Elle hésita.) Je n'ai jamais changé d'avis, même maintenant.

– Vous allez me faire rougir, Flore. Croyez-moi (Jâ se força à sourire), j'ai été trop gâté par la vie, ça m'a mis la tête à l'envers et voyez où j'en suis. Votre admiration était mal placée, Flore.

(Nom d'un chien, pensa-t-il, dire qu'une chose pareille m'arrive maintenant que…)

– Je ne vous considère absolument pas comme un criminel, Jâ… Je connais toute l'histoire, vous savez.

Benal eut un air ahuri.

– Toute l'histoire, balbutia-t-il, mais…

– Vous êtes un héros d'avoir accepté ça, vous avez encore grandi dans mon estime… Vous n'avez pas remarqué que depuis cinq minutes la vitre a disparu, dit-elle en faisant un pas à l'intérieur de la cellule; on a des attentions pour moi. Je suis l'agent spécial chargé de vous donner vos dernières instructions.

Elle se trouva tout près de Jâ Benal, qui la prit dans ses bras.

* * *

Le reporter murmura dans son micro:

– Nous sommes dans le long couloir qui mène de la prison centrale à l'échafaud. Dans quelques minutes, citoyens, la porte du fond va s'ouvrir et le condamné va paraître, revêtu du scaphandre jaune. En ce moment, derrière cette porte, l'ingénieur-bourreau est en train de vérifier l'étanchéité du scaphandre… Ah! Voilà la cloche! La porte s'ouvre, voilà l'homme, regardez-le, voilà l'homme dont la négligence a provoqué la mort de ses concitoyens.